Dans le contexte actuel, marqué par la rareté du logement et la hausse du coût des loyers, les difficultés des jeunes à se loger se sont multipliées, fragilisant leur parcours de vie. C’est le constat qui se dégage d’un avis intitulé «Les jeunes Montréalais.es et le logement locatif: une situation précaire», rendu public il y a une dizaine de jours par le Conseil jeunesse de Montréal (CJM) et dont le professeur de l’École de travail social Louis Gaudreau signe la préface. Le CJM souligne que l’accès à un logement abordable et de qualité est indissociable du processus d’insertion sociale et économique des jeunes.
«Cette initiative du CJM est le fruit d’un constat selon lequel le manque de logements abordables dans la métropole touche particulièrement les jeunes de 18 à 30 ans», observe Louis Gaudreau, membre du Collectif de recherche et d’action sur l’habitat (CRACH) et de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS). L’avis du CJM analyse, entre autres, les compétences des différents paliers de gouvernement en matière de logement et les difficultés auxquelles les jeunes Montréalais et Montréalaises sont confrontés, lesquelles recoupent les problèmes vécus par beaucoup d’autres ménages. «Dans une ville comme Montréal, qui attire plusieurs jeunes adultes avec ses nombreux établissements d’enseignement postsecondaire et ses possibilités d’insertion professionnelle, leurs difficultés à se loger doivent faire l’objet d’une préoccupation particulière de la part du pouvoir municipal», souligne le professeur.
«Dans une ville comme Montréal, qui attire plusieurs jeunes adultes avec ses nombreux établissements d’enseignement postsecondaire et ses possibilités d’insertion professionnelle, leurs difficultés à se loger doivent faire l’objet d’une préoccupation particulière de la part du pouvoir municipal.»
Louis Gaudreau,
Professeur à l’École de travail social
Le CJM a pour mandat de conseiller la mairesse et le comité exécutif sur toutes les questions relatives aux jeunes âgés de 12 à 30 ans et d’assurer la prise en compte des préoccupations jeunesse dans les décisions de l’administration municipale.
Exposés à la précarité
Le CJM souligne que la situation du logement à Montréal affecte de manière particulière les conditions de vie des jeunes ménages et des étudiants, les exposant à une plus grande précarité. Le revenu médian chez les 15-24 ans est de 29 080 dollars, mentionne le rapport, et la moitié des jeunes ménages consacrent plus de 30% de leurs revenus au logement.
Plusieurs jeunes occupent des emplois atypiques, temporaires et à temps partiel, note Louis Gaudreau. «Parce qu’ils sont aux études, qu’ils n’ont pas une grande expérience de travail ou qu’ils commencent leur carrière, les jeunes sont à une étape de leur vie où ils disposent de peu de revenus. Moins ils ont d’argent, plus ils sont vulnérables aux hausses de loyer et plus ils sont contraints de se tourner vers la colocation, dans de grands logements qu’ils habitent à plusieurs. Mais ces logements sont souvent les premiers ciblés par les opérations de reconversion, aussi appelées rénovictions.»
«Heureusement, l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE), un organisme unique à Montréal, développe du logement communautaire à but non lucratif pour les étudiants.»
Il est aussi plus difficile pour les jeunes de se qualifier aux programmes publics d’aide au logement, qui peinent à répondre aux besoins. En ce moment, les programmes d’aide concernent surtout les coopératives d’habitation et les organismes d’habitation sans but lucratif, souvent destinés à des clientèles particulières, comme les personnes âgées, les femmes monoparentales ou les personnes ayant des problèmes de santé mentale. «Ces organismes d’habitation ne visent pas spécifiquement les étudiants, mentionne Louis Gaudreau. Quant aux HLM, on a cessé d’en construire depuis 25 ans. Heureusement, l’Unité de travail pour l’implantation de logement étudiant (UTILE), un organisme unique à Montréal, développe du logement communautaire à but non lucratif pour les étudiants.»
Et aux préjugés
Les jeunes à la recherche d’un logement sont aussi confrontés aux préjugés de certains propriétaires, qui multiplient les critères de sélection. «On considère, par exemple, qu’ils sont moins responsables et on craint qu’ils soient incapables de payer leur loyer, relève le chercheur. L’existence de formes de discrimination à l’égard des jeunes est bien réelle.»
Les jeunes éprouvent enfin des difficultés à accéder à la propriété. Selon le CJM, moins de 30 % des ménages dont les membres sont âgés de 15 à 29 ans accèdent à la propriété. «Les prix des propriétés ont augmenté à un rythme encore plus important que ceux des loyers, de 7,2 % depuis un an, créant une pression à la hausse sur ces derniers, indique Louis Gaudreau. De plus, après la crise immobilière de 2007-2008, le gouvernement fédéral a resserré les critères d’admissibilité au programme d’aide facilitant l’accès à un prêt hypothécaire.»
