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Croiser religions, féminismes et genres

Un nouveau chantier du RéQEF aborde le religieux comme lieu de domination patriarcale… et d’affirmation des femmes.

Par Claude Gauvreau

12 avril 2022 à 15 h 04

Mis à jour le 9 juin 2022 à 13 h 09

Illustration: Getty/Images

À l’automne 2021, un nouveau chantier d’études, «Religions, Féminismes et Genres», a été créé au sein du Réseau québécois en études féministes (RéQEF), à l’initiative des professeures Marie-Andrée Roy, du Département de sciences des religions, et Anne Létourneau (Ph.D., sciences des religions, 2015), de l’Université de Montréal. Constituant un espace spécifique de recherches, ce chantier s’intéresse aux études féministes et de genre des manifestations du religieux dans des pratiques et des discours passés et actuels.

«Des recherches s’effectuent dans ce domaine depuis quelques années de manière éparpillée, note Marie-Andrée Roy. Le chantier permettra de fédérer ces travaux au sein d’un réseau qui regroupe une quinzaine de chercheuses provenant d’universités francophones, d’ici et d’ailleurs, ainsi que d’horizons disciplinaires diversifiés: anthropologie, histoire, sociologie, théologie et sciences des religions.»

En plus de l’étude des phénomènes religieux contemporains, le chantier s’intéresse aux travaux historiques et philologiques sur des périodes et des productions culturelles anciennes, notamment l’exégèse féministe des Écritures saintes et des textes sacrés (Bible, Coran), ou encore l’analyse des représentations artistiques au fondement des traditions religieuses et spirituelles. Le chantier encourage également l’étude des spécificités des féminismes religieux et de leurs liens avec le mouvement des femmes dit séculier ainsi que des rapports entre le champ religieux et les minorités sexuelles et de genre.

«Les grandes traditions religieuses – christianisme, islam, judaïsme – manifestent toujours une volonté de contrôler sous différentes formes le corps et la sexualité des femmes, notamment à travers les interdits et les contraintes concernant la contraception, l’avortement, l’adultère et l’homosexualité.»

Marie-Andrée Roy,

Professeure au Département de sciences des religions

Pour les chercheuses membres du chantier d’études, le champ religieux au 21e siècle demeure un lieu de production et de régénération du patriarcat. «Les grandes traditions religieuses – christianisme, islam, judaïsme – manifestent toujours une volonté de contrôler sous différentes formes le corps et la sexualité des femmes, notamment à travers les interdits et les contraintes concernant la contraception, l’avortement, l’adultère et l’homosexualité», souligne Marie-Andrée Roy. De plus, aucune de ces traditions n’échappe à l’hyper-valorisation de la figure de la mère, laquelle contribue à renforcer le modèle patriarcal. «Les féministes ne rejettent pas la maternité, dit la professeure, mais elles critiquent la volonté de réduire les femmes à leur rôle maternel.»

Affirmation et résistances

Selon Marie-Andrée Roy, de plus en plus de recherches montrent toutefois que le champ religieux est aussi un lieu d’affirmation des femmes, de résistance et d’expression de nouvelles subjectivités féministes. «La critique et la résistance à l’hégémonie patriarcale ne proviennent pas seulement des féministes progressistes ou libérales, note la chercheuse. Elles émanent également de femmes appartenant à des communautés religieuses traditionnelles ou issues de nouveaux mouvements religieux et spiritualistes, qui recherchent l’égalité religieuse, juridique et sociale entre les hommes et les femmes.»

Est-ce à dire que l’on peut être à la fois catholique, juive ou musulmane et féministe? «Plusieurs personnes considèrent que c’est impossible, observe Marie-Andrée Roy. Mais, tant à l’intérieur du RéQEF que du champ des études féministes, on reconnaît la nécessité d’intégrer ce qu’on appelle les féminismes religieux à l’ensemble du mouvement des femmes ainsi que la pertinence d’analyser le fait religieux dans une perspective féministe.»

«La critique et la résistance à l’hégémonie patriarcale ne proviennent pas seulement des féministes progressistes ou libérales. Elles émanent également de femmes appartenant à des communautés religieuses traditionnelles ou issues de nouveaux mouvements religieux et spiritualistes, qui recherchent l’égalité religieuse, juridique et sociale entre les hommes et les femmes.»

