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Universités et groupes de femmes

Le partenariat entre l’UQAM et Relais-femmes sert de modèle à l’établissement de nouvelles collaborations.

Par Claude Gauvreau

1 avril 2021 à 16 h 04

Mis à jour le 6 avril 2021 à 16 h 04

Le projet Nouvelles alliances pour plus de savoirs en égalité entre les sexes vise à promouvoir la collaboration entre des groupes de femmes et des universités québécoises.Photo: Getty/Images

Peut-on renforcer la capacité d’agir des groupes de femmes par le développement de partenariats avec des chercheuses et chercheurs universitaires? Est-il possible d’établir des structures pérennes de collaboration entre ces partenaires? Comment contribuer au développement des études féministes et de genre dans les universités québécoises? Ces questions étaient au cœur du projet «Nouvelles alliances pour plus de savoirs en égalité entre les sexes», piloté depuis trois ans par l’organisme féministe Relais-femmes et le Service aux collectivités (SAC) de l’UQAM.

Pour réaliser le projet Nouvelles alliances, dont l’objectif était de promouvoir la collaboration entre des groupes de femmes et des universités québécoises, Relais-femmes avait obtenu, en 2017, une aide financière de près de 400 000 dollars de Condition féminine Canada. Chapeautant plus de 90 groupes de femmes à l’échelle du Québec, Relais-femmes est un partenaire de l’UQAM depuis 1982 en vertu d’un protocole d’entente géré par le SAC, lequel vise à favoriser des projets communs en matière de recherche et de formation.

«Au cours des trois dernières années, Nouvelles alliances a permis d’expérimenter des formes de collaboration entre des chercheuses et chercheurs des universités de Sherbrooke et Laval et des groupes de femmes dans les régions de l’Estrie et de la Capitale-Nationale, soit Portneuf, Québec et Charlevoix», explique Julie Raby, coordonnatrice de projets à Relais-femmes et candidate à la maîtrise en sociologie. «Tout au long du projet, l’expérience de collaboration entre l’UQAM et Relais-femmes ainsi que le modèle de recherche et de formation partenariales incarné par le SAC, unique dans les universités québécoises, ont servi de sources d’inspiration», indique Lyne Kurtzman (B.A. communication/journalisme, 1980; M.A. psychosociologie de la communication, 1999), agente de développement au SAC et responsable du protocole UQAM/Relais-femmes.

Outre Relais-femmes, divers organismes représentant près d’une centaine de groupes de femmes ont participé au projet: le Réseau québécois en études féministes (RéQUEF), le Réseau des tables régionales de groupes de femmes du Québec, le Regroupement des groupes de femmes de la région de la Capitale-Nationale et ConcertAction Femmes Estrie.

«Les groupes de femmes ont découvert les bienfaits de l’approche partenariale de recherche et ont pris conscience que leur savoir issu de la pratique méritait d’être valorisé et reconnu. Les femmes osent maintenant frapper à la porte des universités.»

Julie Raby,

Coordonnatrice de projets à Relais-femmes

Des résultats tangibles

«Deux projets de recherche ont été mis sur pied par l’Université de Sherbrooke et l’Université Laval, en collaboration avec des tables régionales de groupes de femmes», note Julie Raby. Le premier, supervisé par le professeur Paul Morin, directeur de l’École de travail social de l’Université de Sherbrooke, portait sur les conditions de logement pour les femmes en situation de handicap dans la région de l’Estrie. Le second projet, mené par trois chercheuses et chercheurs de l’Université Laval, de la TÉLUQ et de l’Université d’Ottawa avec l’appui de l’Institut Équité-Diversité-Inclusion-Intersectionnalité (EDI2), concernait l’impact d’un diagnostic de trouble de santé mentale sur les femmes victimes de violence conjugale.

En matière de formation, le projet de créer un certificat en études féministes dans les deux établissements universitaires a été relancé, avec le soutien, notamment, de la Chaire de recherche Claire-Bonenfant de l’Université Laval, dont le mandat est de développer la recherche multidisciplinaire sur la condition des femmes.

Par ailleurs, une entente a été conclue entre le Regroupement des groupes de femmes de la Capitale-Nationale, l’Institut Équité-Diversité-Inclusion-Intersectionnalité et la Chaire Claire-Bonenfant en vue d’établir une structure de collaboration permanente. «C’est une initiative importante, note Lyne Kurtzman, car à l’exception de l’UQAM, qui peut compter sur le SAC, les établissements universitaires au Québec n’ont pas de structure institutionnelle pérenne, dédiée spécifiquement au développement de partenariats avec des collectivités.»

Enfin, un fonds collaboratif consacré à des projets avec des groupes de femmes a été renouvelé pour une deuxième année à l’Université Laval. «Ce projet a vu le jour grâce à des professeures membres du Réseau québécois en études féministes, qui ont décidé d’y investir une partie de leurs fonds de recherche», précise Julie Raby.

