Les murales colorées de type street art du quartier Wynwood de Miami, en Floride, attirent chaque année de nombreux visiteurs. «Les promoteurs qui ont repris en main cet ancien quartier industriel au début des années 2000 ont proposé à des artistes de s’approprier les façades de plusieurs grands bâtiments, explique le professeur du Département de géographie Sylvain Lefebvre. C’est devenu assez rapidement une destination touristique.» Ce type de quartier en voie de revitalisation, enclavé par des autoroutes et une ligne de chemin de fer, comptant beaucoup de bâtiments désaffectés, d’espaces vacants, et très peu de résidents constitue un laboratoire idéal pour les étudiants du cours Grands projets urbains: analyse critique et intervention. Ils s’y sont rendus du 2 au 9 mars derniers.
Ce cours offre l’occasion aux étudiants de vivre une expérience professionnelle sur le terrain. Deux équipes de huit étudiants ont chacune formé leur cabinet (fictif) de consultants en aménagement. Leur mandat: proposer un plan d’aménagement durable pour le quartier Wynwood dans le respect des dynamiques des quartiers voisins, notamment Town Square, Overtown et le centre-ville (Downtown), au sud, ainsi qu’Edgewater, à l’est, sur le littoral. «Le contraste entre Edgewater et Wynwood est frappant, précise Sylvain Lefebvre. On passe d’un quartier avec des gratte-ciels de 25 à 30 étages à un secteur où le cadre bâti excède rarement deux étages. C’est un beau défi d’aménagement!»
Même s’ils ont apprécié passer une semaine sous le soleil de Miami, les étudiants n’ont pas célébré le spring break américain. «Ils ont trimé dur, ils avaient un horaire très chargé et ils ont rencontré plusieurs intervenants. Certains d’entre eux effectuaient encore des relevés sur le terrain le samedi matin avant de prendre l’avion du retour», précise l’animateur pédagogique Hans Asnong, qui accompagnait le groupe avec Sylvain Lefebvre.
Sur le terrain
Dès la première semaine du trimestre, les étudiants ont amassé des informations sur Wynwood et amorcé leur scénario d’aménagement. Une fois là-bas, ils ont rencontré divers intervenants du monde universitaire, municipal, communautaire et culturel, et ils ont pu confronter leur projet avec la réalité sur le terrain. «Le nombre d’entrepôts désaffectés et d’espaces vacants est impressionnant pour un si petit quartier, constate Isabelle Prud’Homme, finissante au baccalauréat en géographie. Cela contraste avec la présence de nombreux touristes et la gestion déficiente des déchets qui s’amoncellent un peu partout.»
Le nombre élevé de stationnements à ciel ouvert et le manque de végétation criant causent la formation de nombreux îlots de chaleur, ont noté les étudiants. «À ce problème s’ajoute la pollution sonore, car les habitants des quartiers adjacents viennent parader dans leurs voitures de luxe», note Charles-Élie Dubé-Poirier, finissant au baccalauréat en géographie.
«C’est l’un des quartiers trendy de Miami à cause de ses murales, mais à part ça, il n’y a presque pas d’activité économique. On retrouve quelques cafés et bars branchés, mais c’est tout.»
Sylvain Lefebvre
Professeur au Département de géographie
«D’ici 30 à 40 ans, il est fort probable que le quartier voisin d’Edgewater sera partiellement inondé par la montée du niveau de l’océan et il y aura sans doute un transfert de population vers Wynwood, souligne Camille Lamontagne-Bluteau, finissante au certificat en planification territoriale et gestion des risques. À cet égard, Wynwood, qui est plus élevé par rapport au niveau de la mer, jouit d’un emplacement stratégique.»
«C’est l’un des quartiers trendy de Miami à cause de ses murales, mais à part ça, il n’y a presque pas d’activité économique, ajoute Sylvain Lefebvre. On retrouve quelques cafés et bars branchés, mais c’est tout.»
Le gentlefication
Une équipe avait tenu à se rendre sur place quelques jours avant le début officiel du stage pour assister à un forum réunissant des résidents, des artistes de rue, des promoteurs immobiliers et des commerçants du quartier. «L’événement s’intitulait “Wynwood: Past, Present, Future”, précise Mélissa Dumais, étudiante au certificat en planification territoriale et gestion des risques. C’était une rencontre fascinante où chacun était invité à donner son point de vue sur le développement du quartier. Nous avons pu mesurer les tensions à l’œuvre.»
