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Imparfait, intouchable et immortel

D’une grande générosité, Daniel Bélanger participe à une discussion avec les étudiantes et étudiants en musique.

Série

En classe!

Par Pierre-Etienne Caza

8 octobre 2024 à 14 h 06

Mis à jour le 18 décembre 2024 à 15 h 30

L’auteur-compositeur-interprète Daniel Bélanger, docteur honorifique de l’UQAM, participait le 3 octobre dernier à une discussion avec les étudiantes et étudiants des cours Atelier de performance et Atelier de composition de chansons du baccalauréat en musique. L’animation de la rencontre, qui avait lieu à la salle Jacques-Hétu, était assurée par la chargée de cours Flavie Léger-Roy et les professeurs Ons Barnat et Danick Trottier.

Chaleureusement applaudi, Daniel Bélanger a été accueilli par le directeur du Département de musique, Danick Trottier, qui a souligné l’exceptionnelle production de l’auteur-compositeur-interprète, dont l’œuvre compte 168 chansons originales réparties sur plus d’une dizaine d’albums depuis Les insomniaques s’amusent, en 1992. «La carrière de Daniel Bélanger se mesure par de nombreux critères dont la longévité et le volume de productions musicales, les nombreuses récompenses décernées par les industries culturelles ou encore la perspective interdisciplinaire guidant son travail de création, souligne le professeur. Il s’est illustré autant sur disque et sur scène comme auteur-compositeur-interprète que comme compositeur au cinéma ou encore comme écrivain en poésie et en roman.»

L’écriture de chansons

Flavie Léger-Roy a animé la première partie de la discussion, axée sur l’écriture de chansons. Interrogé à savoir si l’on peut s’entraîner à écrire des chansons, Daniel Bélanger a répondu par l’affirmative. «Je possède des carnets depuis l’âge de 14 ou 15 ans, dans lesquels on retrouve des esquisses de chansons, raconte-t-il. Désormais, je n’écris plus sur une base régulière, mais je suis toujours à l’affût d’idées et j’écris quand il le faut, quand j’ai besoin d’un texte pour une musique, car la musique vient toujours en premier.»

«Je n’ai jamais senti la pression du succès, mais j’ai toujours eu peur de faire deux albums pareils. Je conçois mon travail comme une conversation avec les gens qui m’écoutent et qui assistent aux spectacles. Donc, je ne veux pas me répéter.»

Daniel Bélanger

Auteur-compositeur-interprète et docteur honorifique de l’UQAM

Daniel Bélanger avoue adorer les contraintes quand vient le temps d’écrire. «J’ai longtemps évité les mots en “on” que je ne trouve pas gracieux en bouche, dit-il. Et sur Les insomniaques s’amusent, il n’y a presque pas de rimes en “é”, car ce sont les plus faciles à écrire. C’est un défi que je m’étais donné. Un autre exemple, c’est l’album Déflaboxe (2003), qui ne contient aucun nom féminin dans les neuf premiers rounds, pour instiller une ambiance masculine.»

Chacun de ses albums possède un ton, une texture, une direction artistique différents du précédent, observe Flavie Léger-Roy. «Je n’ai jamais senti la pression du succès, mais j’ai toujours eu peur de faire deux albums pareils, confie l’artiste. Je conçois mon travail comme une conversation avec les gens qui m’écoutent et qui assistent aux spectacles. Donc, je ne veux pas me répéter.»

Le travail en studio

Ons Barnat a pris le relais pour discuter du travail de studio. Daniel Bélanger a révélé, à la grande surprise des trois professeurs, que lorsqu’il arrive à l’enregistrement, ses chansons sont déjà complètement arrangées. «Depuis l’arrivée des ordinateurs, je peux tout faire à la maison, autant la batterie et la basse que la guitare, la voix et les autres instruments, dit-il. Une fois en studio, je donne mes indications aux musiciens et je les laisse y ajouter leur touche.»

C’est sur l’album Rêver mieux qu’il a commencé à assumer une forme de direction artistique s’apparentant à de la réalisation. «En bout de piste, c’est moi qui dois défendre mes chansons sur scène, alors aussi bien prendre les décisions artistiques dès le départ», confie-t-il, sans toutefois renier l’immense travail accompli par les Michel Bélanger (son frère, patron de la maison de disque Audiogram, à l’époque), Rick Haworth (qui a participé à la réalisation de ses deux premiers albums) et Carl Bastien (qui a réalisé Rêver mieux).

