Série L’actualité vue par nos experts
Des professeurs et chercheurs de l’UQAM se prononcent sur des enjeux de l’actualité québécoise, canadienne ou internationale.
«C’est la guerre!» Ce cri a retenti partout dans le monde, le 11 septembre 2001, quand les images inouïes des deux avions percutant les tours du World Trade Center à New York, du Pentagone en flammes et de la Maison-Blanche évacuée ont commencé à circuler. Dans les semaines qui ont suivi, plusieurs voix ont affirmé que ces événements tragiques marquaient la fin d’un temps, que nos vies allaient changer, qu’il y aurait désormais un avant et un après 11 septembre. Vingt ans plus tard, quel regard faut-il porter sur les répercussions de ces attentats terroristes?
Au début des années 1990, on a cru que l’effondrement du communisme en Europe, la mondialisation et l’avènement d’un monde unipolaire dominé par les États-Unis, où règnerait la libre circulation des marchandises, des capitaux et des personnes, permettraient de stabiliser définitivement la planète. «La relative euphorie ayant caractérisé cette période, où l’on pensait pouvoir restructurer les relations internationales et bâtir un monde sans frontières, où l’on croyait que le Conseil de sécurité de l’ONU pouvait envoyer le signal que l’union fait la force, a disparu en même temps que les tours du World Trade Center», souligne le professeur du Département de science politique Charles-Philippe David, fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques.
Après le 11 septembre, poursuit le chercheur, «l’accent a de nouveau porté sur les bons vieux réflexes sécuritaires et la réponse militaire: surveillance et fermeture des frontières, augmentation des budgets de la défense, intervention en Afghanistan pour chasser les talibans du pouvoir et détruire l’organisation terroriste Al-Qaïda, puis renversement, en 2003, du régime de Saddam Hussein en Irak.»
Les interventions militaires menées au lendemain du 11 septembre s’inspirent de concepts hérités de la guerre froide, rappelle son successeur comme titulaire de la Chaire Raoul-Dandurand, le professeur du Département de science politique et directeur de l’Observatoire sur les États-Unis Frédérick Gagnon. «Aux États-Unis, un débat fait rage sur la meilleure façon de réagir aux attentats. Certains défendent la position, alors marginale, selon laquelle les États-Unis doivent être moins interventionnistes sur la scène internationale, car les attaques terroristes révèlent un rejet de la présence américaine dans le monde, notamment au Moyen-Orient. Ces gens-là et tous ceux qui critiquent la volonté du président Bush d’aller en guerre se font taxer d’antipatriotisme. La position qu’ils défendaient est aujourd’hui partagée par beaucoup d’Américains et d’Américaines, ce qui constitue un tournant.»
Table ronde «L’effet 11 septembre 20 ans après»
Dans le cadre de la série de conférences soulignant ses 25 ans, la Chaire Raoul-Dandurand organise, le 9 septembre, de 12 h 30 à 14 h, une table ronde sur les attentats terroristes du 11 septembre 2001, au cours de laquelle plusieurs questions seront abordées. Quel a été l’effet du 11 septembre sur le monde et sur le Canada? Quel bilan tirer de la lutte contre le terrorisme alors que les États-Unis quittent l’Afghanistan et que les talibans reprennent le contrôle du pays? Quelle importance accorder au terrorisme aujourd’hui? Que retiendra-t-on du 11 septembre dans 10, 20 ou 30 ans?
Outre Frédérick Gagnon et Charles-Philippe David, l’événement réunira des membres des directions scientifiques des cinq observatoires de la Chaire. La table ronde sera animée par Catherine François, journaliste à Radio-Canada et correspondante de TV5 Monde au Canada.
On peut s’inscrire et recevoir le lien vers la diffusion ici.
Des conséquences multiples
Les attentats du 11 septembre ont eu de multiples conséquences aux États-Unis et dans d’autres pays, certaines durables et d’autres moins. «La création aux États-Unis du Département de la sécurité intérieure – Homeland Security – a été un point tournant aussi bien en politique intérieure qu’en politique étrangère, contribuant à renforcer la dimension sécuritaire de multiples enjeux, dont celui de l’immigration», observe Charles-Philippe David.
«Les sentiments de peur et de vulnérabilité face à la contagion terroriste, à l’immigration dite illégale et aux trafics de toutes sortes ont pris une ampleur considérable aux États-Unis et dans d’autres pays, ce dont témoigne la prolifération de barrières et de murs intra et interétatiques depuis le 11 septembre 2001», renchérit Frédérick Gagnon.
Pour le Canada, le 11 septembre a d’abord été l’occasion de raffermir ses liens avec les États-Unis, comme l’ont montré les pompiers et secouristes d’ici se rendant à Ground Zero pour aider leurs collègues américains après la tragédie. Les experts soulignent aussi l’ajustement des politiques frontalières aux exigences sécuritaires de l’administration Bush et l’investissement de ressources importantes dans la lutte contre le terrorisme, souhaité par Washington, avec, notamment, la participation à l’intervention militaire en Afghanistan.
