À partir de quel moment un incel en vient-il à vouloir abandonner cette idéologie? C’est la question de recherche soulevée par Léa-May Burns (B.A. sexologie, 2023) dans un article paru au printemps dernier dans le Journal of Sex Research. «Il s’agit d’une revue prestigieuse et c’est exceptionnel pour une étudiante au baccalauréat d’y voir le résultat de sa thèse de spécialisation publiée», se réjouit sa directrice, la professeure Marie-Aude Boislard, cosignataire de l’article.
La thèse de spécialisation consiste à réaliser un projet de recherche sous la direction d’une professeure ou d’un professeur, dans le cadre du cours Activité de recherche en psychologie. Ce cours est offert aux étudiantes et étudiants ayant complété 60 crédits au baccalauréat avec une moyenne d’au moins 3,5.
La Chaire de recherche du Canada en sexologie développementale, que dirige la professeure, mène depuis plusieurs mois des recherches sur les trajectoires des incels – ces communautés en ligne formées de jeunes hommes hétérosexuels, célibataires involontaires n’ayant pas de succès amoureux ni sexuel auprès des femmes, et qui en viennent souvent à adopter une rhétorique antiféministe, misogyne et haineuse. «La croissance du phénomène va de pair avec l’augmentation du nombre de jeunes qui arrivent à l’âge adulte sans avoir eu d’expériences sexuelles avec un ou une partenaire, voire qui n’ont jamais embrassé quelqu’un», observe-t-elle.
Dans le cadre de sa thèse de spécialisation, Léa-May Burns s’est intéressée à 28 fils de discussion d’un forum de la plateforme Reddit consacré aux personnes souhaitant quitter l’incelosphère. «J’ai utilisé des mots-clés comme leaving inceldom et exit inceldom afin de cibler les fils à analyser, explique l’étudiante. On y trouvait des discussions entre des hommes souhaitant quitter l’incelosphère et d’autres hommes l’ayant déjà fait, et donc à même de leur offrir des conseils.»
Accepter d’abandonner l’idéologie
«Puisque les incels se définissent comme des personnes qui n’ont pas de relations romantiques et/ou sexuelles avec des femmes, la perspective de rencontrer une femme et de nouer une relation romantique est perçue, au départ, comme le meilleur moyen pour quitter l’incelosphère, observe Léa-May Burns. Mais cette quête, lorsqu’elle n’aboutit pas, leur nuit plus qu’autre chose, car elle contribue de ce fait à alimenter leurs ruminations sur les forums.»
Après quelques essais infructueux pour nouer une relation romantique et/ou sexuelle, les hommes qui veulent s’en sortir atteignent un point tournant. «Ils reconnaissent l’importance de changer de convictions, prenant conscience que l’idéologie incel a un effet néfaste sur leur bien-être de manière générale et les empêche d’aller de l’avant», poursuit Léa-May Burns.
«Le début du processus de désaffiliation de l’incelosphère s’effectue en amont des fils de conversation que Léa-May a analysés», précise Marie-Aude Boislard. «Ces hommes se tournent alors vers leurs pairs sur des réseaux comme Reddit afin de trouver des stratégies pour abandonner l’idéologie Incel», explique l’étudiante.
Les conseils reçus: se concentrer sur son bien-être, prendre soin de soi, se faire des amis dans d’autres cercles sociaux, miser d’abord sur les relations familiales et amicales, sans chercher de partenaire amoureuse et/ou sexuelle, et demander de l’aide en santé mentale. «L’un des enjeux que nous avons identifiés a trait à l’accueil et à la qualité des soins offerts à ces hommes dans le réseau de la santé, observe Léa-May Burns. Plusieurs notent qu’ils sont victimes de stigmatisation de la part du personnel en santé mentale. Notre article ouvre la discussion sur une plus grande ouverture de la part des soignants et des intervenants.»
Il faut défaire le mythe du profil incel unique, insiste Marie-Aude Boislard. Tous les hommes qui se retrouvent sur les forums incels ne sont pas radicaux ou à risque de commettre des gestes agressifs. «Le terme ‘’incel’’ est chargé, mais il faut comprendre qu’il existe peu d’espaces de discussion permettant à ces personnes de se retrouver à l’extérieur de l’incelopshère pour discuter de leurs difficultés à entrer en relation intime avec une femme. C’est donc important de développer des ressources pour soutenir leur passage hors ligne.»
À la recherche de participantes
Candidate à la maîtrise en sexologie sous la direction de Marie-Aude Boislard au sein de la Chaire de recherche du Canada en sexologie développementale, Léa-May Burns s’intéresse désormais aux femmes victimes de prude-shaming. «Ce sont des femmes qui se font juger car elles ont peu ou pas d’activités sexuelles, explique-t-elle. C’est l’inverse du slut-shaming: plutôt que de les juger sur leur trop grand nombre de partenaires sexuels ou certaines de leurs pratiques, on les juge sur le fait qu’elles n’en ont pas ou trop peu. C’est une autre façon de contrôler la sexualité des femmes.»
Dans le cadre de son mémoire, Léa-May Burns est à la recherche de femmes de 18 à 29 ans ayant été victimes de prude-shaming et disposées à se prêter à une entrevue de groupe à l’UQAM. Les personnes intéressées peuvent la joindre par courriel.