COVID-19: tous les articles
Toutes les nouvelles entourant la COVID-19 et les analyses des experts sur la crise sont réunies dans cette série.

Photo: Nathalie St-Pierre
Mécontents à la fois pour eux et pour leurs étudiants des conditions dans lesquelles ils ont dû terminer le trimestre d’hiver, l’an dernier, les professeurs François Bergeron (Département de mathématiques), Lucie K. Morisset et Luc Noppen (études urbaines et touristiques) ont décidé d’effectuer un virage technologique. Chacun à sa façon, ils se sont bricolé un studio qui leur permet d’offrir des cours à la hauteur de leurs attentes… et de renouer avec le plaisir d’enseigner.
La fin du trimestre d’hiver 2020 à distance «fut une catastrophe», raconte François Bergeron. «Les notions que j’enseigne requièrent à la fois des démonstrations en direct et un feedback instantané pour constater si les étudiants ont compris et rien de tout cela n’était facile avec Zoom», explique celui qui donnait un cours de bac sur les structures algébriques abstraites.
Reproduire l’écriture au tableau
En mai, le professeur a réfléchi à ce qu’il souhaitait mettre en place pour ne pas revivre ce sentiment d’échec. «J’ai effectué mes recherches sur le web. J’ai d’abord utilisé les arrière-plans virtuels de Zoom pour afficher des images et des animations, améliorant les présentations des conférences auxquelles j’ai participé au printemps et à l’été. Mais je savais qu’en vue du trimestre d’automne, j’aurais besoin de plus que ça. Il fallait que je trouve une façon de reproduire l’écriture au tableau. Pour moi, c’est essentiel à l’enseignement des mathématiques.»
Après avoir jeté son dévolu sur Open Broadcaster Software (OBS), un logiciel libre de capture d’écran et de streaming qu’il a pris le temps d’apprivoiser (en quatrième vitesse!), il a entrepris de se munir des équipements nécessaires: un écran vert, une bonne caméra (au total, il en utilise trois pour donner ses cours), un micro-cravate et une lampe sur trépied pour un meilleur éclairage. «Au cégep, j’étais technicien d’une troupe de théâtre, raconte-t-il en riant. Je sais que les éléments techniques sont primordiaux pour obtenir un résultat satisfaisant.»
François Bergeron a installé tout ce matériel dans son bureau au pavillon PK, d’où il donne ses cours. Le tableau vert est fixé au mur. «C’était important pour moi de donner mon cours debout et de pouvoir me déplacer», précise-t-il.

Les étudiants le suivent sur la plateforme Zoom, qui retransmet l’environnement virtuel qu’il a créé dans OBS. On l’aperçoit ainsi comme s’il était dans la somptueuse bibliothèque du Trinity College de Dublin, en Irlande. «Il m’arrive de citer un des livres en ma possession, que je laisse à portée de main, raconte-t-il. Pendant le cours, je simule tendre la main vers les étagères de la bibliothèque, et je ramène le livre comme si je l’avais pris sur l’une des étagères. Cela fait bien rire les étudiants.»
Dans cet environnement virtuel, l’image d’un tableau en ardoise (la photo d’un véritable tableau qu’il possède chez lui) occupe l’espace au-dessus de son épaule gauche. «Lorsque j’écris des équations sur la tablette devant moi, elles apparaissent instantanément sur le tableau», explique-t-il.
Tous à caméra ouverte
Depuis une vingtaine d’années, le Département de mathématiques a choisi de scinder les cours de trois heures en deux séances d’une heure et demie, ce qui facilite la concentration des étudiantes et étudiants. Devant lui, François Bergeron a placé un autre écran où il peut voir celles et ceux qui assistent au cours. Au trimestre d’automne, il donnait un cours de premier cycle et un cours de doctorat. «Tous les étudiants ont accepté de suivre mes cours à caméra ouverte et cela fait toute la différence au monde sur le plan des interactions, souligne-t-il. Je les ai chaleureusement remerciés pour leur implication à la fin du trimestre.»
En mode asynchrone
Lucie K. Morisset et Luc Noppen ont choisi une autre approche. «À l’été 2020, nous avons repensé nos cours de A à Z afin de les subdiviser en thèmes et en objectifs d’apprentissage. Chaque séance de cours est devenue une capsule préenregistrée, à laquelle les étudiants ont accès en mode asynchrone», explique Lucie K. Morisset.
Comme François Bergeron, les deux professeurs de l’ESG UQAM (qui forment un couple dans la vie) ont mis à profit leurs expériences de jeunesse. «Je m’y connaissais en montage, Luc en enseignement télévisé et nous avions tous les deux fait de la régie au théâtre il y a très longtemps», note en riant la professeure, qui est titulaire de la Chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain.
Un studio au sous-sol
Ils se sont munis d’un iPhone 11 Pro, d’une webcam 4K, d’un micro de table, d’un kit micro-cravate/micro-casque sans fil, de trois lampes DEL à température ajustable sur trépied, d’un écran vert, d’un ordinateur avec une bonne carte graphique, de deux moniteurs supplémentaires et d’un casque d’écoute pour la prise de son. Ils ont installé le tout dans le sous-sol de leur maison.

