La Chaire de recherche du Canada sur la citoyenneté culturelle des personnes sourdes et les pratiques d’équité culturelle a lancé, le 31 mai, une campagne de sensibilisation sur les réseaux sociaux ayant pour thème «La diversité capacitaire fait vibrer la culture». La campagne vise à inciter le milieu culturel québécois à s’engager dans des actions pour développer l’équité à l’égard des personnes sourdes, en situation de handicap, neuro-atypiques et psycho-atypiques.
«Le concept de la campagne consiste en la diffusion sur les réseaux sociaux d’une capsule vidéo de 50 secondes, qui présente des artistes de la diversité capacitaire, avec des effets visuels dynamiques et une trame narrative incitant à l’action», explique la professeure du Département de communication sociale et publique Véronique Leduc, titulaire de la Chaire. La vidéo se termine par une invitation à visiter le site web de la campagne. Celui-ci regroupe une foule d’informations pour toute personne œuvrant dans le milieu de la culture, notamment en ce qui concerne les gestes à poser pour favoriser l’équité culturelle.
La campagne est menée en collaboration avec le Conseil des arts et des lettres du Québec, le Conseil des arts de Montréal, l’entreprise Services linguistiques CB (SLCB) et un comité aviseur formé de plusieurs membres des milieux culturels, en partenariat avec 35 organismes des milieux de la culture et de la recherche.
Faible représentation de la diversité capacitaire
En 2020, Véronique Leduc, première professeure sourde en milieu universitaire au Québec, était la chercheuse principale du projet intitulé «Les pratiques artistiques des personnes sourdes et handicapées au Canada», mené pour le compte du Conseil des arts du Canada. Plusieurs enjeux avaient alors émergé quant à la représentation des artistes de la diversité capacitaire sur les scènes et les écrans (télévisions, cinéma). L’équipe de recherche avait rencontré 85 personnes à travers le pays: des artistes ainsi que des travailleuses et travailleurs culturels, issus de la diversité capacitaire.
«Leurs expériences et leurs réflexions nous avaient conduit à trois constats principaux, rappelle la professeure. D’abord, alors qu’une personne sur cinq au Canada est en situation de handicap, il est plus que temps que nos scènes et nos écrans soient davantage représentatifs de cette réalité. Ensuite, les rôles écrits pour les personnes sourdes ou handicapées sont souvent stéréotypés, projetant une image trop misérabiliste. Enfin, les personnages sont incarnés par des personnes non-handicapées.»
En décembre dernier, la Chaire de recherche du Canada sur les médias, les handicaps et les (auto)représentations, dont le titulaire est le professeur de l’École des médias Mouloud Boukala, a lancé une nouvelle base de données sur les représentations médiatiques du handicap et de la sourditude au Québec pour la période 1980-2000. Accessible gratuitement, celle-ci permet de repérer les productions médiatiques iconiques (bandes dessinées et romans graphiques) et audiovisuelles (films documentaires et de fiction, séries télé et installations immersives) présentant au moins un personnage en situation de handicap, neurodivergent et/ou sourd.
Actions et pratiques exemplaires
Sur le site web de la campagne, la Chaire de Véronique Leduc propose plusieurs actions concrètes inspirées de pratiques exemplaires. «Les actions de type systémique sont les plus importantes, soutient la professeure. Par exemple, chaque institution culturelle devrait se doter d’un plan stratégique en matière d’équité et envisager des actions pour atteindre les objectifs fixés. Malheureusement, il y a encore trop d’initiatives de façade qui ne contribuent pas à résoudre les problèmes d’accessibilité, d’inclusion et de représentativité au sein des institutions.»
Plusieurs actions peuvent être réalisées en fonction des ressources dont disposent les organismes des milieux culturels, poursuit Véronique Leduc. «On peut diffuser les pratiques artistiques des personnes de la diversité capacitaire dans des festivals, des théâtres ou des musées. On peut aussi embaucher des personnes au sein d‘une équipe de travail ou à titre de consultantes et consultants afin d’enrichir la représentativité et l’accessibilité d’une œuvre. Enfin, il est possible d’encourager les collaborations entre les artistes de la diversité capacitaire et les artistes non handicapés, et de diffuser les recherches et outils produits par notre Chaire.»
Créer des rôles pour les artistes de la diversité capacitaire et offrir des spectacles accessibles comptent parmi les pratiques exemplaires existantes. «La série Le temps des framboises de Pierre Falardeau met en scène un jeune sourd, un fait rare dans l’histoire cinématographique et télévisuelle québécoise, observe la professeure. Le Théâtre du Rideau Vert, pour sa part, offre un système d’aide à l’audition, des représentations surtitrées en français et en anglais, des soirées avec interprétation en langue des signes québécoise (LSQ) et de la théâtrodescription.»
Le site de la campagne contient une section de témoignages, dont celui du comédien Paul Ahmarani qui a joué dans la pièce Une maison de poupée, interprétée en LSQ. «En 25 ans de carrière, c’était la première fois que je vivais ça au théâtre. Comment se fait-il qu’à chaque série de représentations théâtrales, on n’ait pas une soirée avec traduction en langue des signes et une autre avec audiodescription? Il me semble que c’est une question de justice.»
Optimiste malgré tout
Véronique Leduc souligne que, depuis plus de 60 ans, les mouvements des personnes sourdes et handicapées dénoncent l’inertie et appellent à des changements sociaux pour contrer les injustices. «Mais je suis optimiste, dit-elle, et j’essaie de me centrer sur les bons coups des milieux culturels. Derrière chaque institution se trouvent des individus, dont plusieurs souhaitent une plus grande équité culturelle. Maintenant, comme dit notre cher Fred Fortin, “il faut que les bottines suivent les babines”. Il ne suffit pas de rêver à un monde meilleur, encore faut-il faire des efforts pour y contribuer activement.»
Dans la foulée de la campagne et de ses recherches, la Chaire organisera trois journées de réflexion à Bibliothèque et Archives nationales du Québec, du 18 au 21 octobre prochains, incluant des ateliers, des tables rondes et une soirée de performances réalisée en partenariat avec le festival Phenomena.