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Chaînes FAST: un nouveau modèle de diffusion en continu

Stéfany Boisvert prédit une ascension rapide des chaînes gratuites financées par la publicité.

Par Pierre-Etienne Caza

16 décembre 2024 à 10 h 32

Mis à jour le 17 décembre 2024 à 16 h 56

Depuis l’avènement de Netflix au Canada, en 2010, les services de vidéo sur demande se sont multipliés avec Prime Video, Disney+, Apple TV+ et Paramount+, auxquels se sont ajoutées des plateformes nationales comme Tou.tv, illico+ et Crave. Tout le paysage télévisuel semble avoir basculé vers le modèle par abonnement des plateformes de visionnement en ligne. Tout? Non! La contre-attaque s’organise avec les chaînes FAST (Free Ad-Supported Streaming Television), qui proposent la gratuité en échange… du visionnement de publicités!

«Il me semblait évident que le modèle de financement par la publicité allait revenir en force lorsqu’on atteindrait la capacité maximale des clients de payer pour de la vidéo sur demande, analyse la professeure de l’École des médias Stéfany Boisvert. C’est ce qui explique la popularité grandissante des chaînes FAST.»

Les chaînes FAST existent depuis 2014, les plus connues étant Tubi, Pluto, Roku et Freevee. Populaires pour l’instant surtout aux États-Unis et au Canada anglais, elles appartiennent à de grandes entreprises telles que Fox Corporation, Paramount, Twentieth Century Fox et Amazon.

On retrouve sur ces chaînes (que l’on peut visionner en ligne sur le web ou en téléchargeant leur application) deux types de contenu: une offre linéaire de canaux offrant des contenus en direct et une offre de vidéo sur demande, les deux types imposant des publicités en cours d’écoute. «Les publicités y sont plus courtes que sur la télévision traditionnelle, spécifie Stéfany Boisvert. Pendant un film de deux heures, par exemple, il y aura trois interruptions publicitaires d’une durée de deux minutes chacune.» Ces publicités sont ciblées, algorithmes obligent, en fonction de la provenance des auditeurs et de leurs champs d’intérêt.

«Il me semblait évident que le modèle de financement par la publicité allait revenir en force lorsqu’on atteindrait la capacité maximale des clients de payer pour de la vidéo sur demande.»

Stéfany Boisvert

Professeure à l’École des médias

Si cet ancien modèle de financement par la publicité revient en force, c’est que les plateformes de visionnement en ligne sont toutes déficitaires, sauf Netflix, observe Stéfany Boisvert. «Netflix a commencé à être rentable en 2022 après avoir pris le risque d’investir dans des contenus originaux pour devenir incontournable. Pour l’instant, les chiffres lui donnent raison, mais les autres plateformes, qui ont aussi investi dans ce type de contenus, très coûteux à produire, ne peuvent soutenir le rythme. Disney+ et Prime Video, qui appartiennent pourtant à de riches conglomérats, ont considérablement réduit leurs investissements dans des productions originales au cours des dernières années, car le modèle n’est pas rentable.»

Aux impératifs comptables des plateformes de visionnement en ligne s’ajoute le comportement des téléphiles. «Les gens se lassent d’une trop grande offre de contenu audiovisuel, analyse la spécialiste. C’est ce qu’on appelle le phénomène de la fatigue décisionnelle: on passent des demi-heures entières à parcourir le catalogue d’une plateforme sans réussir à faire un choix. Une partie des chaînes FAST répondent au désir de syntoniser une chaîne et d’écouter quelques émissions en rafale.»

Plusieurs chaînes FAST sont dédiées à des classiques de la télévision, comme certaines sitcom américaines, mais l’offre inclut aussi des épisodes d’anciennes téléréalités, des films et même de l’information en continu. «On commence à voir des plateformes de streaming se départir d’une partie de leur catalogue pour la vendre à des chaînes FAST», observe la professeure.

