Série COVID-19: tous les articles
Les nouvelles sur la situation à l’Université entourant la COVID-19 et les analyses des experts sur la crise sont réunies dans cette série.
Le nouveau coronavirus s’est répandu à travers le monde comme une traînée de poudre. «La rapidité avec laquelle le virus s’est installé, c’est du jamais vu dans l’histoire, rappelle le professeur du Département de science politique Romain Lecler. La totalité des pays ont été touchés en l’espace de quelques mois à peine.» Spécialiste de la mondialisation, Romain Lecler veut mieux comprendre la diffusion internationale du virus au début de la pandémie. Son étude fait partie des projets sélectionnés par le Comité facultaire de la recherche de la Faculté de science politique et de droit, dans le cadre d’un concours lancé en avril dernier. L’objectif du concours était de soutenir des projets de recherche ponctuels en lien avec différents aspects de la COVID-19.
Romain Lecler compte porter un regard sociologique sur l’itinéraire du virus en identifiant, dans un premier temps, les patients zéro de chaque pays, grâce aux données compilées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS). «L’OMS a fait la recension de tous les premiers cas dans le monde par pays et par date d’arrivée, explique le professeur. Il ne s’agit pas toujours d’un patient zéro, mais, du moins, de la première fois où une personne a reçu un test positif de COVID-19.»
Les récits des premières personnes infectées par le virus, qui ont fait l’objet de nombreux reportages dans les médias, au Québec comme à l’étranger, intéressent le professeur. «L’analyse des récits me permet de reconstituer l’histoire et de mieux comprendre le trajet sociologique de l’épidémie, comment le virus circule et par quel chemin il entre dans chaque pays, par un groupe de touristes ou grâce à une communauté religieuse, par exemple», illustre Romain Lecler.
Les chemins de la pandémie
Pour s’établir, la maladie a emprunté différents itinéraires, constate le professeur. Dans des villes comme Montréal et New York, par exemple, le virus est arrivé par avion, porté par des voyageurs en provenance d’Iran, tandis qu’en Californie et en Colombie-Britannique, le virus est arrivé de la Chine. «Dans la plupart de ces cas, le virus a emprunté en premier la voie des transmigrations, un terme désignant les allers-retours fréquents entre pays de voyageurs qui visitent leurs familles fréquemment, possèdent la double nationalité ou encore se déplacent par affaires», indique Romain Lecler.
En Europe, le tourisme a été à l’origine de nombreux foyers d’éclosion. En Iran et en Corée du Sud, c’est par la religion que le virus s’est propagé. Dans le cas de l’Iran, Qom, la capitale religieuse du pays et haut lieu de pèlerinage musulman chiite, a été la première ville où l’on a recensé des cas de COVID-19. «Ces fidèles chiites, dont plusieurs provenaient d’Irak ou d’Afghanistan, ont à leur tour infecté leurs proches au retour des pèlerinages», dit le professeur. Quant à l’Afrique, le virus y est probablement arrivé par les expatriés et les ONG.
L’avion a ainsi joué un rôle majeur dans la propagation du virus. «La carte de la diffusion de la COVID-19 est calquée sur celle du transport aérien, observe Romain Lecler. Le virus est d’abord arrivé en Europe, puis s’est répandu dans les grandes villes internationales comme Paris et Londres, où il y a beaucoup de trafic aérien.»
Le nombre de passagers aériens a triplé en 20 ans: passant de 1,5 milliard au début des années 2000, il se chiffre désormais à plus de quatre milliards, fait remarquer le chercheur. «Avec le trafic aérien qui augmente sans cesse, les virus circulent davantage, et ce, de plus en plus rapidement, dit-il. La fréquence des épidémies globalisées comme le SRAS est en lien avec l’augmentation des déplacements.»
Toute petite planète
Ce virus «international» s’inscrit parfaitement dans son époque, mais son apparition a fortement ébranlé nos modes de vie de plus en plus mondialisés. «Les dispositifs de diffusion du virus relèvent de phénomènes en lien avec la mondialisation comme l’avion, les flux transnationaux, les pèlerinages religieux, les grands événements sportifs, les migrations internationales, les voyages d’affaires internationaux ainsi que les ONG», remarque Romain Lecler. Les acteurs de la mondialisation (institutions internationales, ONG, firmes transnationales, etc.) ont contribué à la propagation du virus ou en ont été victimes. Dans une ville comme Wuhan, en Chine, d’où le virus est originaire, on retrouve beaucoup d’expatriés et de nombreux investissements étrangers, soutient le professeur. «Pas étonnant que l’endroit ait été propice à la diffusion du virus.»
De nombreux événements internationaux, comme les championnats ou les tournois de sports, les congrès et les salons annuels ainsi que les pèlerinages religieux ont été annulés ou reportés. «On connaît maintenant les éléments clés-pour la propagation du virus, soit un espace clos dans lequel se rassemblent un grand nombre de personnes qui vont ensuite se disperser un peu partout dans le monde, et ce sont exactement ces éléments que l’on retrouve dans de tels événements», précise Romain Lecler. Les foires et les salons internationaux sont particulièrement touchés par la pandémie. «Les gens communiquent à distance, mais ils ont besoin d’une vraie rencontre pour échanger, discuter d’investissement, poursuivre une vraie relation d’affaires, souligne le professeur. L’intérêt d’une foire, c’est de faire connaissance en personne, de discuter autour d’un verre afin de renforcer la confiance mutuelle.»
Vers une démondialisation?
La pandémie sonne-t-elle le glas de la mondialisation? Romain Lecler n’y croit pas. «Le trafic aérien va reprendre, bien sûr, ainsi que les migrations et les grands événements sportifs. Nous sommes dépendants de la mobilité internationale.» Il faudra cependant faire un examen de conscience «et se poser des questions sur la nécessité de voyager fréquemment ou de visiter des régions de plus en plus éloignées.» Certaines universités doivent, par exemple, adopter des pratiques plus écoresponsables et s’interroger sur la mobilité de leurs chercheurs. «Les déplacements à l’étranger sont-ils toujours pertinents et nécessaires?», soulève le professeur. Quoi qu’il en soit, la mondialisation n’a pas dit son dernier mot. «Avec la recherche d’un remède contre la COVID-19, la collaboration entre les pays est primordiale, observe Romain Lecler. S’il y a une démondialisation dans le futur, ce sera le fait d’une volonté politique, comme celle, par exemple, d’investir dans une économie plus locale.»