«En bout de piste, c’est moi qui dois défendre mes chansons sur scène, alors aussi bien prendre les décisions artistiques dès le départ.»

Daniel Bélanger a raconté comment est née la pièce Intouchable et Immortel, sur l’album Rêver mieux. «J’ai composé les paroles en me rendant au studio en vélo, se rappelle-t-il. Au départ, la chanson durait quatre minutes et c’est au mix qu’on l’a allongée pour en faire une pièce de sept minutes. Mon frère a eu l’idée et c’est le réalisateur Carl Bastien qui a fait ce travail. Moi, j’avais déjà quitté le studio!»

La performance scénique

Tout au long de la discussion, on sent à quel point Daniel Bélanger aime profondément la création et à quel point il apprécie que ses musiciens, en studio comme en tournée, s’approprient ses chansons et y ajoutent leur couleur. «C’est ainsi qu’on peut offrir au public des tournées complètement différentes à chaque album, même si plusieurs chansons sont les mêmes», dit-il.

«Il y a toujours une personne après mes spectacles qui me dit: “Vous n’avez pas joué ma chanson!” C’est inévitable…»

Quand on a la chance de connaître autant de succès, le véritable dilemme, en tournée, consiste à choisir quelles pièces chanter et lesquelles sacrifier. «Il y a toujours une personne après mes spectacles qui me dit: “Vous n’avez pas joué ma chanson!” C’est inévitable…»

L’auteur-compositeur-interprète ne craint pas d’avoir trop d’arrangements sur ses chansons réalisées en studio et de ne pas être capable de reproduire le tout en spectacle. «Sur scène, je dis aux musiciens: faites ce que vous voulez. La base de la chanson est là, alors les spectateurs vont la reconnaître et ils vont l’apprécier. Une seule fois, un musicien en a fait un peu trop, au point où ça me déconcentrait sur scène. Autrement, je ne suis pas jaloux et possessif de mes arrangements originaux. Cette version de la chanson existe sur disque, alors on peut en faire autre chose sur scène.»

Extraits musicaux commentés

On a ensuite proposé à Daniel Bélanger de commenter quelques-unes de ses chansons, extraits musicaux à l’appui. À propos de la première pièce, Opium, tirée de son premier album, Les insomniaques s’amusent, Danick Trottier a rappelé que le musicien a connu la grande époque où les disques se vendaient bien au Québec, celle du vidéoclip et de MusiquePlus. Il lui a demandé ce que ça faisait de réécouter son premier album 35 ans plus tard.

«Ce fut un album difficile à faire. Cela a pris trois ans et trois studios différents, a répondu l’artiste. C’est dans le troisième studio que ça a cliqué avec les musiciens.» Quatre succès radiophoniques tirés de cet album ont lancé la carrière de Bélanger – Opium, Sèche tes pleurs, La folie en quatre et Ensorcelée.

Danick Trottier, Ons Barnat, Daniel Bélanger et Flavie Léger-Roy. Photo: Myriam Laprise

Sur Les Deux Printemps de l’album Quatre saisons dans le désordre (1996) – «le thème universel de l’amour réinventé à la sauce Bélanger», selon Danick Trottier, Daniel Bélanger a raconté une anecdote : «Je l’avais écrite pour le premier album d’Isabelle Boulay, a-t-il révélé, à la grande surprise de toutes et de tous. Elle ne l’a pas prise et j’ai su dernièrement que c’était uniquement une question de droits, à cause de mon éditeur. Si je l’avais appris à l’époque, j’aurais été en colère. Mais ce fut un mal pour un bien, car je n’aurais jamais écrit une telle chanson pour moi.»

«Je ne pensais pas être un bon interprète au début de ma carrière. Entrer dans un personnage et l’interpréter, j’ai appris à aimer ça.»