Le projet Nouvelles alliances a permis d’identifier des conditions gagnantes pour que les partenariats entre ces universités et des groupes de femmes soient fructueux. «En matière de recherche, l’existence d’un fonds de démarrage permettant d’assurer un financement minimal et de jouer un rôle de levier pour obtenir des subventions s’est avérée essentielle, observe Lyne Kurtzman. Il fallait aussi se doter d’un comité paritaire composé d’universitaires et de représentantes des groupes de femmes.» Pour Julie Raby, le fait de pouvoir compter sur une personne qui établissait la liaison entre les partenaires était une autre condition importante. «Encore une fois, nous nous sommes inspirées du modèle du SAC, dont les agentes sont des médiatrices qui favorisent l’arrimage des besoins des groupes de femmes et des expertises professorales.»  

Retombées pour les groupes de femmes

Pour les groupes de femmes des régions de l’Estrie et de la CapitaleNationale, les retombées du projet Nouvelles alliances ont été particulièrement positives. «Ces groupes ont découvert les bienfaits de l’approche partenariale de recherche et ont pris conscience que leur savoir issu de la pratique méritait d’être valorisé et reconnu, souligne Julie Raby. Les femmes osent maintenant frapper à la porte des universités.»

«Le fait que ces groupes approchent les universités sur leur propre territoire pour demander des services ou proposer des collaborations est devenu quelque chose de légitime, renchérit Lyne Kurtzman. Cela a permis de réduire la distance entre le monde académique et le monde social.»

«Les établissements universitaires ont encore tendance à percevoir la recherche partenariale comme un choix individuel de la part de leurs professeurs, alors qu’ils devraient offrir un soutien institutionnel à ce type de recherche, dont l’approche complexe et exigeante diffère de celle de la recherche traditionnelle.» 

Lyne Kurtzman,

Agente de développement au Service aux collectivités

Rayonnement hors Québec

Le projet Nouvelles alliances a contribué à faire connaitre l’expérience de partenariat entre l’UQAM et Relais-femmes à l’extérieur des frontières du Québec. Ainsi, en 2019, leur protocole d’entente a fait l’objet de présentations devant le Réseau Égalité des genres, à Vancouver, et au colloque annuel du Réseau recherche-action des Amériques, tenu à Montréal. «Lors du colloque, des délégations de chercheurs et chercheuses de pays d’Amérique du Sud ont manifesté un intérêt notable pour ce type de partenariat, relève Julie Raby. À Vancouver, des chercheuses universitaires et des membres de groupes de femmes ont pu discuter des conditions permettant de soutenir le développement de connaissances féministes au Canada.»

Plusieurs recommandations issues de ces rencontres ont été acheminées au ministère fédéral de l’Égalité et des genres – anciennement Condition féminine Canada – afin de rappeler l’importance du soutien à la recherche partenariale, note Lyne Kurtzman.

Contraintes institutionnelles

Le modèle de collaboration incarné par le protocole d’entente UQAM/Relais-femmes, mieux connu désormais, a suscité beaucoup d’intérêt auprès des chercheuses et des groupes de femmes à l’extérieur de Montréal, mais il demeure difficile d’obtenir des engagements fermes de la part des directions des établissements universitaires pour créer et soutenir une entité similaire au SAC, qui soit dédiée spécifiquement à des projets de recherche et de formation partenariales.

«Certes, nous avons observé une ouverture quant à l’importance de travailler avec des collectivités, notamment des groupes de femmes, dit Lyne Kurtzman. Mais les établissements universitaires ont encore tendance à percevoir la recherche partenariale comme un choix individuel de la part de leurs professeurs, alors qu’ils devraient offrir un soutien institutionnel à ce type de recherche, dont l’approche complexe et exigeante diffère de celle de la recherche traditionnelle. Les universités doivent aussi mieux reconnaître les expertises des groupes de femmes et autres organisations de la société civile en vue d’une construction et d’une appropriation collectives des connaissances.»

Selon l’agente de développement du SAC, le temps est venu de documenter la pertinence de la fonction de liaison et de médiation dans la recherche partenariale, et la façon dont elle s’exerce. «Nous avons d’ailleurs un projet de recherche avec Relais-femmes qui permettra de répondre à des questions sur sa fonction et les résultats qu’elle génère.»

Julie Raby se réjouit, pour sa part, que le projet Nouvelles alliances ait favorisé le développement de contacts entre des groupes de femmes de différentes régions et le corps professoral universitaire, ainsi que le resserrement des liens entre les chercheuses féministes et le partage de leurs connaissances avec leurs collègues venant d’autres horizons. «Nous avons créé une plateforme virtuelle collaborative pour consolider les acquis des trois dernières années et pour promouvoir la recherche partenariale féministe en facilitant l’échange de pratiques exemplaires dans ce domaine.»