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Sécurité alimentaire en temps de pandémie

Il faut miser davantage sur l’agriculture urbaine pour nourrir nos populations.

Par Valérie Martin

21 avril 2020 à 15 h 04

Mis à jour le 19 avril 2021 à 10 h 04

Série COVID-19: tous les articles
Les nouvelles sur la situation à l’Université entourant la COVID-19 et les analyses des experts sur la crise sont réunies dans cette série.

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À Montréal, les jardins collectifs, communautaires, pédagogiques, institutionnels ou en entreprise ainsi que les potagers domestiques fournissent, en légumes frais, 100 000 à 250 000 personnes, soit 5% à 12 % de la population pendant la période estivale.  Photo: Getty Images

Au cours de l’un de ses points de presse quotidien, le Premier ministre François Legault a récemment plaidé pour une plus grande autonomie alimentaire au Québec. La crise engendrée par la COVID-19 fera-t-elle évoluer les pratiques en agriculture? «Il faudra prendre le temps d’explorer d’autres avenues: se tourner vers une agriculture de proximité et favoriser les petites fermes cultivant des produits diversifiés, soutient le professeur associé à l’Institut des sciences de l’environnement Éric Duchemin (Ph.D. sciences de l’environnement, 2000), un spécialiste de l’agriculture urbaine. Le défi est de nourrir les populations locales à faible coût, tout en soutenant mieux les petites entreprises agricoles afin d’assurer leur viabilité.»

Actuellement, environ 40 pour cent des produits alimentaires consommés par les Québécois proviennent des États-Unis ou y transitent. Par ailleurs, une grande partie de la production québécoise est exportée à l’étranger. Selon le professeur, il faut éviter, une fois la crise terminée, de tomber dans le piège de la facilité. Conserver un schéma traditionnel de fermes intensives, à grosses productions et hautement mécanisées n’est pas, selon lui, une solution d’avenir. «Ce système a été mis en place pour l’exportation, dit Éric Duchemin. Il faut prendre un virage conscient et réfléchir à une transition plus écologique. Surtout ne pas créer une bête pour remplacer la bête!»

Jusqu’à maintenant, le système de distribution alimentaire s’est montré résilient et semble pouvoir faire face à la crise sanitaire, note le professeur. Ce sont toutefois les petits producteurs urbains qui peinent à survivre. «Leurs clients réguliers sont des restaurateurs et des hôteliers, lesquels ont dû fermer leurs portes ou diminuer leurs activités en raison de la crise», explique l’expert, aussi directeur scientifique du Laboratoire sur l’agriculture urbaine (AU/LAB). Ces fermes urbaines sont concentrées dans la production de niche, comme la culture des champignons ou celle des micropousses et autres verdures à la verticale. Pour les soutenir, les membres de l’AU/LAb ont lancé une campagne sur leur page Facebook afin de les faire connaître auprès des citoyens et inciter ces derniers à acheter leurs produits. La Ligne verte: maraîcher, fondée par Antoine Trottier (M.Sc. sciences de l’environnement, 2010) et Patrice Godin (M.Sc. sciences de l’environnement, 2008), une entreprise qui met en place des projets de verdissement sur les surfaces urbaines (toits verts, aménagements écologiques, agriculture urbaine, murs végétaux) a, pour sa part, été secourue par l’UQAM. Depuis la mi-mars, les diplômés disposent d’un espace dans les serres du pavillon des Sciences biologiques (SB) pour y faire pousser leurs semis destinés à leur projet de ferme sur le toit de l’épicerie IGA, dans l’arrondissement Saint-Laurent.

L’agriculture urbaine: un service essentiel

Pour survivre à la crise sanitaire et par souci d’économiser sur la facture d’épicerie, de nombreux citoyens aux quatre coins du monde se tournent vers l’agriculture urbaine (AU). Au Québec, entre 35 % et 50 % de la population pratique l’agriculture urbaine, en particulier sous la forme d’un potager à la maison, selon une étude publiée au début du mois d’avril sur le site web de l’AU/LAB. Cette étude visait, entre autres, à faire connaître la production alimentaire ainsi que la superficie cultivée des différentes formes d’agriculture urbaine. À Montréal, les jardins collectifs, communautaires, pédagogiques, institutionnels ou en entreprise ainsi que les potagers domestiques fournissent, en légumes frais, 100 000 à 250 000 personnes, soit 5% à 12 % de la population pendant la période estivale. La production oscille entre 3000 et plus de 7000 tonnes. «La recherche démontre l’importance de l’agriculture urbaine pour nourrir les gens et, en particulier, les citoyens vulnérables, affirme Éric Duchemin. Elle permet de constater la place grandissante et relativement ignorée de ce type d’agriculture dans la sécurité alimentaire des villes.»