Les deux profs créent leurs capsules didactiques avec Camtasia. «Cette suite logicielle nous permet d’enregistrer en très haute définition sur plusieurs canaux à la fois, ce qui nous permet, par exemple, d’utiliser plusieurs caméras pour obtenir différentes pistes visuelles – un diaporama PowerPoint, nos explications magistrales, un extrait de film, etc. – et jusqu’à deux pistes sonores. Nous pouvons ensuite procéder au montage de ces pistes en les combinant ou en éliminant certaines parties pour rendre le tout dynamique.»
Des effets visuels et sonores
Bien conscients de faire concurrence à Netflix et aux consoles de jeux vidéo auprès des étudiants confinés, ils ont misé sur l’ajout d’effets visuels et sonores afin de mettre l’accent sur certaines notions dans leurs capsules. «Il ne faut pas abuser du procédé, mais cela permet de garder l’attention des étudiants et les force à lire ce qui apparaît à l’écran», note Lucie K. Morisset.

Les capsules sont ensuite téléversées sur Vimeo et l’URL est indiqué sur Moodle à l’intention des étudiants, qui peuvent les visionner sur la plateforme ou les télécharger. «Luc a réalisé 27 capsules de 20 à 30 minutes pour le cours de bac Dimensions morphologiques et patrimoniales de la ville, tandis que j’en ai réalisé 14, qui durent entre 30 et 40 minutes, pour le cours de doctorat La patrimonialisation.»
Puisque les étudiants visionnent les capsules à leur rythme, les rencontres Zoom servent uniquement à répondre à leurs questions. «Cela nous permet de vérifier ce qu’ils ont compris et de les aiguiller au besoin, dit la professeure. Nous nous servons également des commentaires des étudiants pour modifier, ajuster ou bonifier nos capsules.»
Les étudiants ont semblé apprécié leur méthode. «Depuis la fin du trimestre, Luc n’a cessé de recevoir de longs courriels dans lesquels les étudiants soulignent la qualité des capsules et l’organisation du cours. C’est très émouvant», raconte Lucie K. Morriset.
Déménagement à venir
Leur studio maison a servi également à leurs activités de recherche – comités, conférences, formations, etc. «Nous avons effectué une vingtaine d’interventions en 4 mois, parfois en direct, parfois en mode préenregistré», souligne Lucie K. Morisset.
Le plus gros de ces événements fut le lancement de l’ouvrage L’architecture de l’identité, soulignant les 50 ans de carrière de Luc Noppen, qui a réuni virtuellement 150 personnes en décembre dernier. «Il s’agissait d’une combinaison complexe de sections préenregistrées et de direct, comme des lectures de certains extraits du livre, le tout associé à une heure de discussions en petits groupes avec la plateforme SocialHour. L”enregistrement a ensuite été rendu disponible aux personnes qui ont participé à l’événement.»
Les deux complices comptent bien récupérer leur espace personnel et déménager ce studio maison à l’UQAM lorsque les choses seront revenues à la normale. «Nous avons proposé d’installer les équipements dans les locaux de la Chaire. Ainsi, les étudiants et les membres associés pourront enregistrer des capsules portant sur leurs travaux de recherche, que nous pourrons diffuser sur le site web.»
Lucie K. Morisset a hâte de retourner en classe afin de renouer avec les étudiants. «Décoder le langage corporel et les émotions qui surgissent pendant un cours font partie de la construction de la relation affective qui s’instaure entre une professeure et ses étudiants. Cela me manque beaucoup», conclut-elle.
Objectif : partager pour aider
François Bergeron a partagé ses découvertes technologiques dans le bulletin du SPUQ, ainsi que dans un article paru dans Notices of the AMS, l’une des publications périodiques de l’American Mathematical Society. «Depuis, j’ai eu écho de collègues canadiens et américains qui ont décidé eux aussi de s’équiper pour retrouver le plaisir de donner leurs cours.»
La question est délicate, reconnaît-il, car ce ne sont pas tous les collègues qui ont le désir, la volonté ou la patience pour apprivoiser tous ces outils. «Je ne suis pas là pour faire la morale, je veux juste aider les collègues à survivre, dit-il. C’est pourquoi j’ai fait installer le même genre d’environnement virtuel dans les locaux du Laboratoire d’algèbre, de combinatoire et d’informatique mathématique (LACIM). Libre à tous et à toutes de l’utiliser!»
Lucie K. Morisset partage cet avis. «Je ne peux que constater que les collègues qui font trois heures de Zoom sur le mode magistral sont encore plus épuisés que les étudiants», dit la professeure, qui a cosigné avec Luc Noppen un article sur leur expérience technologique dans le bulletin des professeurs retraités. «Cela dit, je ne vous mentirai pas: reconstruire ces cours et maîtriser tous les aspects techniques fut éreintant. Mais le résultat en a valu la peine.»