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Briser le cycle de la dépendance

Un programme d’intervention entend favoriser l’autonomie des femmes victimes de violence conjugale.

Par Claude Gauvreau

24 août 2020 à 11 h 08

Mis à jour le 24 août 2020 à 14 h 08

Les maisosn d’hébergement offrent aux femmes violentées la possibilité de réorganiser leur vie et d’entreprendre une démarche de dévictimisation et d’empowerment.
Illustration: Getty/Images

Au Québec, plusieurs femmes victimes de violence conjugale – avec ou sans enfants –, ayant décidé de quitter leur conjoint, trouvent refuge dans l’une des maisons d’hébergement dites de 2e étape (voir encadré) qui leur sont dédiées. Toujours à risque de subir de la violence de la part de leur ex-conjoint, ces femmes vivent une période de transition identitaire à titre de chefs de famille et se questionnent sur leur avenir, notamment professionnel. Malheureusement, les maisons d’hébergement de 2e étape ne disposent pas de services spécialisés en développement de carrière ou en orientation et n’ont pas toujours les moyens financiers d’embaucher des ressources professionnelles dans ces domaines.

Depuis 2018, les professeurs du Département d’éducation et pédagogie Louis Cournoyer et Lise Lachance mènent un projet consistant à bâtir un programme d’intervention en développement de carrière pour les femmes victimes de violence conjugale. Construit en partenariat avec l’Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape et soutenu par le Service aux collectivités (SAC), ce projet a bénéficié d’une subvention du Fonds des services aux collectivités du ministère de l’Éducation et de l’Enseignement supérieur. La diplômée et conseillère en orientation Isabelle Privé (M.A. carriérologie, 2016) et Ève-Marie Lampron du SAC en assurent la coordination générale.

«En plus de procurer aux femmes violentées un logement sécuritaire, les maisons d’hébergement leur offrent la possibilité de réorganiser leur vie et d’entreprendre une démarche de dévictimisation et d’empowerment, souligne Louis Cournoyer. S’inscrivant dans cette logique, le programme d’intervention en développement de carrière a pour principal objectif de favoriser l’autonomie socio-professionnelle des femmes.»

Coconstruit à partir des expertises et des expériences des chercheurs de la Faculté des sciences de l’éducation et des intervenantes des maisons d’hébergement, le programme vise non seulement à permettre aux femmes d’acquérir des ressources personnelles et professionnelles afin de rompre avec la précarité ou la dépendance financière à l’égard de leur ex-conjoint, mais aussi de produire des outils d’accompagnement adaptés pour les femmes participantes et les intervenantes et d’organiser à leur intention des séances de formation.

Les origines du projet

Les professionnels du développement de carrière et les conseillers d’orientation sont formés et qualifiés pour assurer des services d’accompagnement en matière d’orientation de carrière et d’employabilité. «C’est pourquoi l’Alliance a fait appel à la Faculté des sciences de l’éducation qui, à travers ses programmes de premier et deuxième cycles en développement et en counselling de carrière, détient une expertise dans ces domaines»,  explique Lise Lachance.

Isabelle Privé a joué un rôle clé dans le développement du projet, poursuit la professeure. «Possédant déjà une expérience de travail dans le milieu des maisons d’hébergement pour femmes victimes de violence conjugale, elle a conçu dans le cadre de ses études de maîtrise en counselling de carrière un projet pilote d’accompagnement, lequel a ouvert la voie au partenariat avec l’Alliance. Dès le départ, le projet était fondé sur l’idée que pour se libérer de la dépendance socio-économique, les femmes ayant subi de la violence conjugale ne peuvent pas se contenter d’emplois de survie et ont besoin de développer des projets de vie professionnelle.»

Rencontres individuelles et de groupe

Le programme d’intervention en développement de carrière prévoit des rencontres individuelles et de groupe avec des femmes en hébergement. «Ces rencontres ne servent pas uniquement à examiner les possibilités d’emploi, observe Louis Cournoyer. Représentant une population fragilisée, les femmes victimes de violence conjugale, qui aspirent au marché du travail et souhaitent jouer un rôle actif dans la société, doivent reconstruire leur estime de soi et leur confiance.»

«Les rencontres permettent aux femmes de briser leur solement, de reconnaître leurs aptitudes et ressources personnelles, de définir leurs intérêts et de développer un sentiment de compétence, des conditions essentielles pour se mobiliser et se projeter dans l’avenir», poursuit Lise Lachance.

Jusqu’à maintenant, deux cohortes regroupant une douzaine de femmes ont participé aux différentes activités prévues au programme. «Depuis, à cause de la pandémie, nous offrons des interventions en ligne destinées à une troisième cohorte, note Louis Cournoyer, ce qui nous permet de rejoindre des femmes à l’extérieur de Montréal.»

Maisons d’hébergement: un rôle essentiel

– L’Alliance des maisons d’hébergement de 2e étape regroupe une vingtaine de maisons, réparties dans 12 régions du Québec, qui offrent plus de 100 logements et chambres sécuritaires aux femmes victimes de violence conjugale.

– S’inscrivant dans le continuum de services en matière de violence conjugale au Québec, les maisons d’hébergement de 2e étape ont pour mission d’accueillir les femmes avec ou sans enfants qui décident de quitter leur conjoint violent.

– Ces établissements offrent une gamme de services spécialisés afin de soutenir les femmes dans leurs démarches, que celles-ci soient médicales, psychologiques, juridiques, judiciaires, économiques ou financières.

– Les maisons d’hébergement proposent aussi aux femmes et aux mères des activités favorisant la reconstruction de l’estime de soi et la réappropriation de leur plein potentiel.

– En 2018-2019, les maisons de 2e étape ont hébergé un peu plus de 200 femmes et plus de 250 enfants, une augmentation de 16 % par rapport à l’année précédente. Disposant toutefois de ressources limitées, les maisons d’hébergement (de 1ère et 2e étape) ont dû refuser de nombreuses demandes en 2018-2019 par manque de places.

Un volet recherche

Sur le plan de la recherche, les deux professeurs se sont donné pour tâche d’évaluer l’implantation et l’efficacité du programme d’intervention à l’aide d’indicateurs professionnels, tant pour les femmes participantes que pour les intervenantes des maisons d’hébergement qui les accompagnent.

«Au moyen d’entrevues, nous voulons savoir comment les femmes ont vécu leur expérience, notamment dans leurs rapports avec le milieu d’hébergement et avec les conseillères d’orientation», indique Louis Cournoyer. «Des commentaires recueillis jusqu’à présent auprès des participantes nous permettent de dire que l’expérience s’avère positive, notamment sur le plan de la mobilisation personnelle, du partage et de l’entraide», ajoute Lise Lachance. «Nous nous appuierons sur les résultats de l’évaluation pour démontrer les bienfaits du programme et inciter ses bailleurs de fonds à continuer de le soutenir», renchérit son collègue.

Dans la perspective d’assurer la pérennité du projet, des activités de transfert des connaissances seront organisées à l’intention des femmes victimes de violence conjugale, des maisons d’hébergement et aussi des professionnels en développement de carrière regroupés au sein de l’Ordre de conseillers et conseillères d’orientation du Québec. «Environ 20 % des conseillers et conseillères d’orientation travaillent en employabilité et sont confrontés à des clientèles diversifiées, dont certaines connaissent la précarité, rappelle Louis Cournoyer. Il est important de les sensibiliser aux conditions et enjeux particuliers que vivent les femmes victimes de violence conjugale, lesquelles veulent faire des choix éclairés quant à leur avenir.»