Le défi: rajeunir l’auditoire

Au cours des dernières années, la valeur en bourse des chaînes FAST a monté en flèche. «C’est le nouvel El Dorado dans l’industrie du streaming, assure Stéfany Boisvert. Digital TV Research estime que les revenus des FAST devraient augmenter de 117 % d’ici 2029.»

Encore peu connues du grand public, les chaînes FAST sont appelées à se multiplier au cours des prochaines années, prédit Stéfany Boisvert. «Je ne sais pas si elles représentent l’avenir des plateformes de diffusion en continu, mais je crois que de plus en plus de gens vont les adopter, ne serait-ce que comme service complémentaire aux services payants», dit-elle.

Et les plus jeunes, férus de YouTube et de Tik Tok, se tourneront-ils vers les chaînes FAST eux aussi? Dans ses cours, Stéfany Boisvert remarque que ses étudiantes et étudiants, âgés entre 18 et 25 ans, ne les connaissent pas. «Pour l’instant, l’offre des chaînes FAST n’est pas très attrayante pour les jeunes adultes, observe la professeure. On s’adresse surtout aux 35 ans et plus, avec des contenus qui leur rappellent leur adolescence. Mais il y a fort à parier que les entreprises sauront s’adapter pour attirer une clientèle plus jeune… qui, de toute façon, regarde déjà de la publicité sur YouTube. Il suffit maintenant de lui offrir des contenus qui lui plaisent.»

decouvrabilite
Un enjeu de découvrabilité

Depuis quelques années, les fabricants de téléviseurs ont emboîté le pas, créant des chaînes FAST disponibles uniquement sur leurs appareils.  «Samsung TV Plus, par exemple, offre des centaines de chaînes en direct qui diffusent souvent une seule émission populaire, comme Top Gear ou Hell’s Kitchen», illustre Stéfany Boisvert.

Ces chaînes FAST visent à rendre les téléviseurs plus attrayants pour les consommateurs. Mais, pour l’instant, le principal enjeu pour les producteurs de contenus québécois, ce sont  les ententes signées par les fabricants d’appareils avec les plateformes de visionnement en ligne. «Quand on allume un téléviseur intelligent, on arrive sur un écran d’accueil qui propose par défaut certaines applications, note Stéfany Boisvert. On retrouve même certaines d’entre elles sur les boutons de la manette. Or, la recherche a démontré que ces applications sont davantage sélectionnées par les utilisateurs.»

Les services canadiens de visionnement en ligne comme Crave, illico+ et Tou.tv ne sont pas assez puissants pour négocier des contrats avec les fabricants de téléviseurs, comme les géants coréens Samsung et LG, qui dominent le marché mondial. «L’absence des applications canadiennes sur ces appareils diminue le potentiel de découvrabilité de nos contenus nationaux, souvent perdus au milieu des contenus américains dans les catalogues», analyse la professeure.

Des efforts ont été faits par les entreprises canadiennes afin de s’assurer que leurs plateformes soient compatibles avec les différents systèmes de télévision en ligne Fire Stick (Amazon), Roku, Apple TV, Chromecast (Google). «Même si toutes les applications canadiennes étaient compatibles avec ces systèmes, le nerf de la guerre demeure l’écran d’accueil du téléviseur, observe Stéfany Boisvert. Beaucoup de gens ont de la difficulté à utiliser leur téléviseur intelligent et ne savent pas comment installer de nouvelles applications. Ils choisissent ce qui leur est proposé sur leur écran d’accueil.»

L’Australie a voté une loi pour obliger les fabricants de téléviseurs à offrir sur l’écran d’accueil de leurs nouveaux modèles les plateformes de diffusion en continu nationales. «Il serait possible de faire la même chose au Canada et nous pourrions même aller plus loin en exigeant que cela s’applique aussi aux téléviseurs plus anciens par le truchement d’une mise à jour à distance de leur système d’exploitation, souligne la chercheuse. Il ne faut pas trop attendre, car, d’année en année, les parts de marché de nos services de diffusion nationaux diminuent.»