Des loyers inabordables
Selon des données de la Société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL), le loyer moyen dans le grand Montréal aurait augmenté de 4,2 % en 2020 par rapport à 2019, la plus forte hausse enregistrée depuis 17 ans. La semaine dernière, une enquête menée par Le Devoir révélait que la moyenne des loyers offerts sur l’Ile de Montréal s’élève à environ 1 310 $ par mois, tous quartiers et tous types de logements confondus, ce qui représente plus de 30 % du revenu annuel brut moyen des Montréalais, établi à 47 400 $ par Statistique Canada en 2019.
«Un logement abordable est celui pour lequel on n’a pas à dépenser une part trop importante de ses revenus, remarque le professeur. Le logement social est aussi pensé de cette façon. Certains programmes d’aide au logement social subventionnent des locataires afin qu’ils n’utilisent pas plus de 25 % de leurs revenus pour se loger. Pour la SCHL, le loyer moyen à Montréal est de 890 $ par mois. C’est une sous-estimation de la réalité. Comme le rapporte Le Devoir, le loyer moyen tourne plutôt autour de 1 300 $.»
Pour faire face à la hausse des prix des loyers, le CJM propose que les villes utilisent les pouvoirs à leur disposition pour favoriser le développement du logement social et du logement abordable. «Depuis trois ans environ, les villes peuvent gérer sur leurs territoires des programmes provinciaux de développement du logement social, même si ce pouvoir dépend des budgets qu’on leur accorde, et imposer des limites à certains types de développement immobilier», précise Louis Gaudreau. Ainsi, la Ville de Montréal a adopté, en 2018, le Règlement pour une métropole mixte, en vertu duquel les promoteurs immobiliers doivent intégrer 20 % de logements sociaux et 20 % de logements abordables dans leurs projets de constructions résidentielles.
Un bas taux d’inoccupation
Depuis quelques semaines, les médias accordent beaucoup d’attention aux conditions du logement à Montréal, qui se sont détériorées de façon dramatique. Comme le souligne le CJM, la région métropolitaine a atteint en 2019 son plus bas taux d’inoccupation en 15 ans, soit 1,5 %, le gros des logements construits ces derniers années étant davantage consacré à la copropriété qu’à la location. En outre, la popularité des plateformes de location de courte durée, de type Airbnb, contribue au retrait de nombreux logements du marché locatif.
«La crise du logement dans la métropole remonte à une vingtaine d’années et se caractérise avant tout par la quasi-disparition des logements abordables dans le marché locatif», souligne le professeur, Dans les années 1990, la crise immobilière a d’abord provoqué un ralentissement du marché de l’habitation. Puis, on observe au début des années 2000 un regain des activités sur ce marché partout au Canada, et à Montréal en particulier. «La construction de logements locatifs reprend alors progressivement, mais il s’agit souvent de logements hauts de gamme, comme des tours avec services ou des condominiums, destinés à des ménages aux revenus élevés», note le chercheur. Aujourd’hui, les constructions neuves s’adressent généralement à des populations aisées. La SCHL note que les loyers moyens pour ces logements sur l’île de Montréal vont de 1400 $ pour un 3 1/2 à 2 300 $ pour un 5 1/2.
Pistes de solution
L’avis du CJM comporte plusieurs recommandations pour la mairesse et les élus montréalais en vue de trouver des pistes de solution. Il propose d’abord que la Ville de Montréal intègre la réalité particulière des jeunes dans ses actions publiques en matière de logement, en s’assurant de leur place dans les analyses de marché et les développements immobiliers. «Dans l’esprit du CJM, il s’agit de favoriser la création de logements abordables s’adressant spécifiquement aux jeunes», dit Louis Gaudreau.
On recommande ainsi que la Ville crée, d’ici 2030, des «logements perpétuellement abordables» pour les jeunes, particulièrement pour les étudiants, en s’inspirant de la politique adoptée par la Ville de Boston. Celle-ci a lancé, en 2014, un plan municipal intitulé «Housing a Changing City: Boston 2030», qui vise à déployer une stratégie globale de logement locatif pour l’ensemble du territoire et particulièrement pour certaines catégories de la population. Révisé en 2018, ce programme a pour objectif de créer 18 500 nouveaux logements étudiants d’ici 2030, dont 16 000 pour les étudiants universitaires de premier cycle et 2 500 pour ceux de second cycle.
Le CJM propose, par ailleurs, de mettre en place un registre des loyers pour suivre l’évolution du prix des loyers et limiter les augmentations abusives. Cette idée est aussi défendue par la mairesse Valérie Plante et par le Regroupement des comités de logement et d’associations de locataires du Québec.
Pour les étudiants en difficulté, le CJM recommande que Montréal intensifie la création de logements sociaux et communautaires, sans en préciser le nombre. Selon le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), il faudrait créer un minimum de 5 000 nouveaux logements sociaux au cours de la prochaine année afin de répondre aux besoins de la population. «Le FRAPRU est un organisme dont la rigueur est reconnue par tous les acteurs du milieu, dit Louis Gaudreau. Sa cible est certes ambitieuse, mais elle semble tout à fait juste compte tenu de l’ampleur des besoins.»