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Pour le droit à la protection sociale

Les droits économiques, sociaux et culturels sont des droits humains interdépendants, souligne une étude. 

Par Claude Gauvreau

6 juillet 2020 à 18 h 07

Mis à jour le 7 juillet 2020 à 13 h 07

Le document est le fruit d’un travail de recherche et de consultation amorcé en 2018 sous la direction de la professeure du Département des sciences juridiques Lucie Lamarche, vice-présidente de la LDL.

Alors que des dizaines de milliers de personnes ont perdu leur emploi au Canada depuis le début de la pandémie, divers programmes de soutien au revenu ont été mis en place par les gouvernements fédéral et provincial. Pour faire le point et pour alimenter la réflexion sur les mécanismes de sécurité sociale au pays, La Ligue des droits et libertés (LDL) a fait paraître un document d’analyse intitulé «Le droit à un niveau de vie suffisant. Faut-il s’inquiéter quand le rapport d’impôt s’en mêle?»

Portant sur le droit à la protection sociale – une composante essentielle du droit à un niveau de vie suffisant –, le document est le fruit d’un travail de recherche et de consultation amorcé en 2018 sous la direction de la professeure du Département des sciences juridiques Lucie Lamarche, vice-présidente de la LDL. Principalement destiné aux personnes qui militent pour la défense des droits humains, aux organisations syndicales et aux groupes communautaires, le document aborde le droit à la protection sociale à l’heure de la COVID-19, tout en rappelant les transformations dont il a fait l’objet ces dernières décennies.

«Le respect du droit à la protection sociale renvoie aux mécanismes mis en place par un État afin de suppléer au revenu des personnes touchées par le chômage, les accidents de travail, la maladie ou la vieillesse », explique la professeure. Il s’inscrit dans le cadre de l’interdépendance des droits économiques, sociaux et culturels – droit au travail, à l’éducation, à la santé, au logement –, reconnue par la Déclaration universelle des droits de l’homme.

«Depuis quelques années, la Ligue défend l’idée que les droits économiques, sociaux et culturels sont des droits humains fondamentaux et interdépendants, rappelle Lucie Lamarche. Malheureusement, contrairement à d’autres pays, nos documents constitutionnels, tels que les chartes des droits et libertés au Canada et au Québec, ne protègent pas ces droits suffisamment.»

Programmes universels révisés

Dès les années 1970, l’État canadien entreprend la révision des programmes sociaux universels – allocations familiales, pensions de vieillesse, aide sociale et assurance-chômage –, réduisant leur accessibilité et les montants d’aide financière qui leur sont associés.  Ainsi, en 1978, le gouvernement fédéral introduit un crédit d’impôt remboursable pour les enfants à charge, lequel décroît en fonction du revenu familial. Du même souffle, il met fin à l’indexation au coût de la vie des allocations familiales universelles, lesquelles sont abolies en 1989 pour être remplacées par un crédit d’impôt. Puis, en 2016, l’ensemble des crédits pour enfants est refondu en une seule allocation canadienne pour enfants (ACE) destinée aux familles. 

Le changement le plus significatif survient toutefois dans les années 1990, remarque la professeure. «L’État fédéral incite à la recherche d’emploi les bénéficiaires de l’assurance-chômage et de l’aide sociale, sous peine de suspension, et réduit le montant des prestations hebdomadaires ainsi que leur durée, soumettant celle-ci au nombre de semaines travaillées lors de la période de référence dans une région donnée.» 

Les modifications successives apportées au régime canadien de l’assurance-emploi ont eu pour résultat que seulement 40 % des personnes sans emploi, en 2017, touchaient des prestations, les répercussions étant plus sévères pour les femmes, les jeunes et les travailleurs qui doivent se contenter d’emplois à temps partiel, temporaires ou occasionnels. 

Fiscalisation du social

Dans son document,  la LDL analyse la tendance croissante au Québec et au Canada à se tourner vers la «fiscalisation» de la protection sociale. «Cette expression, observe Lucie Lamarche, évoque le choix de l’État de suppléer à l’insuffisance du revenu des ménages par des crédits d’impôt, au lieu de bonifier les programmes sociaux, comme ceux de l’assurance-emploi, de l’aide sociale et des pensions de vieillesse, les salaires, minimum notamment, et les conditions de travail, ce qui répondrait davantage aux exigences du droit humain à la protection sociale et à un niveau de vie décent.»

En d’autres termes, ce n’est plus la cause de l’interruption du revenu – chômage, vieillesse, travail précaire –, mais le revenu, toutes sources confondues, qui donne accès aux crédits d’impôt, lesquels régressent jusqu’à devenir nuls selon différents seuils. 

«Les crédits d’impôt, qui sont déterminés par la loi sur le budget, peuvent changer d’une année à l’autre, indique la chercheuse. Malgré l’imprévisibilité de la méthode, de nombreux Québécois et Québécoises dépendent de ces crédits fiscaux pour accroître leur revenu disponible. On sait aussi que l’impôt génère des trop-payés que l’on doit rembourser. Enfin, ces techniques de ciblage fiscal ont une fonction politique et électorale: remettre de l’argent dans les poches des contribuables.»

Le fait de devoir faire son rapport d’impôt pour avoir accès à ces mesures constitue-t-il un frein à l’universalisme du droit à la protection sociale?, s’interroge la LDL. Qu’en est-il, par exemple, des personnes seules et des travailleurs âgés et à faible revenu qui sont peu visés par les bénéfices de la fiscalisation du social? Subventionner le coût du logement par des crédits ou autres aides fiscales suffit-il à garantir la réalisation du droit au logement? 

Mesures en temps de pandémie

Depuis le début de le crise sanitaire au Canada et au Québec, de nombreuses mesures – prestation canadienne d’urgence, subvention salariale d’urgence aux entreprises, programme incitatif pour la rétention des travailleurs essentiels – ont été mises en place pour les entreprises et les travailleurs ayant perdu leur emploi à cause de la COVID-19.

Selon la LDL, ces mesures d’urgence temporaires partagent des caractéristiques communes. Gérées par Revenu Québec ou par l’Agence du revenu du Canada, elles suppléent au revenu perdu ou insuffisant en fonction du revenu déclaré pour une période antérieure à la crise sanitaire, nécessitent que les rapports d’impôt aient été produits pour les années antérieures et se substituent, notamment dans le cas des chômeurs, au mécanisme habituel de remplacement du revenu que constitue le régime canadien d’assurance-emploi.

«Il ne faut pas oublier que la prestation canadienne d’urgence est imposable et que des personnes devront en rembourser une partie, prévient Lucie Lamarche. On peut craindre que de nombreux travailleurs à faible revenu se retrouvent dans une situation encore plus précaire l’an prochain. Que feront les plus vulnérables avec des avis de cotisation émis par Revenu du Canada qui leur annoncent de mauvaises nouvelles? Se posera alors la question de l’accès à la justice pour les milliers de personnes qui souhaiteront contester ces avis.»

Les mesures de crise ont, par ailleurs, incité certaines personnes à défendre l’idée d’un programme de revenu minimum garanti. «La Ligue a choisi de ne pas se prononcer sur ce sujet, préférant soulever des questions à partir du cadre de référence des droits humains», note la professeure.

La LDL estime que l’analyse proposée dans son document sera d’autant plus pertinente au lendemain de la crise sanitaire, alors qu’il faudra penser les aides fiscales en termes de droits humains et non plus seulement en termes de suppléments de revenus.