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Entre gore et porno

La Cinémathèque française consacre une soirée à l’univers singulier du réalisateur et doctorant Éric Falardeau.

Par Claude Gauvreau

13 mars 2020 à 12 h 03

Mis à jour le 13 mars 2020 à 12 h 03

Affiche du film d’Éric Falardeau.

Après une folle nuit de sexe avec son partenaire du moment, la jeune Laura se réveille au petit matin avec d’étranges marques sur le corps. Sa peau commence à se nécroser et ses ongles à tomber. La raison de Laura se met alors à vaciller, la plongeant bientôt dans une folie meurtrière. Voilà en résumé le propos du film Thanatomorphose, réalisé en 2012 par le doctorant en communication Éric Falardeau. Celui-ci est à Paris, ce13 mars, pour présenter son long métrage à la célèbre Cinémathèque française.

«J’ai été invité par la Cinémathèque dans le cadre de ses soirées consacrées aux genres cinématographiques, qu’elle organise deux fois par mois, explique Éric Falardeau.  Thanatomorphose appartient au gore, un sous-genre du cinéma d’horreur. Il raconte l’histoire d’une femme dont le corps se décompose lentement, au propre comme au figuré. Ce projet a germé à l’époque où je travaillais à mon mémoire de maîtrise, lequel est devenu un essai, Le corps souillé. Gore, pornographie et fluides corporels, publié l’an dernier aux éditions L’Instant même.»

Lauréat d’une quinzaine de prix dans des festivals internationaux, comme ceux de la meilleure réalisation et des meilleurs effets spéciaux, Thanatomorphose est distribué sur support physique et numérique dans plus d’une dizaine de pays, dont la France, l’Allemagne, l’Italie, la Nouvelle-Zélande et les États-Unis. C’est l’un des films de genre québécois les plus vus des 10 dernières années.

Fascination pour le corps

La présentation de Thanatomorphose à la Cinémathèque française sera précédée d’une séance de signature de l’essai Le Corps souillé, dans lequel Éric Falardeau analyse deux genres cinématographiques souvent décriés, voire méprisés. «Ce qui unit le gore et le porno, dit-il, c’est la fascination pour le corps, qu’il s’agisse du corps matière – sang, entrailles – dans le gore, ou du corps performant – en termes sexuels – dans le porno. Par l’utilisation abondante de gros plans, les deux s’attèlent à montrer ce qui est caché: fluides corporels ou organes sexuels. Leur discours s’élabore autour des figures d’Éros et de Thanatos, qui sont les deux faces d’une même médaille.»

Le doctorant dit s’être inspiré de King Kong Théorie, un essai de l’écrivaine et réalisatrice féministe Virginie Despentes, pour qui le cinéma porno est un moyen de soulager la tension entre l’appel constant au sexe, auquel la société nous soumet, et les possibilités limitées qui s’offrent pour satisfaire le désir éveillé.

«Le cinéma porno ne se réduit pas au voyeurisme, soutient Éric Falardeau. Il provoque de fortes réactions parce qu’il transgresse des normes sociales, donne corps à une violence intérieure, constitue un miroir de nos pulsions les plus primaires et les plus irrationnelles, que la vie en société cherche à dompter. Traversé par divers courants, le porno est un genre en soi, qui possède sa propre histoire, ses auteurs, ses codes, son esthétique.» Et comme dans tout genre cinématographique, on y trouve des productions de qualité et d’autres qui ne méritent pas le détour, relève le doctorant.

Une dimension politique

Loin de faire l’apologie des sites web pornographiques qui encouragent l’exploitation sexuelle des femmes et des mineur.e.s, Éric Falardeau s’intéresse particulièrement aux productions qui ont fait œuvre politique en s’inscrivant dans une logique revendicatrice et progressiste. «Des études ont montré le rôle central joué par la pornographie gay, durant les années 1970, dans les revendications identitaires des jeunes homosexuels, tant en Amérique du Nord qu’en Europe. Les salles de cinéma porno servaient même de lieux de rassemblement.»

Au cours des années 1980 et 1990, des artistes féministes, comme Annie Sprinkle et Carolee Schneemann, cherchant à subvertir le modèle patriarcal, se sont approprié les codes de la porno masculine commerciale pour mieux les travestir. «Leurs performances filmées ne visaient pas à essentialiser la sexualité féminine ni à objectiver le corps des femmes de façon avilissante, mais plutôt à revendiquer l’expression d’une subjectivité sexuelle féminine, y compris en prônant une sexualité plus marginale, plus crue et plus brute», souligne le doctorant.

Comme tout autre genre cinématographique, le porno a connu une évolution depuis son âge d’or dans les années 1970. L’arrivée de la vidéo, par exemple, a provoqué non seulement des transformations esthétiques et thématiques (montée du hardcore), mais aussi la disparition progressive des projections en salle, le retour à la sphère privée par le visionnement à domicile et à des réseaux de distribution parallèle, le développement de productions amateur et l’abandon du récit au profit d’une présentation frontale de l’acte sexuel.

Fluides corporels

Les fluides corporels – sang, urine, sperme, excréments –, malgré le dégoût qu’ils suscitent, occupent une place importante dans les productions gores et pornos. «Ils représentent l’angle mort de notre rapport au corps, de notre rapport à l’impureté du corps, indique le doctorant. Ils incarnent, sans doute, l’un des derniers tabous. Objets également de fascination, ils sont l’expression d’une angoisse existentielle que le gore et la pornographie nous obligent à confronter.»

Enfin, l’exhibitionnisme des fluides corporels provoquent le malaise parce qu’il questionne les limites de notre corps, croit Éric Falardeau. «C’est comme s’il n’y avait plus de frontière entre le dedans et le dehors, entre le subjectif et l’objectif.»

Nouveaux projets

Le doctorant a codirigé l’ouvrage collectif Bleu nuit. Histoire d’une cinéphilie nocturne (2014) et est l’auteur d’Une histoire des effets spéciaux au Québec (2017), tous les deux publiés aux éditions Somme Toute. Il prépare un deuxième long métrage, une comédie érotique, ainsi qu’un essai sur l’histoire du cinéma porno au Québec.

Parallèlement à ces projets, Éric Falardeau poursuit sa recherche doctorale sous la direction de la professeure de l’École des médias Viva Paci. Sa thèse porte sur les représentations du corps masculin dans la production pornographique visant le public hétérosexuel. «Est-ce que la représentation du corps dans ce cinéma correspond à un fantasme proprement masculin  ou est-ce la reproduction d’un ensemble préétabli de stéréotypes? Je m’intéresse plus particulièrement au travail corporel et gestuel des comédiens, comme une manifestation révélatrice d’une conception de la masculinité.»