Série COVID-19: tous les articles
Les nouvelles sur la situation à l’Université entourant la COVID-19 et les analyses des experts sur la crise sont réunies dans cette série.
Le ministre de l’Éducation, Jean-François Roberge (B.Ed. éducation au préscolaire et enseignement au primaire, 1996), a annoncé le 17 août dernier un investissement de 20 millions de dollars afin d’aider les élèves à rattraper leur retard. Cette mesure permettra d’ajouter l’équivalent de 350 professionnels dans les écoles et de mettre en place différentes mesures de soutien, notamment pour l’aide aux devoirs. «Ce sont de bonnes nouvelles en soi, mais est-ce que cela sera suffisant en l’état actuel du réseau scolaire?», se questionne Catherine Turcotte, professeure au Département d’éducation et formation spécialisées.
Avec quelque 400 écoles secondaires et 1700 écoles primaires au Québec, les partis d’opposition et de nombreux représentants syndicaux de l’enseignement ont eux aussi soulevé la question au cours des derniers jours. En revanche, la plupart des acteurs concernés ont salué la décision du gouvernement d’alléger le processus des évaluations administratives habituellement requises afin de déterminer les codes de difficultés des élèves avec des troubles d’apprentissage.
Détecter les petits retards
«Il faudra intervenir dès la rentrée auprès des nombreux élèves qui, sans avoir de troubles d’apprentissage, présenteront un petit retard dû au manque de stimulation lié au confinement, affirme Catherine Turcotte. On ne veut pas que ces retards prennent de l’ampleur et deviennent, avec le temps, des difficultés plus complexes à résoudre.»
Selon la spécialiste, l’ajout de professionnels venant de l’extérieur n’est pas nécessairement une solution pour venir en aide aux élèves ayant pris du retard ou perdu certains acquis. «Les enseignantes et les orthopédagogues déjà dans le milieu peuvent intervenir rapidement et efficacement, car elles connaissent les élèves, estime-t-elle. On ne peut pas se permettre d’attendre que des spécialistes parachutées d’une école à l’autre – ce qui, de toute façon, n’aurait pas de sens dans le contexte de la classe/bulle – apprennent à connaître les élèves, les évaluent, s’acclimatent à la culture de l’école et élaborent des plans d’intervention, alors que l’aide doit être apportée dès la première semaine.»
La meilleure solution, note Catherine Turcotte, serait de demander aux enseignantes et orthopédagogues qui le veulent de faire du temps supplémentaire et de les rémunérer en conséquence. «En français, par exemple, on peut facilement demander aux élèves d’écrire un court texte ou d’effectuer un exercice de lecture pour déceler les difficultés et les retards. On pourrait ensuite prévoir quelques séances après les heures de classe pour rattraper les notions manquantes auprès de petits groupes d’élèves.»
La professeure entend déjà les critiques fuser de toutes parts. «Certains ne manqueront pas de souligner que les enseignantes sont débordées et font des heures supplémentaires depuis des années et j’en suis consciente, dit-elle. Mais, justement, je propose que, cette fois-ci, on les rémunère pour le travail de planification et d’intervention qui pourrait être réalisé avec les élèves en dehors des heures de classe.» Plusieurs élèves, souligne-t-elle, demeurent à l’école de toute façon, au service de garde, en attendant leurs parents, tandis que d’autres fréquentent des cliniques d’aide privées après l’école.
En contexte de pénurie
Selon Catherine Turcotte, le facteur qui pèse le plus sur la capacité du réseau à combler les retards scolaires des élèves n’est pas la bonne volonté des professionnels en poste. C’est plutôt la pénurie d’enseignantes, d’orthopédagogues et d’orthophonistes, qui s’est accentuée depuis l’an dernier, particulièrement dans la grande région de Montréal.
En raison de la COVID-19, plusieurs enseignantes en fin de carrière ont opté pour la retraite plutôt que de vivre une rentrée sous le signe des contraintes sanitaires. D’autres, à risque, ne retourneront pas dans leur classe et participeront plutôt à l’élaboration de cours à distance. «L’année scolaire débutera vraisemblablement sans enseignante titulaire dans plusieurs classes du primaire et on risque d’y parachuter du personnel non qualifié. Or, pour rattraper le retard scolaire, il faut évaluer adéquatement les élèves ayant besoin d’aide et, pour cela, il faut des enseignantes qualifiées possédant une bonne connaissance des matières et du programme», insiste la professeure.
Conjuguer travail et études ?
Comme c’est le cas depuis plusieurs années, de nombreuses finissantes du bac en enseignement en adaptation scolaire et sociale ont été approchées pour un contrat dans les écoles, rapporte Catherine Turcotte. «Ceci soulève plusieurs enjeux : est-il mieux pour elles d’aller prêter mainforte au réseau sans avoir le temps et/ou la concentration optimale pour réussir les cours qu’il leur reste à faire ? Le risque qu’elles survolent trop rapidement certains contenus est réel, et cela pourrait les empêcher d’agir adéquatement auprès de leurs élèves… Espérons aussi que ce baptême du feu ne les découragera pas!»