Que ce soit au sein ou à la marge des traditions religieuses, on observe le développement d’innovations symboliques et la production de rituels qui s’inscrivent dans une perspective féministe, indique la professeure. Ainsi, des féministes américaines se sont réapproprié le rituel du séder, un repas de la Pâque juive qui commémore la libération du peuple hébreu après des années d’esclavage dans l’ancienne Égypte. «Elles l’utilisent pour célébrer des expériences d’émancipation des femmes et le rôle rassembleur de figures féminines dans la tradition judaïque», remarque Marie-Andrée Roy.

Au Québec, le collectif L’autre Parole regroupe des femmes s’identifiant comme féministes et chrétiennes, qui défendent des valeurs de justice et d’égalité, et affirment leur solidarité avec les luttes et revendications du mouvement des femmes. Le collectif publie une revue éponyme abordant diverses thématiques: les perspectives féministes sur la laïcité et le catholicisme, les impacts du fondamentalisme chrétien sur les femmes, l’avortement, la violence conjugale, sexuelle et psychologique envers les femmes, etc.

Réécrire les textes sacrés

«Des membres du collectif réécrivent carrément des textes de l’Ancien et du Nouveau Testament, note la chercheuse. C’est un geste de création et de réappropriation reposant sur l’idée selon laquelle les textes sacrés ne sont pas clos, n’appartiennent pas exclusivement aux hommes et doivent intégrer l’expérience des femmes.»

Du côté de l’islam, on constate une volonté chez des femmes musulmanes d’affirmer leur propre discours religieux, un phénomène auquel il faut être attentif, insiste Marie-Andrée Roy. «Ces femmes proposent, entre autres, une autre lecture du Coran. On sait que la fonction d’exégèse, soit d’interprétation des textes sacrés, est admise chez les juifs et les chrétiens. Dans la tradition musulmane, toutefois, il est difficile d’interpréter librement la parole du prophète. Le fait que des musulmanes veuillent pratiquer l’exégèses des textes coraniques, des hadits notamment, témoigne d’une audace assez remarquable.»

Ce travail d’exégèse de la part de musulmanes rencontre de fortes résistances dans les pays arabo-musulmans. Au Maroc, par exemple, Asma Lamrabet, une féministe musulmane de réputation internationale a fait le pari pendant plusieurs années de travailler avec les institutions religieuses de son pays pour proposer une lecture du Coran qui soit différente de la lecture patriarcale traditionnelle et pour trouver une voie permettant aux femmes de s’affirmer. «En 2019, après s’être heurtée aux leaders religieux conservateurs autour de l’interprétation du code de la famille, Asma Lamrabet a interrompu sa collaboration et a abandonné le port du voile par conviction personnelle, sans renier ses croyances», rappelle la professeure

Scandales sexuels

Ces dernières années, les révélations de scandales sexuels au sein de l’Église catholique ont suscité une onde de choc et incité des femmes catholiques à s’engager dans le combat féministe. «On a beaucoup parlé des abus sexuels commis par des prêtres à l’endroit de jeunes garçons dans des pensionnats ou des orphelinats, mais de nombreuses religieuses et jeunes femmes au Canada, en Europe et en Afrique comptent aussi parmi les victimes. Des religieuses ont même été contraintes d’avorter après être tombées enceintes. Ces abus ont amené plusieurs femmes catholiques à rompre avec l’Église.»

L’émergence du mouvement #MeToo, en 2017, a également conduit des femmes catholiques à dénoncer les actes de violences à caractère sexuel et à s’investir dans les luttes féministes, relève Marie-Andrée Roy.

Travaux en cours

Au cours des prochains mois, le chantier Religions, Féminismes et Genres entend faciliter le réseautage dans des universités québécoises, canadiennes et de la Francophonie par le partage de travaux communs, l’organisation de colloques et la publication d’infolettres répertoriant l’ensemble de ses activités. Une classe magistrale interuniversitaire est aussi prévue en octobre 2022, réunissant des spécialistes francophones du Québec et de l’international sur les thèmes croisés de la religion, du féminisme et des questions de genre. Enfin, les membres du chantier superviseront la publication d’un numéro spécial de la revue Recherches Féministes.

À l’occasion du prochain congrès de l’Acfas, le chantier organisera, le 9 mai, une table ronde animée par Marie-Andrée Roy, portant sur les nouvelles avenues en recherche féministe sur le religieux. Cet événement s’inscrit dans le cadre du colloque «Focus sur de nouvelles avenues en recherche féministe» organisé par le RéQEF.