Depuis quelques années, plusieurs agriculteurs québécois épandent dans leurs champs des boues d’épuration provenant du traitement des eaux usées municipales. Mélangées avec du compost, ces boues servent de fertilisants au même titre que le fumier d’animaux pour augmenter le rendement des terres agricoles. Est-ce une bonne idée?
Les biosolides que sont les boues d’épuration contiennent une grande variété de polluants qui peuvent contaminer les champs et l’environnement lorsqu’ils sont relâchés en trop grandes quantités. On y retrouve notamment des PFAS, ces substances chimiques synthétiques qui sont utilisées dans de nombreux produits manufacturés qu’on retrouve dans nos maisons comme les batteries, les textiles, les revêtements antiadhésifs des poêles à frire, les produits d’emballage en alimentation ainsi que les produits cosmétiques.
Ces composés chimiques se dégradent difficilement dans l’environnement et peuvent y subsister pendant des mois, voire des années, d’où leur surnom de «polluants éternels».
Contamination des sols et de l’eau
Lorsque les agriculteurs répandent les boues d’épuration dans leurs champs, les PFAS se mélangent au sol. Avec l’irrigation et les précipitations, ces contaminants s’infiltrent dans la terre et les cours d’eau.
Si la contamination est trop élevée, les PFAS risquent d’être absorbés par les racines des plantes. Ces composés chimiques peuvent également demeurer dans les cours d’eau suffisamment longtemps pour retourner dans le réseau d’aqueduc des villes, et donc dans l’eau qui coule de nos robinets.
Contamination de l’alimentation
Il importe de souligner que les biosolides ne sont pas autorisés pour les plantations destinées aux humains. Il y a donc peu de chances que ces contaminants se retrouvent directement dans les fruits et légumes que nous consommons. Mais qu’en est-il des animaux d’élevage et de leur nourriture?
À l’heure actuelle, les agriculteurs québécois peuvent épandre des boues d’épuration sur les cultures servant à l’alimentation des animaux d’élevage tels que le porc, la vache laitière et le bœuf. Puisqu’une grande proportion des contaminants provenant des biosolides sont absorbés par les plantes, ils sont également ingérés par les animaux d’élevage qui s’en nourrissent.
Selon une étude réalisée aux États-Unis en 2019, des chercheurs ont constaté que le foie des porcs contenait jusqu’à 4 fois plus de contaminants lorsqu’ils étaient nourris avec des cultures enrichies par des biosolides. Ils ont également remarqué des concentrations plus élevées dans la majorité des tissus du porc, dont la chair destinée à la consommation. Cette tendance se maintient pour d’autres produits dérivés de l’élevage.
Dans cette même étude, on a remarqué que les PFAS pouvaient non seulement s’accumuler dans les tissus des poules pondeuses, mais qu’ils pouvaient également être transmis à leurs œufs. En moyenne, les œufs contenaient près de la moitié de la concentration de contaminants PFAS détectés chez la mère. Le niveau de contamination restait toutefois en-dessous des seuils identifiés comme étant problématiques pour la consommation selon la santé publique des États-Unis. En revanche, l’accumulation à long terme et le transfert de ces contaminants éternels dans la chaîne alimentaire crée un cercle vicieux que les humains perpétuent… à leurs risques et périls.
Effets chez les rats
Les PFAS sont utilisés depuis plusieurs décennies, mais on les étudie depuis peu. Des chercheurs australiens du Global Centre for Environmental Remediation ont déterminé en 2021 que la nourriture et l’eau potable représentaient les deux sources de contamination les plus importantes à surveiller au regard des PFAS.
Ces chercheurs ont observé que les PFAS pouvaient «limiter la croissance et la reproduction, perturber l’action des hormones ainsi que les fonctions du cerveau» chez des rats de laboratoire.
Ils ont également identifié des problèmes de santé potentiels pour les humains, incluant des effets cancérigènes, une augmentation de l’obésité chez les jeunes et une baisse d’efficacité du système immunitaire. Plus d’études seront toutefois nécessaires pour déterminer les seuils minimaux de toxicité pour chaque substance.
Réglementation et actions politiques
À l’heure actuelle, aucune réglementation québécoise n’a déterminé de seuils de contamination acceptables pour les PFAS dans les produits alimentaires et dans l’environnement.
En février 2023, le ministre de l’Environnement, de la Lutte contre les changements climatiques, de la Faune et des Parcs, Benoit Charette, a instauré un moratoire temporaire sur les biosolides en provenance des États-Unis et un projet de règlement a été déposé il y a quelques semaines interdisant l’épandage de biosolides municipaux importés.
L’objectif du gouvernement du Québec est d’instaurer un seuil acceptable de contamination et d’assurer un contrôle plus serré sur l’utilisation de ce type de fertilisants avant de lever l’interdiction. Les mesures à venir n’ont pas encore été détaillées, et elles ne concernent pas les biosolides produits au Québec et au Canada (aucune assurance n’est fournie en ce qui concerne la qualité des boues municipales produites au Québec).
Cela représente tout de même un pas dans la bonne direction, mais plusieurs suivis devront être réalisés afin de mieux comprendre ces nombreux contaminants ainsi que leurs effets potentiels sur la santé humaine et animale, les terres agricoles et les milieux naturels.
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Cet article a été rédigé dans le cadre du cours Éléments d’écotoxicologie donné au trimestre d’hiver 2023 par les professeurs Philippe Juneau, Maikel Rosabal Rodriguez et Jonathan Verreault, du Département des sciences biologiques. Les étudiants, inscrits au baccalauréat en sciences naturelles appliquées à l’environnement ou au certificat en écologie, devaient produire un article de vulgarisation scientifique qui a été évalué dans le cadre du cours. Il s’agissait d’un premier contact, dans leur cursus, avec la toxicologie et la santé environnementale. Parmi les cinq meilleurs articles choisis par les professeurs, Actualités UQAM a sélectionné celui d’Olivier Lefebvre pour publication.