On écoute ensuite Dis tout sans rien dire, de l’album Rêver mieux. «Il y a une sensibilité et une douceur incroyables sur cet album, remarque Danick Trottier. Lorsque le recteur a évoqué Rêver mieux lors de la cérémonie de ton doctorat honorifique, on a entendu la salle réagir. C’est un album qui a touché beaucoup de gens…»

«Dis tout sans rien dire est une tentative pour se mettre dans la peau d’un schizophrène», souligne Daniel Bélanger. Il ne s’agissait pas de la première incursion du parolier sur le terrain de la santé mentale, puisque La folie en quatre et Ensorcelée, sur son premier album, abordaient ces enjeux. «J’ai travaillé comme préposé aux bénéficiaires dans un centre pour personnes âgées à l’époque où on commençait à parler davantage de la maladie d’Alzheimer, raconte-t-il. Cette expérience a nourri ma compréhension des troubles de santé mentale.»

«Quand tu interprètes Dis tout sans rien dire, es-tu ce personnage?», demande Danick Trottier. «Je ne pensais pas être un bon interprète au début de ma carrière, se souvient Daniel Bélanger. Entrer dans un personnage et l’interpréter, j’ai appris à aimer ça. J’ai été influencé à cet égard par Yvon Deschamps, dont la voix me touchait beaucoup. Je croyais à l’univers qu’il inventait. C’est un bonus dans ma vie d’interpréter, je me dédouble et j’ai beaucoup de plaisir.»

Le dernier extrait est tiré de la pièce Il y a tant à faire de l’album Paloma (2016), un véritable ver d’oreille. «Tu as des succès radio qui témoignent de ton talent mélodique», souligne Danick Trottier. «Mon travail est d’avoir une locomotive, un succès radio qui tire l’album, observe l’artiste. Il y a des paramètres pour ces chansons: une thématique, une durée, etc. Ce sont des paramètres que j’apprécie et que j’inclus dans le processus de création.»

Échanges avec les étudiantes et étudiants

À la fin de la rencontre, les étudiantes et étudiants ont pu poser quelques questions à Daniel Bélanger. Questionné sur la façon de s’y prendre pour connaître du succès, l’artiste avoue que la chance y est sans doute pour beaucoup. À l’époque, la feuille de route était simple, rappelle l’artiste: un album, un single à la radio, un vidéoclip, un passage à MusiquePlus, une tournée. Aujourd’hui, il reconnaît qu’il ne saurait sans doute pas comment faire. «Je pense qu’il faut être authentique au sens où l’on doit faire ce qu’on aime, car si on est en paix avec ce qu’on fait, on voit plus clair pour le reste. Et il faut aussi être business. Avec le temps, j’ai appris à produire mes chansons, mes disques, mes éditions et mes spectacles.»

Un éditeur français lui avait conseillé jadis d’essayer toutes les tâches liées à son métier au moins une fois. «C’est un excellent conseil, car cela permet de baliser ton terrain et d’orienter tes décisions en choisissant ce que tu veux faire, ce que tu aimes faire et ce que tu n’aimes pas faire.»

«Le plus dur, dans ce métier, c’est d’accepter d’être tout seul si ça ne fonctionne pas. L’important, c’est que c’est toi qui dois décider qui tu veux être comme artiste.»

Un étudiant constate que le succès est souvent éphémère au Québec. «Quel est le secret de la longévité?», demande-t-il à l’artiste. «C’est de la persévérance, spectacle par spectacle, comme le porte-à-porte aux élections. On ne peut pas savoir à l’avance quelle sera la réception du public. Mais j’ai mis tout mon cœur à chaque performance, en studio comme en spectacle», répond l’auteur-compositeur-interprète.

Une étudiante l’interroge sur sa peur de répéter le même album. «Où est la ligne entre l’instinct et la stratégie?», questionne-t-elle. «Au début de ma carrière, j’avais le syndrome de l’imposteur, je ne comprenais pas pourquoi les gens m’applaudissaient trois fois par semaine, confie Daniel Bélanger. J’avais l’impression de les leurrer. D’un côté, on veut attirer l’attention des gens et développer une relation à long terme, et quand on se fait applaudir, on a l’impression que la stratégie et la business ont pris le pas sur tout le reste. Aujourd’hui je suis en paix avec cela, car je sais qu’il y a une partie de mystère dans cette rencontre entre un artiste et son public.»

«Comment trouver son identité d’artiste à travers tout ça?», insiste l’étudiante. «Il faut tenter des choses, dont certaines ne fonctionneront pas, répond Daniel Bélanger. On a tous peur d’avoir l’air fou. Le plus dur, dans ce métier, c’est d’accepter d’être tout seul si ça ne fonctionne pas. L’important, c’est que c’est toi qui dois décider qui tu veux être comme artiste.»