Série COVID-19: tous les articles
Les nouvelles sur la situation à l’Université entourant la COVID-19 et les analyses des experts sur la crise sont réunies dans cette série.
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En temps de crise, le sport professionnel sert souvent d’exutoire, de diversion ou de source de réconfort pour les partisans. Leurs favoris deviennent même des figures rassurantes: on pense à Derek Jeter au Yankee Stadium après le 11 septembre, à Drew Brees après l’ouragan Katrina en Nouvelle-Orléans ou à David Ortiz au Fenway Park après l’attentat au marathon de Boston. Or, ce printemps, les rassemblements sportifs sont devenus l’exemple de ce qu’il ne faut pas faire pour lutter contre la pandémie. Devant la menace posée par la COVID-19, rien ne serait davantage contre-indiqué que de réunir des milliers de personnes dans un stade.
«Pour l’industrie du sport, qui surfait sur une vague de prospérité depuis de nombreuses années, au point d’être le théâtre de plusieurs excès, souvent au détriment du partisan et de son portefeuille, le réveil pourrait être brutal, estime le professeur du Département de marketing de l’ESG UQAM André Richelieu. Il ne faut pas être un lauréat du prix Nobel de médecine ou d’économie pour réaliser qu’il faudra des mois, voire des années pour se relever des suites de la pandémie que nous vivons actuellement.»
Disparités selon les ligues
L’Association nationale de basketball (NBA) a été la première ligue professionnelle nord-américaine à cesser ses activités le 12 mars dernier. Le jour même, la Ligue majeure de soccer (MLS) puis la Ligue nationale de hockey (LNH) annonçaient également la suspension de leurs activités. Le début de la saison de la Ligue majeure de baseball (MLB), prévu le 26 mars, a été reporté. Quelles sont les ligues qui seront les plus durement touchées par cet arrêt forcé et quelles sont celles qui s’en tireront le mieux ? «Sans en sortir complètement indemne, et sous toute réserve en fonction de la durée et de la gravité de la pandémie, la NBA se portera probablement mieux que d’autres ligues, analyse André Richelieu, car elle est devenue une marque mondiale, avec des consommateurs aux quatre coins du globe qui s’identifient à ses équipes et joueurs de plusieurs nationalités. La NBA, en prenant de l’expansion internationale a aussi, par ricochet, distribué son risque.»
A contrario, poursuit le professeur, la LNH devrait souffrir beaucoup plus. «Tout d’abord, c’est une ligue gérée avec une approche ethnocentrique qui a fait très peu d’efforts pour développer le marché international. Avant même que la pandémie ne nous frappe, la LNH refusait toujours de participer aux Jeux olympiques de Beijing de 2022, malgré la vitrine que cela pouvait représenter. Une telle approche me paraît sectaire, pour dire le moins.»
La LNH est également la ligue nord-américaine majeure qui dépend le plus des revenus de la billetterie, observe André Richelieu. «Avec la pandémie et ses répercussions économiques, le dollar discrétionnaire limité des consommateurs affectera la LNH; tout comme une baisse éventuelle d’achats de billets de saison, de locations de loges et de commandites de la part des entreprises.»
Le professeur du Département d’histoire Jean Lévesque partage cet avis. «Les ligues dont les droits de télévision sont moins élevés, comme la LNH, souffriront davantage que la NFL, la MLB ou les ligues de soccer européennes, dont les revenus dépendent moins des entrées payantes dans les stades», estime-t-il.
Un report prolongé des activités de la LNH pourrait même s’avérer fatal pour une équipe comme les Sénateurs d’Ottawa, poursuit André Richelieu. «Avec une direction qui a tout fait pour s’aliéner ses partisans en se défaisant de ses meilleurs joueurs pour une bouchée de pain, la colère a fait place à l’indifférence au sein des amateurs de hockey de la capitale nationale», note-t-il. La pente à remonter risque d’être abrupte.
La “myopie marketing”
Au cours des dernières années, l’industrie du sport s’est transformée en “sportainment” – fusion de “sport” et de “divertissement”, note André Richelieu. Or, le divertissement devrait être un complément au produit sportif et non un substitut. «Les organisations sportives ont été aveuglées par les années fastes, au point de se déconnecter de leurs partisans. Le sport professionnel est devenu un divertissement de luxe pour VIP. Les organisations sportives vont devoir ajuster leurs prix à la baisse après la pandémie, et ce, de manière prononcée; autant pour les particuliers que pour les corporations. Autrement, ces organisations perdront le lien avec leurs partisans et pourraient sombrer, victimes des contrecoups de cette “myopie marketing”.»
