Série L’esprit UQAM
On les reconnaît à leur audace, à leur esprit d’innovation, à leur sens de l’engagement. Ils ont «l’esprit UQAM». À l’occasion du 50e, des diplômés qui ont fait leur marque dans toutes les sphères de la société évoquent leur parcours uqamien. Cette série a été créée pour le site web UQAM: 50 ans d’audace.
Lauréate 2017 du prix Reconnaissance de la Faculté de science politique et de droit, la juge Ann-Marie Jones (LL.B., 1978) préside depuis 2014 le Tribunal des droits de la personne (TDP). Spécialisé en matière de discrimination, de harcèlement et d’exploitation, ce tribunal de première instance joue un rôle essentiel pour garantir l’exercice des droits et libertés au Québec.
Depuis ses études de baccalauréat en sciences juridiques au milieu des années 1970, Ann-Marie Jones a toujours été une passionnée de justice sociale. «La formation était centrée sur la défense de groupes vulnérables et la promotion des droits de la personne et c’est ce qui m’intéressait», rappelait-elle à Actualités UQAM en 2017.
La diplômée a pratiqué le droit durant quelques années dans le secteur privé avant d’entrer dans la fonction publique, puis d’accéder à la magistrature québécoise. Elle a notamment agi à titre de procureure aux poursuites criminelles et pénales et de conseillère juridique auprès de la Direction des services judiciaires de Montréal. En 1997, elle est nommée commissaire au Tribunal administratif du travail, puis, en 2001, juge de la Cour du Québec, où elle est affectée à la Chambre de la jeunesse de Montréal. Elle a été membre de comités du Barreau et de la Ligue des droits et libertés, où elle s’est engagée dans la défense des droits des détenus, cosignant en 1985 le rapport intitulé La condition des femmes détenues au Québec.
Anne-Marie Jones plaide aujourd’hui pour un meilleur accès à la justice et à l’éducation en matière de droits de la personne, lesquels constituent «le pilier de notre démocratie».
Quel type d’étudiante étiez-vous?
J’avais un côté contestataire. C’est pourquoi j’ai décidé de m’inscrire en sciences juridiques à l’UQAM. J’avais 19 ans et j’arrivais du Cégep Lionel-Groulx. Or, la majorité des étudiants avaient été acceptés sur la base de leur expérience et étudiaient tout en occupant un emploi. Comme la moyenne d’âge était d’environ 29 ans, je devais prendre ma place. Je me suis impliquée dans plusieurs comités et j’ai représenté pendant deux ans le module de sciences juridiques à la plénière inter-modulaire de l’Association générale des étudiants (AGEUQAM).
Que rêviez-vous de devenir?
L’UQAM a ouvert la voie pour les stages étudiants de 1er cycle en droit, alors que maintenant toutes les universités offrent cette possibilité à leurs étudiants. J’ai fait mon stage à la section jeunesse de l’aide juridique, à l’hiver 1977. C’est là que j’ai découvert le droit de la jeunesse et qu’est né mon rêve de devenir juge pour enfants. J’ai eu la chance de le réaliser lorsque j’ai été nommée juge à la Chambre de la jeunesse de la Cour du Québec, où j’ai siégé pendant 13 ans.
Quelle idée, quel concept, quel buzzword était à la mode dans votre domaine à l’époque de vos études?
Nous voulions un monde différent et plus égalitaire. Les débats juridiques, sociaux et politiques faisaient partie de notre quotidien. Dans cet esprit, les travaux d’équipe, les discussions dirigées et les stages étaient privilégiés, plutôt que les cours magistraux, ce qui permettait des échanges fructueux et favorisait la pensée critique du droit. Les notes ayant très peu d’importance, les travaux d’équipe recevaient la mention réussi, incomplet ou échec. Je faisais partie de l’équipe Du côté des petites grandes filles, un clin d’œil à un essai sociologique publié en 1973 sur la puissance des stéréotypes qui assignent des qualités différentes aux filles et aux garçons tout au long de l’éducation.
Quel était l’endroit préféré des étudiants pour se réunir?
À cette époque, l’UQAM n’avait pas encore de campus central et les cours de sciences juridiques se donnaient dans un édifice à bureaux rue Bleury, au sud de Sainte-Catherine. Comme il n’y avait rien autour, on se réunissait à la bibliothèque ou à la cafétéria, où nous avons d’ailleurs tenu notre party de fin d’études.
Pouvez-vous nommer un professeur, une phrase ou un cours qui vous a marquée?
J’ai eu la chance d’avoir des professeurs avant-gardistes ayant un point de vue critique sur le milieu juridique. Je pense à Pierre Mackay et à René Laperrière pour leur rigueur et leur dévouement, ou encore à Georges Lebel, ce bourgeois de gauche avec sa moustache et sa cape. Je me souviens aussi du cours de droit social, il va sans dire obligatoire, donné par Georges Marceau, et du cours de droit administratif avec Juanita Westmorland-Traoré, dont le parcours a été marqué par un engagement indéfectible à combattre les inégalités sociales.
Que souhaitez-vous à l’UQAM pour ses 50 ans?
Je souhaite que l’UQAM conserve son caractère avant-gardiste et demeure un lieu de réflexion sur les enjeux sociétaux. Une université qui encourage ses étudiants à exprimer leurs idées, à poursuivre leurs passions et à développer leurs talents. Elle doit aussi continuer de mettre en place toutes sortes de modalités d’admission afin d’attirer des étudiants de divers milieux et de différents pays. Le Département des sciences juridiques doit poursuivre sa mission de mettre le droit au service des personnes vulnérables. Il est sur la bonne voie avec, notamment, sa clinique juridique et sa clinique internationale de défense des droits humains, qui permettent un meilleur accès à la justice.