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En mémoire de Naïm Kattan

Le grand homme de lettres, qui fut professeur associé à l’UQAM, est décédé à l’âge de 92 ans.

Par Pierre-Etienne Caza

6 juillet 2021 à 16 h 07

Mis à jour le 6 juillet 2021 à 16 h 07

Le romancier, essayiste et critique Naïm Kattan avait accordé une entrevue à Actualités UQAM en 2007.Photo: Denis Bernier

Ambassadeur de la littérature et du rapprochement des cultures, le romancier, essayiste et critique Naïm Kattan, qui fut pendant quelques années professeur associé au Département d’études littéraires, est décédé à l’âge de 92 ans, le 2 juillet dernier à Paris. «S’adresser aux étudiants était pour lui un bonheur, le couronnement de son parcours de vie. Il me le disait constamment», souligne le professeur retraité Jacques Allard, qui l’a bien connu.

Naïm Kattan avait accepté le poste d’écrivain en résidence au Département d’études littéraires au début des années 1990. Il s’était ensuite vu offrir, par l’entremise du recteur de l’époque, Claude Corbo, un poste de professeur associé, qu’il a occupé de 1993 à 2014. Au début de son association avec l’UQAM, il avait donné pendant cinq ans un cours qu’il avait créé, intitulé Figures bibliques et mythes contemporains. «J’ai adoré l’expérience», confiait-il à Actualités UQAM en 2007, alors qu’il venait d’obtenir le prix Hervé-Deluen, qui lui était remis par l’Académie française afin de récompenser sa contribution exceptionnelle à la défense et à la promotion du français comme langue internationale.

Bagdad-Paris-Montréal

Né à Bagdad, en Irak, en 1928, Naïm Kattan affirmait qu’il possédait en réalité trois villes de naissance : Bagdad, Paris et Montréal. Le choix du français, langue d’usage et langue d’écriture, fut au cœur de son fascinant parcours.

Juif irakien, Naïm Kattan a d’abord appris l’arabe et l’hébreu, ses deux langues maternelles. Avant même l’adolescence, il écrivait de la fiction en arabe. Il apprendra ensuite l’anglais et le français, et s’initiera à la littérature occidentale. 

Après des études en droit à Bagdad et en littérature à la Sorbonne, il débarque au Canada en 1954 et s’installe à Montréal. «Ce ne fut pas facile parce qu’à cette époque, le français était réservé aux catholiques, racontait-il en 2007. On me demandait sans cesse à quelle paroisse j’appartenais. Les gens ne comprenaient pas qu’un juif irakien puisse parler français.»

Lentement, il tisse des liens avec des gens et exerce toutes sortes de petits boulots. Il fonde, entre autres, la première publication non catholique de langue française: le Bulletin du Cercle juif. Il devient chroniqueur au Nouveau Journal en 1961, puis chargé de cours à la Faculté des sciences sociales de l’Université Laval.

Au début des années 60, il rencontre celui qui allait devenir son grand ami, André Laurendeau, à l’époque directeur du Devoir, qui lui offre une chronique littéraire qu’il tiendra pendant plus de 45 ans, jusque dans les années 2000. En parallèle, il est nommé, en 1967, directeur du Service des lettres et de l’édition du Conseil des arts du Canada, un poste qu’il occupera pendant 25 ans, sans pour autant cesser d’écrire des ouvrages littéraires et des articles, collaborant à un grand nombre de journaux et de revues du Proche-Orient, de l’Europe et du Canada.

Naïm Kattan est l’auteur d’une trentaine d’ouvrages traduits en plusieurs langues, dont l’essai Le réel et le théâtral (Hurtubise HMH), qui lui a valu le prix France-Canada en 1971. Il a été nommé Chevalier des arts et des lettres et Chevalier de la Légion d’honneur en France, de même que Chevalier de l’Ordre du Canada et de l’Ordre national du Québec.

Jacques Allard se souvient avec émotion de son vieil ami. «Récemment, il m’avait confié qu’il allait revenir à Montréal, ne serait-ce que par ses cendres en ces temps où de toute façon il ne pouvait plus prendre l’avion, nous écrit-il. Il tenait à sa québécité autant qu’à sa canadianité, à son Ontario de fonctionnaire pionnier au Conseil des arts du Canada, qu’à la France de ses études et publications; finalement à son Arabie presque autant qu’à sa culture juive très vive, comme on le voit dans son best-seller international Adieu Babylone (La Presse, 1975; Leméac 1986). Il semblait vouloir embrasser toutes les cultures, comme l’attestent ses livres autant que son existence. Fasciné par ce voyageur tous azimuts de l’interculture, j’ai fini un jour par le baptiser de migrant dans un dossier de Voix et images