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Appartenance et territorialité

Deux expositions de femmes artistes présentées à la Galerie de l’UQAM explorent le rapport au territoire.

14 février 2023 à 16 h 23

La Galerie de l’UQAM amorce sa programmation d’hiver en accueillant deux expositions de femmes artistes consacrées aux thématiques de l’appartenance et de la territorialité. Dans la grande salle, l’exposition collective Eshi uapatakau ishkueuatsh tshitassinu / Regards de femmes sur le territoire réunit les œuvres de trois artistes de la Première Nation des Pekuakamiulnuatsh de Mashteuiatsh, dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Le territoire matériel et immatériel y occupe une place centrale en tant que promesse de vie meilleure et lieu de transmission, de connexion ou de guérison lié à l’identité.

La seconde exposition, Effacer voir ou le jour où j’ai arrêté de dessiner, propose des œuvres de Lynn Kodeih, finissante à la maîtrise en arts visuels et médiatiques. À travers des expérimentations formelles et plastiques creusant le rapport au territoire, l’artiste génère des protocoles de disparition de l’image pour révéler sa matérialité.


Questionner la relation au territoire

Eshi uapatakau ishkueuatsh tshitassinu / Regards de femmes sur le territoire regroupe trois installations créées lors du programme de résidence 2021-2022 du centre d’artistes Le LOBE de Chicoutimi. Céline Kushpu de Marie-Andrée Gill, Takuneu, porter la vie de Sophie Kurtness et Ninanamapalin / Mon corps tremble de Soleil Launière ont été réalisées à l’occasion des résidences respectives des artistes. Guidées par la commissaire Sonia Robertson et accompagnées par la professeure du Département d’histoire de l’art Caroline Nepton Hotte, les trois artistes ilnues (ou innues), provenant d’univers variés (littérature, arts visuels et théâtre), questionnent leur relation au territoire.

Rassemblant pour la première fois les trois œuvres au sein d’une mise en espace commune, le projet d’exposition est né du désir de faire connaître au milieu artistique les femmes artistes pekuakamilnuatsh de la communauté de Mashteuiatsh.

Pour la commissaire et artiste Sonia Robertson, elle-même une Ilnue de Mashteuiatsh, l’exposition contribue à nourrir sa propre réflexion sur les fonctions de l’art chez les Premières Nations, plus particulièrement chez les Ilnuatsh (les Ilnuatsh font partie de la Nation ilnue). «En tant qu’art-thérapeute, je cherche à mettre en lumière les fonctions homéostatiques de l’art, qui sont très anciennes chez les Ilnuatsh et qui ont inspiré certaines notions fondamentales de l’art-thérapie. Les pratiques artistiques servent à se reconnecter à soi, aux autres et au monde invisible des Esprits, si cher aux Ilnuatsh. Le territoire réel ou imaginaire sert de base à ces pratiques, car il est lié à notre identité, individuelle et collective.»

Accompagnatrice du projet d’exposition et doctorante en sciences des religions, la professeure Caroline Nepton Hotte est également membre de la communauté ilnue de Mashteuiatsh. S’inspirant de travaux féministes et de réflexions sur les épistémologies autochtones, elle documente et analyse les expressions des identités et des cosmologies des Premiers Peuples à travers les pratiques artistiques des femmes autochtones.


Les artistes de Mashteuiatsh

Artiste, scénariste et autrice dont l’identité est ancrée dans les valeurs de ses ancêtres et de l’oralité, Marie-Andrée Gill porte un regard sur le monde empreint d’une poésie pure et brute. Elle utilise un langage qui rappelle le nehlueun, langue ilnue. Son écriture se déploie dans l’intime et la relation au territoire comme guérison. Elle s’inspire aussi du quotidien et de la culture pop pour opérer une transition vers un monde décolonial. Son plus récent recueil, Chauffer le dehors (La Peuplade, 2019), a remporté le prix Poésie du Salon du livre du Saguenay–Lac-Saint-Jean (2019) et le Indigenous Voice Award (2020).

Artiste multidisciplinaire, Sophie Kurtness interroge les frontières entre la peinture et l’installation. Mélange de sensibilité et de force, ses œuvres expriment le lien qui unit l’Ilnu à la terre, aux esprits et aux animaux. Son travail a été présenté plusieurs fois au Musée amérindien de Mashteuiatsh ainsi qu’à Séquence (Chicoutimi), Espace F (Matane) et à la Maison de la culture Frontenac (Montréal). Sophie Kurtness a participé à plusieurs symposiums art-nature, notamment au Mexique. Elle est codirectrice artistique de la nouvelle exposition permanente du Musée amérindien de Mashteuiatsh, laquelle a reçu le prix Excellence de l’Association des musées canadiens.

Dans son travail diffusé au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Australie et aux États-Unis, Soleil Launière s’inspire des mythes et de l’esprit des animaux. Combinant le théâtre, le chant et la performance, elle a présenté sa première production, Umanishish, à l’Usine C, en 2019, et signé la mise en scène de Nikamotan-Nicto, dans le cadre de Présence autochtone. En 2020, Soleil Launière a été co-metteure en scène de Courir l’Amérique, une pièce présentée au Théâtre de Quat’Sous, et a réalisé sa deuxième production Sheuetamu. Elle complète actuellement une résidence à l’École nationale de théâtre du Canada.


Frontières, errance et appartenance

Dans Effacer voir ou le jour où j’ai arrêté de dessiner, l’étudiante Lynn Kodeih, née au Liban et établie au Québec depuis 2020, explore les thématiques d’espace, de frontière, d’errance et d’appartenance dans un monde colonial et postcolonial. Évoquant le flottement entre les lieux d’origine, d’affiliation et de perte, elle réfléchit à la manière de se positionner en tant qu’immigrante au Canada. Que peut-on amener dans ce nouveau pays et que devons-nous laisser derrière nous? Qu’est-ce qui délimite un nouveau territoire, le rend stérile, hostile ou accueillant?

L’exposition présente un corpus d’œuvres alliant vidéo et impression sur textile. Lynn Kodeih multiplie et surimpose des images qui se saturent jusqu’à disparaître. L’artiste utilise aussi la céramique pour explorer la matérialité de la trace par l’empreinte et le façonnage. Ses œuvres révèlent son désir d’effacer le paysage pour en rendre d’autres possibles.

Le travail de Lynn Kodeih a été présenté dans le cadre de plusieurs expositions collectives à l’international, notamment en Norvège, aux Pays-Bas et au Liban. Lors d’une rencontre performative à la Galerie, le 22 mars prochain, à 17 h 30, l’étudiante parlera de sa démarche artistique et de ses recherches à la maîtrise.

Les deux expositions se poursuivent jusqu’au 1er avril prochain.