Danny Gagné
Ph.D. science politique, 2024
Titre de sa thèse: «La vision du contre-terrorisme de Georges W. Bush à Donald Trump : le piège du discours identitaire dans le recours aux drones armés»
Direction de recherche: Charles-Philippe David, professeur au Département de science politique
Pourquoi les décideurs américains chargés de concevoir la politique étrangère des États-Unis ont-ils privilégié le recours aux drones armés dans la lutte contre le terrorisme international? Cette question était au cœur de la recherche doctorale de Danny Gagné, chercheur en résidence à l’Observatoire des conflits multidimensionnels de la Chaire Raoul-Dandurand. Pour y répondre, le jeune chercheur a opté pour une analyse de contenu des discours tenus au cours des années 2001 à 2021 par trois présidents américains – George W. Bush, Barack Obama et Donald Trump – ainsi que d’un corpus d’articles parus durant la même période dans le New York Times et le Washington Post.
«Je n’ai pas cherché à me prononcer sur le bien-fondé de cette stratégie, à savoir si elle a été bénéfique ou non pour les États-Unis, dit Danny Gagné, qui enseigne également au Collège militaire royal de Saint-Jean. J’ai plutôt voulu comprendre comment et pourquoi les dirigeants politiques américains ont justifié auprès de leur population le recours aux drones armés dans les opérations de contre-terrorisme, manifestant une confiance quasi-aveugle envers cette technologie militaire.»
«Les stratèges américains ont aussitôt manifesté leur enthousiasme face à cette nouvelle technologie qui s’avérait moins coûteuse que l’envoi de troupes au sol et les frappes conventionnelles.»
Danny Gagné,
Chercheur en résidence à l’Observatoire des conflits multidimensionnels de la Chaire Raoul-Dandurand
L’utilisation de drones armés a commencé lors de l’invasion de l’Afghanistan par les États-Unis, au lendemain des attentats du 11 septembre 2001, rappelle le chercheur. «Les stratèges américains ont aussitôt manifesté leur enthousiasme face à cette nouvelle technologie qui s’avérait moins coûteuse que l’envoi de troupes au sol et les frappes conventionnelles.»
Par la suite, l’acquisition de drones par les États-Unis connaît une croissance constante, de même que le nombre de frappes. Des drones armés ont ainsi été utilisés en Irak, au Pakistan, en Syrie, au Yémen et en Somalie. Armes de destruction sophistiquées, mais aussi outils de surveillance et de renseignement, les drones se sont progressivement imposés comme une pièce maîtresse de la stratégie de lutte contre le terrorisme.
Un discours identitaire
Dans sa thèse, Danny Gagné défend l’idée centrale selon laquelle les élites politiques américaines, dans leurs rapports avec les médias et le public, se sont enfermées dans un discours qu’il qualifie d’identitaire pour expliquer le terrorisme et justifier le recours aux drones armés.
Durant les années où ils ont été au pouvoir, Bush fils, Obama et Trump n’ont pas cessé de vanter la précision chirurgicale des drones, qui permet de vaincre l’ennemi terroriste rapidement et proprement, donnant ainsi un visage soi-disant plus humain à la guerre grâce à un emploi discriminé de la force, par opposition à la violence aveugle des groupes terroristes, observe le chercheur. «Les dirigeants politiques se sont appuyés sur ce type de discours pour renforcer l’image des États-Unis en tant que grande puissance bienveillante, modèle à imiter, voire à exporter.»
À l’aide de plusieurs exemples, Danny Gagné montre que «les drones armés ont, en fait,été responsables de bavures et de dommages collatéraux, en particulier sous la présidence d’Obama, faisant plusieurs victimes innocentes au sein des populations civiles dans différents pays».
Du leur côté, le New York Times et le Washington Post ont critiqué le discours va-t’en-guerre de Georges W. Bush, au début des années 2000, et celui alarmiste de Donald Trump, tout en émettant des réserves sur l’efficacité des drones et en mentionnant les dommages collatéraux. «Mais ces médias n’ont jamais remis en question l’usage de drones armés dans la stratégie de lutte contre le terrorisme», indique le chercheur.
«Au cours des années 2001 à 2021, malgré quelques fluctuations, l’opinion publique américaine s’est montrée généralement favorable – jusqu’à 80 % – à l’utilisation de drones dans les opérations anti-terroristes, alors que l’opinion était majoritairement négative dans les autres pays membres de l’OTAN.»
Exploiter le sentiment d’insécurité
Selon Danny Gagné, le discours politique identitaire sur la lutte anti-terroriste constitue une sorte de piège dont il est difficile de se déprendre. «Pour justifier la stratégie consistant à combattre le terrorisme à l’étranger pour ne pas avoir à le faire en sol américain, les dirigeants sont condamnés à exploiter le sentiment de peur de la population et à mettre l’accent sur le fait que la sécurité des États-Unis est constamment en danger.» Le risque que des armes de destruction massive tombent entre les mains de groupes terroristes est sans doute l’élément le plus stable dans leur discours, remarque le chercheur. C’est d’ailleurs l’un des thèmes les plus utilisés par George W. Bush et Barack Obama.
Bon an mal an, comme le montrent les sondages publiés dans le New York Times et le Washington Post, le peuple américain n’a jamais cessé de mettre le terrorisme en tête de liste lorsque questionné sur la plus grande menace pour les États-Unis. Des sondages en 2022 ont révélé que 58 % des Américains et Américaines considéraient le terrorisme comme une menace existentielle.
Une représentation positive des drones
Danny Gagné s’est aussi intéressé à la représentation publique des drones armés. «Au cours des années 2001 à 2021, malgré quelques fluctuations, l’opinion publique américaine s’est montrée généralement favorable – jusqu’à 80 % – à l’utilisation de drones dans les opérations anti-terroristes, alors que l’opinion était majoritairement négative dans les autres pays membres de l’OTAN.»
Aux yeux de la population américaine les drones sont non seulement des armes performantes, mais ils permettent aussi, en évitant l’envoi de soldats sur le terrain, de limiter les pertes en vies humaines du côté des États-Unis. «Le hic est que les drones ne permettent pas nécessairement de mettre fin aux conflits ni au terrorisme, note Danny Gagné. Les groupes terroristes ont appris à s’adapter et à se protéger face à ce type d’arme.»
En conclusion de sa thèse, le chercheur souligne l’importance de l’étude du discours pour approfondir la compréhension des mécanismes de formulation de la politique étrangère. «J’ai essayé de me distancier des approches bureaucratique et organisationnelle pour lesquelles les mouvements de personnel dans les structures de décision, par exemple, ouvrent la porte à des modifications dans l’élaboration de la politique étrangère. De 2001 à 2021, ces mouvements sous trois administrations américaines différentes ont été nombreux, mais cela n’a pas transformé la logique présidant la stratégie de lutte anti-terroriste, soit plus de drones et plus de frappes.»