La professeure du Département d’histoire Yolande Cohen a obtenu le prix André-Laurendeau pour les sciences humaines, arts et lettres, tandis que la professeure émérite du Département de didactique Lucie Sauvé a remporté le prix Pierre-Dansereau pour l’engagement social. Ces prix leur ont été remis lors du 80e Gala de l’Acfas, le 14 novembre dernier, au Grand Quai du Port de Montréal.
Yolande Cohen
L’historienne est reconnue, entre autres, pour ses travaux sur les mouvements étudiants du 20e siècle en Europe. Elle a aussi mené, à la fin des années 1980, un important chantier de recherche sur l’histoire comparée des femmes et du genre en France et au Québec. Elle a mis en lumière le rôle des mouvements de femmes dans la modernisation et la sécularisation du Québec, notamment en analysant leurs associations volontaires et professionnelles.
Après un doctorat en histoire à l’École des hautes études en sciences sociales de Paris, Yolande Cohen rejoint en 1978 le corps professoral de l’UQAM. Le sujet de la minorisation politique des jeunes et des étudiantes et étudiants, alors au centre de ses préoccupations, l’amène à démontrer les processus d’exclusion à l’œuvre dans l’espace démocratique francophone en 1870, au moment où se met en place la IIIe République en France, qui durera jusqu’en 1940. Ni représentés ni considérés au sein des instances politiques, nombre de ces jeunes forment des regroupements pour se faire entendre. Le travail de Yolande Cohen consistera, notamment, à retracer leur parcours et leur influence, invisibilisés dans l’histoire traditionnelle.
La professeure montrera comment ces groupes de jeunes ont fait irruption dans l’espace politique au tournant du 20e siècle. En 1982, elle codirige un numéro de la revue Mouvement social, entre socialisme et nationalisme: les mouvements étudiants européens, puis publie, en 1989, la monographie Les jeunes, le socialisme et la guerre: histoire des mouvements de jeunesse en France. Ces textes révèlent les critiques antimilitaristes formulées par les jeunes à l’égard d’une IIIe République sourde à leurs revendications. L’historienne contribuera ainsi à intégrer les préoccupations de ces groupes dans la réflexion sociale et politique, une approche pour laquelle elle est encore sollicitée comme experte internationale.
Yolande Cohen s’intéresse parallèlement à la minorisation politique des femmes. Elle lancera un grand chantier pour étudier l’histoire des femmes rurales et urbaines au Québec. La lauréate montre que les femmes ont joué un rôle crucial dans la modernisation du Québec dès les années 1920 et 1930, contestant leur assignation à la sphère privée en fondant des associations volontaires. Avec son ouvrage Femmes de paroles: l’histoire des Cercles de fermières du Québec, paru en 1990, on découvre un regroupement qui prend ses distances face au clergé et qui développe un féminisme «maternaliste», c’est-à-dire basé sur le souci des autres.
La chercheuse approfondit ensuite ses recherches dans Femmes philanthropes: catholiques, protestantes et juives dans les organisations caritatives du Québec. Cet ouvrage, publié en 2010, témoigne de la contribution de ces femmes bienfaitrices aux premières politiques publiques touchant la famille, la santé et l’immigration. Elle poursuit son étude comparée des féminismes contemporains en analysant leurs positionnements divergents sur la question de la prostitution dans Prostitution et traite des femmes. Une cause féministe en France et au Canada au tournant du XXe siècle, paru en 2019.
L’historienne explore également la professionnalisation des infirmières, un mouvement qui a conduit à la laïcisation rapide des soins au Québec. Ses travaux exposent les enjeux liés au care – ou soin des autres –, un travail longtemps gratuit, invisible et majoritairement accompli par les femmes. En 2000, elle publie la monographie Profession infirmière: une histoire des soins dans les hôpitaux du Québec, utilisée dans les facultés de médecine, de sciences infirmières et de sciences sociales.
Il faut aussi souligner les travaux de Yolande Cohen sur les migrations juives maghrébines, communauté dont elle est issue. Alors que le sujet demeurait inexploré, elle s’est intéressée aux rapports interethniques et confessionnels dans la constitution des États nationaux postcoloniaux au Québec comme en France. Elle publie, en 1992, Itinéraires sépharades: l’odyssée des Juifs sépharades de l’Inquisition à nos jours, et, en 2000, Juifs marocains à travers les âges: tradition et modernité. Ces ouvrages témoignent du rôle des diasporas dans la formation d’une identité juive sépharade transnationale et de l’ancrage de ces populations migrantes dans leur pays d’accueil. La professeure vient tout juste de faire paraître un nouvel ouvrage, Migrations postcoloniales des Juifs du Maroc. Vers le Canada et la France (Presses de l’Université d’Ottawa), dont la version anglaise a été publiée chez le même éditeur: Moroccan Jews in France and Canada .
Dans ses recherches, Yolande Cohen a développé une méthodologie unique en histoire orale. Cette approche basée sur l’enquête de terrain consiste à analyser les récits oraux pour retracer les voix oubliées. Son expertise dans le domaine des migrations postcoloniales l’a menée à démontrer les situations de marginalisation et de discrimination dans lesquelles se trouvent les populations migrantes et l’organisation de ces groupes au sein des diasporas. Elle a ainsi mis à l’épreuve le concept d’agency – ou capacité d’agir –, qu’elle a développé avec d’autres théoriciennes féministes à partir d’études empiriques.
