Un éditorial sur la place de l’écologie dans le débat public, une entrevue sur les enjeux soulevés à la COP 26, une analyse politique des concessions faites par les partis verts d’Europe de l’Ouest et du Nord pour accéder au pouvoir … Ces sujets, et bien d’autres, figurent au menu du dernier numéro – spécial Environnement – du magazine d’information internationale Sans Frontières, fondé en 2008 par la doctorante en communication Zora Aït El Machkouri.
Originaire de France, où elle a obtenu une maîtrise en information et communication ainsi qu’un DEA en journalisme à l’Institut français de presse de l’Université Panthéon-Assas Paris II, Zora Aït El Machkouri est arrivée à Montréal au milieu des années 2000, Lors d’un stage en journalisme à la station de radio CIBL, la doctorante, mordue d’information et l’esprit ouvert sur le monde, constate rapidement qu’il n’existe pas au Québec de publication consacrée entièrement à l’actualité internationale.
«C’est pour contribuer à combler ce vide que je me suis lancée dans l’aventure du magazine, une aventure qui dure depuis 13 ans, explique la rédactrice en chef. Après avoir obtenu ma résidence permanente, j’ai monté un plan d’affaires et recruté les premiers pigistes à CIBL, une pépinière de talents où se retrouvaient plusieurs diplômés en journalisme, dont certains de l’UQAM.»
Un magazine indépendant
Publié deux fois par année, Sans Frontières se veut un magazine francophone indépendant, sans affiliation à un parti politique, à une ONG ou à quelque groupe de pression que ce soit. «Les premières années, le magazine braquait surtout ses projecteurs sur l’Afrique, notamment sur les actions des ONG, qu’elles soient bonnes ou mauvaises, une façon de marquer notre indépendance», explique la doctorante, qui est aussi membre du Centre de recherche interuniversitaire sur la communication, l’information et la société (CRICIS).
Après un partenariat de plus d’un an avec l’Institut d’études internationales de Montréal, basé à l’UQAM, une entente ayant débuté en 2019, Sans Frontières a élargi sa couverture de l’actualité. «Nous nous intéressons aux populations généralement délaissés par les grands médias, en particulier celles des pays en développement du Sud, qui obtiennent peu de visibilité», observe Zora Aït El Machkouri.
Sans Frontières paraît en version électronique et en version papier pour les abonnés qui le désirent. Les articles sont regroupés par catégories: Amériques, Europe, Afrique, Moyen-Orient, Asie-Pacifique, mais aussi Humanitaire, Droits de l’homme, Environnement, Coronavirus et Bonnes nouvelles. On y trouve des analyses, des entrevues et des reportages sur le terrain.
Photo: Nathalie St-Pierre
«Nous mettons l’accent sur les analyses d’enjeux internationaux afin de prendre du recul face à l’actualité, note la doctorante. Au moyen d’entrevues, nous recueillons les points de vue de membres d’organisations humanitaires et aussi d’experts, comme ceux de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques et d’autres qui se trouvent dans différentes régions du monde. Des pigistes du Québec, d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine nous soumettent également des reportages. Enfin, nous publions parfois des reportages photo.»
Une centaine de personnes, issues de la francophonie, sont abonnées à Sans Frontières, en plus de bibliothèques, d’institutions culturelles et d’établissements d’enseignement. L’équipe du magazine comprend une rédactrice en chef adjointe, la diplômée Benoîte Labrosse (M.A. géographie, 2020), ainsi qu’un groupe de 5 à 10 pigistes réguliers, québécois, français et africains, auxquels s’ajoutent des collaborateurs occasionnels.
Comme d’autres médias indépendants, Sans Frontières doit évoluer dans un contexte économique difficile. «C’est la raison pour laquelle, nous sommes passés de quatre à deux numéros par année», remarque Zora Aït El Machkouri. Toutes les revenus provenant des ventes des abonnements numériques et papier servent directement à la production du magazine. Celui-ci ne réalise pas encore de bénéfices, ne dispose d’aucune subvention et sa version papier ne contient pas de publicité. «Je paie les pigistes et assure les frais d’impression, dit la rédactrice en chef. Travailleuse autonome depuis 13 ans, en plus d’être étudiante et maman, je cumule plusieurs emplois: auxiliaire d’enseignement, journaliste pigiste et rédactrice web. Maintenir en vie Sans Frontières est un combat quotidien, mais la cause en vaut la peine.»
Le parent pauvre de l’information
La doctorante déplore la part infime occupée par l’information internationale dans les médias traditionnels au Québec. «La situation s’est même aggravée avec la crise sanitaire, alors qu’il était devenu difficile pour les journalistes de se déplacer à l’étranger, souligne Zora Aït El Machkouri. Pourtant, l’intérêt pour l’information internationale existe, notamment chez les jeunes, et il s’est même accru dans le contexte de la crise climatique et de la pandémie de COVID-19. Les jeunes générations sont sensibles au caractère mondial de ces phénomènes. Je peux l’observer à l’UQAM, où je suis auxiliaire d’enseignement à l’École des médias.»
Sans Frontières accorde une place importante à l’environnement, tout en évitant de verser dans l’alarmisme. «Nous mettons l’accent sur des projets et des actions concrètes qui sont bénéfiques pour l’environnement, indique la doctorante. Notre dernier numéro, par exemple, contient un article sur les luttes menées contre les îlots de chaleur urbains dans trois grandes métropoles – Paris, Bruxelles et Montréal – ainsi qu’un reportage sur la mise en place d’un système d’irrigation au Sahel, une région particulièrement affectée par les sécheresses.»
Journaliste de l’écrit, Zora Aït El Machkouri s’intéresse aussi à l’information télévisée. Sa thèse de doctorat, menée sous la direction de la professeure de l’École des médias et ancienne journaliste Chantal Francoeur, porte sur le traitement de l’information internationale dans les téléjournaux québécois francophones.
«Il est certain que la place occupée par l’analyse et la réflexion est plus grande dans la presse écrite qu’à la télévision. Un reportage de trois pages dans un magazine permet de creuser davantage un sujet qu’un topo de deux ou trois minutes à la télé, mais il ne faut pas sous-estimer l’impact des images auxquelles le public est exposé quotidiennement. Je veux décrypter les mécanismes mis en œuvre dans les bulletins de nouvelles et leur influence sur la représentation du monde hors de nos frontières.»
Intéressée par l’enseignement et la recherche, Zora Aït El Machkouri entend poursuivre l’aventure de Sans Frontières pendant encore quelques années. «Mon expérience de travailleuse autonome m’a appris à composer avec différentes priorités, à mener de front différents projets qui se complètent.»