Perdre un enfant pendant la grossesse, l’accouchement ou les premiers jours de vie du bébé constitue un épisode douloureux. «Tout le monde connaît dans son entourage des gens qui ont vécu ce type d’événement bouleversant et qui ont dû retourner au travail le lendemain ou quelques jours plus tard», souligne la professeure du Département de psychologie Sophie Meunier. À l’occasion de la Journée mondiale de sensibilisation au deuil périnatal, le 15 octobre, la chercheuse lance un projet de recherche visant à mieux comprendre la réalité des parents travailleurs qui vivent un tel deuil.
«En matière de soutien au deuil périnatal, il y a clairement un vide», observe Sophie Meunier, qui dirige le Laboratoire de recherche sur la santé au travail. Si le décès survient avant 20 semaines de grossesse (résultat d’une fausse couche ou d’une interruption de grossesse), les parents ne sont pas admissibles aux prestations du Régime québécois d’assurance parentale (RQAP) ni aux congés de maternité ou de paternité, illustre-t-elle. «Ils retournent travailler très rapidement, malgré le fait qu’il s’agisse d’un événement traumatisant susceptible de provoquer de la détresse psychologique pouvant subsister pendant une, voire deux années.»
Un décès qui survient après 20 semaines de grossesse donne droit à un congé de maternité de 18 semaines du RQAP. «Dans les faits, il s’agit d’un congé pour que la mère se remette physiquement, mais on ne se préoccupe pas beaucoup de son état psychologique, déplore Sophie Meunier. Le père, lui, n’a rien, à moins d’aller voir son médecin pour obtenir un congé.»
Un sujet tabou
Le deuil périnatal est un sujet délicat au sein des familles, mais encore davantage en milieu de travail, estime Sophie Meunier. «C’est un sujet intime et tabou, que l’on ne sait pas trop comment aborder, non seulement dans la vie, mais aussi dans le milieu de la recherche: très peu d’études s’intéressent aux liens entre le deuil périnatal et le milieu de travail.»
La professeure a publié récemment une revue de la littérature sur la question dans la revue Work. «Nous avons recensé à peine quelques études qualitatives avec un petit nombre de participantes – cela varie entre 20 et 30. Il s’agissait surtout de mères, car les pères sont éjectés de l’équation. Il y a place à des études de plus grande envergure pour mieux comprendre le phénomène.»
Objectif: 300 parents
Dans le cadre de l’étude qui s’amorce, pour laquelle elle a obtenu le soutien financier du programme Développement savoir du CRSH, Sophie Meunier espère recruter 300 parents, autant pères que mères, qui ont vécu un deuil périnatal au cours des 12 derniers mois. Un questionnaire en ligne élaboré avec l’assistante de recherche Myriam Bédard-Lévesque (B.Sc. psychologie, 2021) lui permettra de recueillir des informations quant au type de décès, aux symptômes de deuil éprouvés, au fonctionnement lors du retour au travail, etc.
Retourner au travail et côtoyer des collègues peut constituer une source de soutien et aider au rétablissement, ou au contraire devenir une source de stress et empirer la détresse psychologique, souligne la chercheuse. «Voilà pourquoi nous souhaitons que les parents nous racontent comment s’est déroulé leur processus de retour au travail et nous expliquent les aménagements dont ils ont bénéficié, le cas échéant. Nous pourrons ainsi être en mesure de proposer, à la fin de l’exercice, un guide des meilleures pratiques à mettre en place pour soutenir les parents travailleurs.»
L’équipe de recherche compte suivre les participants pendant un an et demi, les participants étant invités à remplir le questionnaire deux autres fois à six mois d’intervalle. «Cela permettra d’analyser si les symptômes de deuil se sont atténués et si le fonctionnement au travail s’est amélioré», précise-t-elle.
Quelques répondantes et répondants seront sollicités pour participer à des entretiens en personne, lors de la deuxième phase du projet.
Écoute et flexibilité
Que peut faire un employeur plein de bonne volonté ? «Surtout ne pas faire comme si de rien n’était, sinon les personnes en deuil ne se sentent pas reconnues dans leur souffrance, explique Sophie Meunier. Il n’y a rien de pire que des phrases telles que “Ce n’est pas grave, vous en ferez un autre…”»
Il faut être à l’écoute, insiste la professeure. «La flexibilité demeure l’élément clé. Il faut être présent et disponible en cas de besoin, offrir du soutien. Cela dit, les gestionnaires n’ont pas à se transformer en psychologues. Ils doivent simplement s’assurer de diriger l’employé vers les bonnes ressources.»
À l’échelle des ressources humaines, les employeurs peuvent également mettre en place différents aménagements: retour progressif, horaire flexible, possibilité de télétravail, etc. «Le deuil est une expérience qui fluctue dans une journée, rappelle la spécialiste. On peut se lever le matin et se sentir bien, mais avoir des bouffées d’émotions dans la journée. À cet égard, le télétravail peut être bénéfique pour se donner le droit de vivre toutes ces émotions à l’abri du regards des collègues.»