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Des idées naïves tenaces!

Les détenteurs d’un doctorat en physique ne sont pas à l’abri des idées préconçues, révèle une étude.

Par Pierre-Etienne Caza

5 juillet 2021 à 10 h 07

Mis à jour le 5 juillet 2021 à 10 h 07

Photo: Getty Images

Un feu de camp contient de l’énergie thermique: vrai ou faux? Un cube de glace contient de l’énergie thermique: vrai ou faux ? Il y a fort à parier que vous n’avez pas hésité pour répondre au premier énoncé, mais que le second a suscité un instant de réflexion. Rassurez-vous: les 25 détenteurs d’un doctorat en physique qui ont participé à l’étude menée par Geneviève Allaire-Duquette (Ph.D. éducation, 2017) ont hésité eux aussi avant de donner la bonne réponse (les deux énoncés sont vrais). «Avec l’imagerie cérébrale, nous avons observé que le cortex préfrontal des scientifiques s’est activé pour le second énoncé, signe qu’ils devaient inhiber une idée préconçue. Intuitivement, on pense que c’est faux, car le cube de glace est froid», révèle la chargée de cours du Département de didactique. 

Geneviève Allaire-Duquette est la première autrice d’un article publié dans NPJ Science of Learning en collaboration avec la professeure Lorie-Marlène Brault Foisy, la candidate à la maîtrise Marilyne Larose et les professeurs Patrice Potvin, Martin Riopel, et Steve Masson. «Nous avons été étonnés par nos résultats… et même un peu déçus, car nous pensions que des scientifiques aguerris n’avaient plus à en découdre avec les idées préconçues», souligne-t-elle en riant.

Les idées naïves, de l’enfance à l’âge adulte

Les idées préconçues, ou idées naïves, apparaissent très tôt dans la vie. Elles sont issues à la fois de nos expériences personnelles et de nos interactions avec la culture qui nous entoure. «On peut, par exemple, penser que le soleil est une boule de feu ou que l’homme descend du singe, jusqu’à ce qu’on nous enseigne que ce n’est pas le cas», illustre Geneviève Allaire-Duquette. 

La plupart de ces idées naïves sont tenaces, d’où l’intérêt d’étudier le phénomène chez des adultes. Ainsi, même si nous avons appris la «bonne réponse» ou la «bonne explication», il faut déployer de l’énergie pour rejeter l’idée naïve qui s’impose d’elle-même dans notre cerveau. «Quand on inhibe une idée, le cortex préfrontal s’active, car c’est le siège du contrôle», explique la chercheuse.

Dans le cadre de son doctorat, Geneviève Allaire-Duquette avait démontré que les élèves du secondaire qui performaient le plus en sciences étaient ceux qui parvenaient le mieux à inhiber les idées préconçues. «Pour cette nouvelle étude, je me suis assurée de pouvoir comparer les réactions cérébrales aux idées naïves avec celles suscitées par des propositions équivalentes – même longueur, même nombre de mots, même thématique – qui n’évoquent pas des idées préconçues», précise-t-elle. 

La chercheuse a utilisé 64 paires d’énoncés sous le mode «vrai ou faux» auprès de ses sujets branchés à un appareil de résonance magnétique. Si la réponse faisait appel aux apprentissages automatisés, la zone arrière du cerveau s’activait. En revanche, si une idée préconçue devait être inhibée avant que le sujet donne la bonne réponse, la chercheuse observait une activité cérébrale dans le cortex préfrontal. 

Tous les physiciens ont donné les bonnes réponses, précise Geneviève Allaire-Duquette, mais les réponses aux énoncés qui nécessitaient d’inhiber une idée préconçue ont été formulées un peu plus tardivement que les autres. «Cela démontre que ces experts ont dû faire fi de conceptions spontanées bien ancrées», note-t-elle.

Puisque l’échantillon ne comportait que 25 sujets, il fallait observer le phénomène de manière évidente chez tous les participants pour pouvoir en tirer des conclusions, et ce fut le cas, ajoute-t-elle.

Demeurer vigilant

«Cette étude indique que l’enseignement des sciences doit composer avec les idées naïves tout au long de la vie, synthétise Geneviève Allaire-Duquette. En tant qu’enseignant, il est bon de savoir que l’on ne doit pas espérer supprimer les idées préconçues chez les élèves, puisque cela semble pratiquement impossible. Il faut plutôt leur apprendre à composer avec celles-ci et à demeurer vigilants, car on risque toujours d’être trompé par nos idées préconçues.»

Des recherches ultérieures pourraient déterminer si certaines approches parviennent mieux à développer cette vigilance chez les élèves, ajoute Geneviève Allaire-Duquette, qui poursuit un postdoctorat en didactique des sciences à l’Université de Sherbrooke.