Cela dit, tous se souviennent du refus de l’ancien premier ministre Jean Chrétien d’appuyer la guerre en Irak, en 2003. Plusieurs Canadiens et Canadiennes craignaient que cela nuirait aux relations entre les deux pays, indique Frédrick Gagnon. «On se rend compte aujourd’hui que la décision d’Ottawa était la bonne. Les raisons avancées par la Maison-Blanche pour intervenir en Irak – présence d’armes de destruction massive, liens entre le régime irakien et Al-Qaïda – se sont avérées fausses. Aujourd’hui, de nombreux Américains et Américaines regrettent que leur pays ait investi autant de ressources humaines et financières dans cette guerre, laquelle n’a pas permis d’instaurer la démocratie en Irak ni d’éradiquer le terrorisme dans la région, comme Bush et ses conseillers le croyaient.»
Les événements du 11 septembre ont peut-être été les derniers à avoir rallié une majorité d’Américains et d’Américaines autour d’une cause commune, estime le professeur. «Quand le président Bush a déclaré: “Nous allons lutter contre le terrorisme et nous allons intervenir en Afghanistan”, démocrates et républicains étaient unis pour dire que c’était la meilleure façon d’agir et les sondages d’opinion révélaient un large consensus. Aujourd’hui, dans une société américaine hyperpolarisée, marquée par l’aggravation des inégalités socio-économiques, l’accentuation des tensions raciales et la montée des groupes haineux d’extrême-droite, on voit mal quel serait l’enjeu sur lequel les Américains pourraient s’entendre.»
La tragédie afghane
La commémoration des 20 ans des attentats du 11 septembre, lesquels avaient justifié l’invasion de l’Afghanistan par les États-Unis et leurs alliés de l’OTAN, survient au moment où les talibans sont parvenus à reconquérir le territoire.
«Certes, le retour au pouvoir des talibans constitue un échec pour les États-Unis et pour la communauté internationale, mais les dirigeants afghans, faibles et minés par la corruption, portent aussi une lourde part de responsabilité», observe Charles-Philippe David. Outre le danger que les talibans reviennent à leurs habitudes moyenâgeuses des années 1990, l’Afghanistan risque de sombrer dans le chaos alors que des factions rivales combattent entre elles. «Les attentats à l’aéroport de Kaboul à la fin août n’étaient pas l’œuvre des talibans au pouvoir, mais d’une faction dissidente qui ne les aime pas.»
Plusieurs observateurs craignent que l’Afghanistan ne redevienne un sanctuaire pour des organisations terroristes islamistes. «À court terme, le retour des talibans va galvaniser les mouvements djihadistes un peu partout, du Mali jusqu’en Indonésie, en passant par la Somalie, la Syrie et le Yémen, soutient le fondateur de la Chaire Raoul-Dandurand. Plusieurs groupes terroristes connus, au Sahel, notamment, voudront adopter les tactiques des talibans qui ont réussi. Et gardons l’œil ouvert sur l’Afghanistan, car on ignore combien de djihadistes s’inviteront sur son territoire, comme ce fut le cas entre 1989 et 1995.»
Pour Frédérick Gagnon, la victoire stupéfiante des talibans symbolise la faillite d’une certaine vision du rôle des États-Unis dans le monde. «On a surestimé l’attrait exercé par le modèle américain, tant en Afghanistan qu’en Irak. En 2003, l’un des chefs du Pentagone disait: “Les acteurs qui nous appuient en Irak prendront le pouvoir, la reconstruction se fera grâce à l’exploitation du pétrole et il y aura un vent de démocratie dans la région”. Vingt ans plus tard, on est revenu à la case départ. Concernant l’Afghanistan, Joe Biden a déclaré que même si les États-Unis avaient retardé leur retrait de cinq ou dix ans, les résultats auraient été probablement similaires à ceux d’aujourd’hui.»
Charles-Philippe David croit que les dirigeants américains auraient pu tabler sur les attentats du 11 septembre pour rallier la planète, y compris les Russes et les Chinois, en proclamant la nécessité de travailler ensemble contre un danger qui nous affecte tous. «Depuis 20 ans, on observe un recul du leadership des États-Unis dans le monde et le retour, au-devant de la scène, de la lutte entre les grandes puissances. Au lieu de s’attaquer à des problèmes transnationaux, comme les changements climatiques, les flux migratoires et la pandémie de Covid-19, plusieurs pays se replient sur eux-mêmes comme si on assistait à un renfermement du monde.»
Le 5 septembre dernier, le professeur a signé dans le journal La Presse l’article «Les cinq grandes leçons du 11 septembre.»
Échos littéraires du 11 septembre 2001
Le professeur du Département d’études littéraires Bertrand Gervais, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les arts et les littératures numériques et directeur du laboratoire NT2, ainsi que le professeur de l’Université Sainte-Anne Jimmy Thibeault organisent un atelier sur l’imaginaire et les représentations littéraires des attentats du 11 septembre 2001, qui aura lieu le 10 septembre, à 9h 30.
Des chercheurs et chercheuses discuteront des tensions que ces événements ont entraîné dans les discours identitaires du début du 21e siècle. Est-ce que ces attentats ont marqué une désillusion à l’égard de la promesse d’universalité célébrée dans la seconde moitié du 20e siècle, notamment dans la foulée de la chute du Mur de Berlin? Comment recomposer le discours d’ouverture à l’autre, valoriser la rencontre des différentes identités? C’est l’expression de la tension entre ouverture et repli que les participants chercheront à relever dans certaines œuvres littéraires.
Bimodal, l’atelier se déroulera à l’UQAM (local J-4935) et sur Zoom.