Le prix Nobel 2020 de chimie a été décerné récemment aux généticiennes Emmanuelle Charpentier et Jennifer Doudna pour leur découverte d’un nouvel outil moléculaire capable de simplifier la modification du génome, une percée révolutionnaire. Elles devenaient les sixième et septième femmes à remporter un Nobel de chimie depuis 1901! «C’est un message fort envoyé à toutes les jeunes filles qui seraient tentées de faire une carrière en sciences, affirme la professeure du Département de chimie Isabelle Marcotte, vice-doyenne à la recherche de la Faculté des sciences. Cela montre que les femmes ont non seulement leur place en sciences, mais qu’elles peuvent faire preuve d’autant de créativité et de génie que les hommes.»
Il y a un peu plus d’un an, le magazine Québec Science rapportait que les femmes ne forment que 20 % de la main-d’œuvre dans les domaines des sciences et des technologies au Canada. Le magazine rappelait également que les femmes accèdent plus difficilement que les hommes à des postes de professeurs en sciences dans les universités, qu’elles obtiennent moins de subventions de recherche, sont moins souvent invitées comme conférencières dans des rencontres internationales et reçoivent moins de prix prestigieux.
«Malgré certains progrès, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour assurer une plus grande présence des femmes en sciences et ainsi accroître le nombre de modèles féminins», reconnaît Isabelle Marcotte.
À la Faculté des sciences de l’UQAM, les femmes (45) représentent près du quart des effectifs du corps professoral (190 professeurs réguliers). Le nombre de femmes varie, par ailleurs, selon les disciplines scientifiques. On compte, par exemple, 5 femmes (25 %) dans le Département de chimie et 13 (31, 7 %) dans celui des sciences biologiques. «Ce n’est pas propre à l’UQAM, note la vice-doyenne. On observe des chiffres semblables dans d’autres universités au Québec, au Canada et ailleurs. Aux États-Unis, la proportion de professeures dans les facultés de sciences plafonne à environ 20 %.»
Aux cycles supérieurs
On pourrait croire que plus le nombre de femmes inscrites aux études de cycles supérieurs en sciences est élevé, plus les chances sont grandes d’avoir des candidates pour des postes de professeurs. La réalité est toutefois plus complexe. «Il est vrai que l’on observe un nombre appréciable de femmes aux études supérieures dans différentes disciplines scientifiques, souligne Isabelle Marcotte. Aux États-Unis, par exemple, elles représentent environ 40 % des doctorants. À l’UQAM, 40 à 50 % des étudiants inscrits à des programmes de maîtrise et de doctorat en sciences sont des femmes. Elles ont de bonnes notes et sont aussi performantes que les hommes. Le problème est qu’elles ont tendance à abandonner durant ou après leurs études.»
Pour les femmes qui aspirent à une carrière de chercheuse, le choix d’avoir des enfants ou non se pose dès les études doctorales. Une femme qui termine son doctorat au début ou à la mi-trentaine ne peut pas attendre très longtemps, horloge biologique oblige, avant de décider de fonder une famille. Même pour les femmes qui réussissent à devenir professeures, le choix d’avoir un enfant peut retarder l’obtention de la permanence.
«Si une étudiante interrompt ses études doctorales parce qu’elle est tombée enceinte, cela peut créer un trou dans son CV et l’empêcher de réintégrer le milieu académique, observe la vice-doyenne. Des étudiantes intéressées par une carrière de professeure-chercheuse m’ont confié craindre d’être obligées de renoncer à une vie de famille, même si elles étaient conscientes que le milieu universitaire offre plus de flexibilité aux femmes que bien des entreprises privées.»
Voilà qui illustre, selon Isabelle Marcotte, l’importance d’apporter un soutien spécifique aux femmes afin qu’elles persévèrent dans leurs études et puissent concilier vie familiale et carrière académique. En juillet 2019, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, les Instituts de recherche en santé du Canada et le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada annonçaient que la durée du congé parental payé passait de six à 12 mois pour les étudiants diplômés et les stagiaires postdoctoraux appuyés par les organismes. Le changement s’applique aux titulaires d’une bourse d’études supérieures ou d’une bourse postdoctorale des organismes subventionnaires, ainsi qu’aux étudiants et aux boursiers qui sont payés à même la subvention d’un directeur de recherche accordée par l’un des organismes. Ce soutien accru vise à donner aux nouveaux parents une plus grande souplesse pour assumer leurs responsabilités familiales après la naissance ou l’adoption d’un enfant au cours de leur formation en recherche.
La Faculté des sciences pense également à des pistes de solution pour contrer la sous-représentation des femmes en sciences. «Nous avons lancé un concours destiné à accueillir et à appuyer des chercheurs postdoctoraux, incluant des postdoctorantes qui ont eu un enfant, note la vice-doyenne. Accorder plus de temps aux jeunes professeures pour obtenir leur permanence et créer des bourses destinées aux étudiantes constituent d’autres avenues intéressantes. Nous explorons aussi la possibilité d’organiser des activités de mentorat. L’an dernier, nous avions prévu des dîner-rencontres réunissant des professeures et des étudiantes de la faculté ayant besoin de mentors, mais la pandémie a ralenti le processus.»
Rendre les sciences attrayantes
Selon une enquête réalisée en 2015 par la Chaire de recherche sur l’intérêt des jeunes à l’égard des sciences et des technologies, basée à l’UQAM, les filles performent aussi bien que les garçons, même si elles ont tendance à se percevoir comme moins bonnes. L’enquête montre également que les filles et les garçons du secondaire expriment des intérêts différents par rapport aux domaines scientifiques. Les garçons, par exemple, affichent une préférence pour la physique, la chimie, les mathématiques et l’informatique, alors que les filles s’intéressent davantage aux sciences de la vie: sciences biologiques, sciences de la santé, soins, etc.
«En réalité, tout se joue dès le primaire, soutient Isabelle Marcotte. On doit rendre les sciences attrayantes pour les filles, depuis la maternelle jusqu’à la sixième année. Ce n’est pas un hasard si certaines activités du Centres des sciences de Montréal ciblent les jeunes de 6 à 12 ans. Une fois arrivés au secondaire, ces derniers auront déjà une perception positive de l’univers des sciences.»
Plusieurs professeures et étudiantes de la Faculté des sciences participent depuis deux ans à l’événement Femmes et filles de science, organisé en partenariat avec le Centre des sciences de Montréal, qui vise à susciter et à maintenir l’intérêt des jeunes filles envers les sciences et les technologies. «Il faut commencer tôt à stimuler l’intérêt des filles pour la science et il faut interagir avec elles tout au long de leur cheminement, affirme la vice-doyenne. À cet égard, nos étudiantes à la maîtrise et au doctorat représentent des modèles concrets et accessibles pour les jeunes filles qui viennent nous voir.»
Il faut continuer de brasser les mentalités et travailler à un changement de culture, conclut Isabelle Marcotte. «Les choses commencent à changer. Dans mon département, mes collègues masculins appuient les mesures qui favorisent une plus grande présence des femmes. Dans les congrès en chimie et en biophysique auxquels j’assiste régulièrement, j’observe une plus grande préoccupation chez les chercheurs pour que la parole des femmes y soit entendue au même titre que la leur. Chose certaine, les milieux de travail qui s’ouvrent à la diversité, y compris celle de genre, favorisent une plus grande variété de points de vue et sont généralement plus créatifs.»