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Quels jeunes accèdent au cégep?

Une étude démontre le rôle des habiletés sociales dans le taux de diplomation postsecondaire des jeunes de milieux défavorisés.

Par Claude Gauvreau

7 décembre 2021 à 13 h 12

Mis à jour le 22 décembre 2021 à 15 h 12

Photo: Getty/Images

Plusieurs recherches ont déjà démontré que la mise sur pied des cégeps, dans la foulée des recommandations du rapport Parent, a suscité l’intérêt pour les études supérieures et entraîné une hausse substantielle des inscriptions dans les universités. Mais quels jeunes, parmi ceux issus des milieux défavorisés, ont le plus bénéficié de la création des cégeps? C’est ce qu’une équipe de chercheuses et chercheurs de l’UQAM, de l’Université Concordia et de l’Université d’Ottawa, dont fait partie la professeure du Département de psychologie Marie-Hélène Véronneau, a tenté de déterminer.

L’équipe a mené une étude longitudinale afin d’examiner le rôle des habiletés sociales, des compétences scolaires et du contexte socio-économique dans la prédiction de la réussite éducative de jeunes Québécois issus de milieux défavorisés et ayant fréquenté l’école primaire après la création des cégeps en 1967.

«Certes, de bonnes notes constituent toujours un bon prédicteur de persévérance et de réussite scolaires, mais les habiletés sociales représentent un atout supplémentaire important.»

Marie-Hélène Véronneau,

Professeure au Département de psychologie

Publiés récemment dans Journal of Youth and Adolescence, les résultats de l’étude suggèrent qu’au-delà des aptitudes scolaires, les habiletés sociales ont favorisé le taux de diplomation postsecondaire des jeunes filles et garçons provenant de familles défavorisées. «Certes, de bonnes notes constituent toujours un bon prédicteur de persévérance et de réussite scolaires, observe Marie-Hélène Véronneau, mais les habiletés sociales représentent un atout supplémentaire important.» Ces habiletés, comme l’ont déjà souligné diverses études, renvoient, notamment, à la capacité de suivre des instructions, de respecter des règles, de gérer ses émotions, de résoudre des problèmes, de terminer des tâches et de bien s’entendre avec les autres.

Lauréate, en 2018, du Prix d’excellence en recherche (volet jeune chercheuse) de la Faculté des sciences humaines, Marie-Hélène Véronneau dirige le Laboratoire d’études sur les parcours scolaires et les influences sociales (LEPSIS). Celui-ci cherche à comprendre comment les relations avec les pairs, les parents et les enseignants influencent la persévérance et la réussite scolaires des enfants, adolescents et jeunes adultes. Le LEPSIS s’intéresse aux rôles de ces acteurs dans la vie des élèves en tant que facteurs de risque ou de protection relativement à diverses problématiques scolaires.

Évaluer les comportements et les compétences

L’équipe de recherche a utilisé une étude menée à la fin des années 1970 par des chercheurs de l’Université Concordia auprès d’un échantillon de 4 109 jeunes (50 % de filles et 50 % de garçons) provenant de familles à faible revenu, qui fréquentaient des classes de première, quatrième et septième année du primaire dans des écoles francophones publiques de Montréal. Les chercheurs avaient examiné les caractéristiques socio-comportementales et les compétences scolaires des enfants, en tant que prédicteurs de leur niveau de scolarité une fois devenus adultes. «Trois types de comportements ont été évalués au moyen d’un questionnaire: l’agressivité, le retrait social et les niveaux d’amabilité», précise Marie-Hélène Véronneau.

Grâce à l’autorisation de la Commission d’accès à l’information du Québec, la professeure et ses collègues ont eu accès aux données du ministère de l’Éducation concernant le niveau de scolarité que ces enfants avaient atteint trois décennies plus tard. Ces données ont été obtenues pour 3 883 jeunes faisant partie de l’échantillon initial.

«Pour les jeunes des quartiers défavorisés, qui sont plus à risque de développer de mauvaises fréquentations, une forme de retrait social peut constituer un facteur de protection contre la délinquance et les inciter à se concentrer davantage sur leurs études.»

Facteurs de risque et de protection

L’étude a d’abord révélé que les jeunes ayant atteint un faible niveau de scolarité – décrocheurs et diplômés du secondaire – étaient, dès l’enfance, davantage à risque d’interrompre leurs études. «Ces jeunes provenaient des familles les plus défavorisées, présentaient des résultats scolaires plus faibles, mais affichaient aussi davantage de comportements agressifs et étaient moins appréciés des autres élèves», observe la chercheuse.

Les analyses montrent aussi que différents facteurs interagissaient pour prédire le niveau d’éducation des jeunes. Dans les familles les plus défavorisées, les enfants ayant tendance à se «retirer» socialement avaient davantage de chance d’obtenir un diplôme collégial et de fréquenter l’université que ceux qui interagissaient beaucoup avec leurs pairs. «Pour les jeunes des quartiers défavorisés, qui sont plus à risque de développer de mauvaises fréquentations, une forme de retrait social peut constituer un facteur de protection contre la délinquance et les inciter à se concentrer davantage sur leurs études», remarque Marie-Hélène Véronneau.

Le fait d’être apprécié par ses pairs semble avoir aidé les jeunes filles à terminer leurs études collégiales et à accéder à l’université, même si leurs résultats scolaires étaient relativement faibles.

Du côté des garçons, avoir de bons résultats scolaires et être apprécié par ses pairs ont constitué des facteurs facilitant l’obtention du diplôme d’études collégiales. Toutefois, ceux qui avaient un comportement agressif ou étaient perçus comme agressifs par leurs pairs étaient moins susceptibles d’accéder aux études universitaires, malgré leur bon niveau de compétence scolaire.

En conclusion, l’étude souligne l’importance que les politiques gouvernementales favorisent les interventions précoces et continues, depuis le primaire jusqu’à la fin du collégial, afin de soutenir les jeunes de milieux défavorisés dans l’apprentissage de comportements sociaux adéquats et de les aider à accéder aux études postsecondaires.

«On sait depuis longtemps qu’il est nécessaire d’avoir des services spécialisés, notamment en orthopédagogie, pour assurer le développement des compétences scolaires, dit Marie-Hélène Véronneau. Mais, il faut aussi davantage de programmes destinés aux élèves ayant des comportements agressifs ou éprouvant des difficultés à développer des relations harmonieuses, y compris dans les écoles secondaires et les cégeps. L’acquisition de compétences sociales et émotionnelles est essentielle à l’obtention d’un diplôme d’études supérieures et à la qualité de vie en général.»