La professeure s’est démarquée enfin par son engagement dans les milieux communautaire, médiatique et politique. Elle a été active au sein de diverses associations féministes et multiethniques pendant plus de 40 ans et a été candidate à la mairie de Montréal dans les années 1990.
On peut voir la vidéo sur Yolande Cohen tournée par Savoir Média.
Lucie Sauvé
La professeure émérite s’est distinguée par son engagement dans un champ de recherche devenu une pratique incontournable: l’éducation relative à l’environnement. Toute sa carrière a convergé vers la structuration et la reconnaissance de ce domaine afin de contribuer à son intégration dans le milieu de l’éducation. Pionnière, Lucie Sauvé a inspiré tant ses collègues que ses étudiantes et étudiants, et ce, à l’échelle de la Francophonie. Tout au long de son parcours, elle a réussi à associer engagement académique et engagement citoyen.
Dès le début, la professeure a voulu intégrer l’éducation relative à l’environnement dans le milieu scolaire et au sein de la société québécoise. En 1996, quatre ans à peine après l’obtention de son doctorat en éducation, ses préoccupations pour les questions environnementales l’amènent à développer un programme d’études supérieures en éducation relative à l’environnement à l’UQAM, une première au Québec et dans la Francophonie. Responsable de ce programme durant 15 ans, elle y enseignera jusqu’en 2020.
En 1998, Lucie Sauvé fonde la revue internationale Éducation relative à l’environnement – Regards, Recherches, Réflexions. Cette publication vise à favoriser l’arrimage entre la recherche et l’intervention, entre théorie et pratique.
Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en éducation relative à l’environnement de 2001 à 2011, la professeure a noué une collaboration avec Pierre Dansereau, chercheur émérite au sein de la Chaire. Ce dernier signera la préface de son ouvrage paru en 2001, L’éducation relative à l’environnement. École et communauté: une dynamique constructive (Hurtubise HMH). Témoignant de cette relation et de son admiration pour le chercheur, Lucie Sauvé signera pour sa part le chapitre «Pierre Dansereau: écopédagogue, écocitoyen» dans un ouvrage collectif rendant hommage au scientifique: L’espoir malgré tout: L’œuvre de Pierre Dansereau et l’avenir des sciences de l’environnement (PUQ, 2017).
Au cours des années 1990 et 2000, la chercheuse a dirigé des projets d’envergure en Amérique latine, axés sur la formation du personnel enseignant et le soutien de projets communautaires d’écodéveloppement en matière de santé et d’alimentation. En 2012, Lucie Sauvé fonde le Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté (Centr’ERE). Interdisciplinaire, interuniversitaire, international et partenarial, le Centre s’attarde au «nœud» de complexité de l’éducation relative à l’environnement, soit le passage de la sensibilisation à l’action. Ce passage nécessite la construction d’une identité écocitoyenne et le développement d’une capacité créative pour l’innovation écosociale.
L’engagement de la lauréate se poursuit avec la création d’une plateforme de travail collaboratif rassemblant des personnes représentant 57 organisations et institutions québécoises. Après plusieurs années de collaboration, ce collectif animé par Lucie Sauvé a élaboré une proposition de Stratégie québécoise d’éducation en matière d’environnement et d’écocitoyenneté. Destiné aux décideurs des milieux de l’éducation et de l’environnement, le document a été lancé à la Bibliothèque de l’Assemblée nationale en juin 2019. La professeure a par la suite coordonné une version actualisée de cette proposition, et elle continue de promouvoir son adoption par le gouvernement. À cet effet, avec l’équipe du Centr’ERE et un noyau de partenaires, elle a fondé l’organisation Coalition Éducation, Environnement, Écocitoyenneté.
En 2011, Lucie Sauvé a créé le Collectif scientifique sur les enjeux énergétiques au Québec. Ce regroupement, qu’elle coordonne toujours, fait appel à plus d’une centaine de scientifiques et vise à exercer une vigile critique multidisciplinaire sur la question énergétique au Québec. En effectuant une veille des publications et en rendant accessible l’information scientifique, ses membres sont devenus d’importants acteurs au sein des consultations et débats publics. Le Collectif examine les différents aspects des problématiques énergétiques et propose des scénarios écologiquement viables. Dans le cadre des 50 ans de l’UQAM, il a d’ailleurs été reconnu comme l’un des 50 projets qui ont «transformé la société québécoise» ces dernières années.
Au printemps 2024 était lancé un ouvrage conçu et coordonné par Lucie Sauvé, L’Héritage des luttes environnementales au Québec – Un souffle écocitoyen (PUQ). On y trouve le récit de luttes majeures au fil des 30 dernières années et un rappel des apports structurants de ces combats.
Toute la vie professionnelle de la professeure a consisté à mettre en lumière et à valoriser les apprentissages réalisés à travers les mobilisations citoyennes opérant une transformation culturelle du rapport de la société québécoise à l’environnement. Aujourd’hui, Lucie Sauvé demeure active dans le domaine de la recherche et de l’action écosociale, prenant part au comité de direction du Centr’ERE ainsi qu’à divers projets collaboratifs qui maintiennent vivants des liens universitaires et citoyens tissés au fil des années.
On peut voir la vidéo sur Lucie Sauvé tournée par Savoir Média.