Dans cette optique, les services offerts par les jardins collectifs et communautaires, qui ouvriront leurs portes aux jardiniers amateurs le 1er mai prochain, seront maintenus. «Ce sont des services essentiels», insiste Éric Duchemin. Les jardiniers auront toutefois à se plier à de nouvelles règles de conduite, avertit le professeur. «Dans les jardins communautaires, les parcelles sont assez grandes et il est possible d’y faire appliquer les règles de distanciation sociale ou encore d’instaurer des plages horaires pour éviter qu’un trop grand nombre d’usagers s’y pointent en même temps.» Il y a des enjeux sanitaires au niveau des cadenas et outils agricoles, certes, «mais un nettoyage plus fréquent et des patrouilles exécutées par des intervenants d’organismes communautaires ou de la Ville pourraient être mis en place, le tout pour veiller au respect des nouvelles normes sanitaires», propose le professeur, qui souhaite mener un sondage auprès des Montréalais afin de déterminer si ces derniers prévoient cultiver un jardin malgré les circonstances.

Autre mesure pour favoriser l’autonomie alimentaire: l’agriculture en serre. Que pense le professeur de la suggestion d’Hydro-Québec d’offrir aux agriculteurs en serre des tarifs d’électricité préférentiels, comme la société d’État le fait déjà pour les alumineries et les producteurs de marijuana? «L’enjeu, au Québec, c’est l’hiver et le manque d’ensoleillement durant cette période, relève Éric Duchemin. Les coûts reliés à l’électricité et au chauffage sont déjà assez bas, mais il reste que cela coûte cher de produire au Québec en hiver. La vraie question est: les gens sont-ils prêts à payer pour des fruits et légumes produits en serre au Québec?»

Il faudrait investir dans des systèmes de production innovateurs et mener des recherches dans le but de trouver des modèles viables, à la fois économiques et écologiques. «Les serres pourraient être situées à proximité de sources industrielles d’énergie», suggère Éric Duchemin. Un futur projet du Centre de recherche, d’expertise et de transfert en agriculture urbaine, le CRETAU, un volet de l’AU/LAB regroupant l’UQAM, le ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ) et la Ville de Montréal, prévoit faire appel à ce type d’énergie recyclée pour chauffer une serre urbaine. Le complexe serricole élira domicile près d’une centrale de cogénération, sur les lieux de l’ancien site d’enfouissement de la Ville de Montréal et de la carrière Miron. Une partie des rejets thermiques de la centrale servira de source de chauffage pour les serres, afin de couvrir leurs besoins. «Cette serre urbaine sera une entreprise d’économie sociale, avec un volet commercial, communautaire et de recherche et développement», précise Éric Duchemin.

D’autres serres pourraient être installées sur des toits moins bien isolés et déjà chauffés, de manière à ce qu’elles profitent de la chaleur résiduelle des immeubles. L’entreprise montréalaise Lufa cultive ainsi, grâce à une serre sur toit, une foule de légumes 12 mois par année. Le CRETAU a ouvert un projet similaire l’an dernier. La Centrale agricole, un espace de production en intérieur de 3000 mètres carrés regroupant une douzaine d’agriculteurs urbains, est située dans l’arrondissement Ahuntsic-Cartierville, à quelques pas du Marché Central. «C’est un espace coopératif et un lieu d’expérimentation et de recherche sur l’économie circulaire, ajoute Éric Duchemin. On y offre également des services d’accompagnement pour les fermiers urbains.»

Les projets de fermes urbaines ont aussi pour objectif de préserver la diversité alimentaire. «Oui pour l’augmentation des serres urbaines et des entreprises d’agriculture urbaine, mais encore faut-il s’assurer que ces entreprises produisent des produits diversifiés et ne tombent pas dans un modèle de monoculture qui pourrait s’avérer plus lucratif à première vue», dit Éric Duchemin. Il existe 29 000 fermes au Québec et quelque 70 entreprises en agriculture urbaine, dont la plupart sont installées à Montréal.

École d’été en agriculture urbaine et visioconférence

Dans le cadre des formations de l’Union des municipalités du Québec (UMQ), Éric Duchemin donnera le 13 mai prochain une formation en visioconférence sur la conception d’un plan ou d’une politique d’agriculture urbaine. La formation payante s’adresse aux élus et gestionnaires municipaux.

Quant à la 12e édition de l’École d’été en agriculture urbaine, prévue du 17 au 20 août prochain, et dont le thème, cette année, est la transition écologique des villes, l’activité est toujours maintenue au moment d’écrire ces lignes. «Nous prendrons une décision à la mi-mai, dit Éric Duchemin. Une édition en ligne sera peut-être disponible.»