Il ne s’agira pas uniquement de baisser les prix, insiste le spécialiste. «Ce que les équipes vendent, c’est d’abord et avant tout de l’espoir, et ce qui importe le plus, c’est la victoire. Or, bon nombre d’équipes qui se sont reposées sur leurs lauriers au cours des dernières années, voire des décennies, vont devoir se mettre au travail, et arrêter de jouer avec les émotions de leurs partisans en faisant de fausses promesses ou en se réfugiant derrière le divertissement pour masquer la médiocrité chronique de leur produit sportif.»
Le cas des Jeux olympiques
Après avoir subi des pressions de certains comités nationaux, dont celui du Canada, le Japon et le Comité international olympique (CIO) ont convenu de reporter les Jeux olympiques à l’été 2021. «Il s’agit d’une première, souligne Jean Lévesque. Les Jeux d’été de 1916, qui devaient avoir lieu à Berlin, ainsi que les Jeux d’été (Tokyo) et d’hiver (Sapporo) de 1940, puis d’été (Londres) et d’hiver (Cortina d’Ampezzo) de 1944 avaient été annulés à cause de la guerre.»
Plusieurs athlètes, fédérations, comités nationaux et commentateurs ont déploré la lenteur du CIO dans le dossier de la COVID-19. «Le CIO attend souvent à la dernière minute pour prendre des décisions importantes, observe Jean Lévesque. Pensez au scandale du dopage russe qui a mené à l’interdiction de participation pour la Russie lors des Jeux de Rio en 2016 et de Pyeongchang en 2018. On était à une semaine ou deux avant le début des Jeux lorsque le CIO a tranché.»
«Le Japon et le CIO auraient dû faire preuve de proactivité et de sagesse, et montrer, sans équivoque, que les risques pour la santé de la communauté internationale avaient priorité sur les intérêts d’image et d’argent dans leur prise de décision», analyse André Richelieu.
Pour les villes et les pays, les grands événements sportifs représentent des opportunités de mise en valeur et de mise en marché sur la scène internationale, rappelle le spécialiste du marketing du sport. «C’est la stratégie du place branding via le sport, explique-t-il. Cette stratégie est d’autant plus efficace lorsque l’on combine judicieusement sport, diplomatie et commerce afin de se construire un pouvoir d’influence, baptisé soft power. C’est ce que souhaitent faire le Japon, la Chine et le Qatar, pour ne citer que ces exemples. Or, compte tenu de l’ampleur de la pandémie actuelle, je dirais que le Japon aurait couru davantage de risque de ternir sa réputation en s’obstinant à organiser les Jeux olympiques cet été, coûte que coûte, plutôt qu’en les reportant.»
Les Jeux de Tokyo, désormais prévus du 23 juillet au 8 août 2021, célébreront assurément une forme de retour à la normalité. Jean Lévesque a toutefois une pensée spéciale pour les athlètes. «Ils s’astreignent à des programmes d’entraînement établis en fonction de compétitions les préparant à des performances maximales au moment des Jeux olympiques. Avec le report, je ne serais pas étonné que les records soient moins nombreux.»
Des modèles à revoir ?
La possibilité d’une deuxième vague de propagation de la COVID-19 à l’automne risque de compliquer la reprise des activités dans l’univers sportif. «Je crois qu’avec ou sans spectateurs, la bataille aura lieu sur le terrain des droits de télévision, estime Jean Lévesque. Les ligues qui parviendront à présenter des matchs à leur auditoire risquent d’en sortir gagnantes.»
Les deux experts croient que la pandémie laissera des traces profondes dans le sport professionnel. «Déjà, avant la pandémie, le streaming et le e-sport commençaient à chambouler l’industrie, note André Richelieu. Le confinement et ses effets rémanents pourraient fort bien accélérer les bouleversements et forcer les gestionnaires à revoir leurs façons de faire, leurs modèles et leurs stratégies.» Ce sera sans doute le cas, par exemple, des velléités de construction d’un stade pour obtenir ou garder un club dans une ville. «Il sera mal avisé, pour des promoteurs ou des politiciens, de faire valoir l’importance de construire un stade avec des fonds publics au sortir de la crise actuelle», conclut-il.