Si les étudiants ont relevé le nombre d’espaces vacants, ils ont aussi noté la multiplication des chantiers de construction, autant pour des immeubles résidentiels que commerciaux. «On vise des clientèles plus fortunées et une mixité commerciale. C’est typique du phénomène de gentrification à l’œuvre ailleurs en Amérique», analyse Sylvain Lefebvre.
Dans les villes canadiennes, il y a souvent une levée de boucliers quand on mentionne le mot gentrification. «Aux États-Unis, c’est généralement plus nuancé, observe le professeur. À Wynwood, l’un des principaux promoteurs immobiliers parle de gentlefication: comment rendre acceptable socialement, et en douceur, le fait que l’on souhaite améliorer le cadre bâti et l’activité économique du quartier, pour le bénéfice de la collectivité et de la métropole, tout en sachant que cela aura un impact sur les résidents. C’est la première fois que j’entendais ce terme.»
Présentation devant jury
Le 17 avril dernier, les deux équipes présentaient leurs projets devant un jury composé de trois experts invités par Sylvain Lefebvre. L’équipe de la firme Aura, composée des étudiants Mélissa Dumais, Camille Lamontagne-Bluteau, Kristy Larreynaga-Mejia, Philippe Lepage-Fortin, Camille Lepainteur, Guillaume Roy-Marcil, Karolane-Gemma Tremblay Chacon et Stéphanie Vaillancourt a remporté la bourse de 1000 dollars décernée au projet le plus convaincant.
La projet de la firme Aura s’intitule «Oasis Wynwood», et mise avant tout sur le verdissement du quartier et la mobilité durable, en interconnexion avec les quartiers limitrophes. Leur plan d’aménagement propose la création d’un pôle intermodal sur la ligne de chemin de fer, avec une gare moderne, ainsi que le Wynwood Mobility Plan – qui prévoit l’ajout de lignes d’autobus et de trolley, des mesures d’apaisement de la circulation, des aménagements pour les vélos, l’ajout de passages piétonniers colorés et l’installation de nouveaux lampadaires. Les étudiants proposent également de créer le Wynwood I.D.E.A. (pour innovation, design, éducation et art), un réseau de bâtiments près de la gare et s’étendant vers l’ouest, dédiés à des pôles de l’économie créative.
Les membres du jury ont particulièrement été séduits par leur idée d’un Wynwood Bay-Road Corridor, une suite de parcs, de promenades végétales et d’espaces dédiés à l’agriculture urbaine s’étendant sur plus de deux kilomètres, avec pistes cyclables et voies piétonnières, permettant de relier Wynwood au littoral de la Biscayne Bay (en passant par le quartier Edgewater).
Soucieuse de préserver l’identité artistique du quartier, la firme Aura envisage la création de trois zones distinctes – appelées Offbeat Wynwood – dédiées au divertissement culturel et festif, avec studios, ateliers d’artistes, bars et restaurants.
«Je lève mon chapeau aux étudiants. Ils ont été organisés, disciplinés, débrouillards et créatifs.»
Hans Asnong
Animateur pédagogique
Pour lier tous ces projets structurants, on suggère la création d’une ceinture à vocation mixte. Au sud du quartier, cette ceinture aurait une vocation communautaire – coopératives d’habitation, logements abordables, centre communautaire, clinique médicale et bibliothèque. Au nord, des habitations résidentielles cohabiteraient avec des petits commerçants. La firme Aura espère attirer entre 8000 et 15 000 habitants dans le quartier, qui n’en compte que 1300 à l’heure actuelle.
Les membres du jury ont souligné le professionnalisme des deux présentations et l’étoffe des deux propositions, notant l’utilisation d’outils technologiques qui ont permis d’établir un diagnostic raffiné du territoire à l’étude et de produire des cartes numériques instructives, notamment pour les îlots de chaleur et les nuisances sonores. «Je lève mon chapeau aux étudiants, renchérit Hans Asnong. Ils ont été organisés, disciplinés, débrouillards et créatifs.»
Une expérience enrichissante
En retour, les étudiants ne tarissent pas d’éloges à l’égard du cours et de l’encadrement obtenu. «C’est un contexte qui se rapproche de ce que nous pourrions vivre dans un milieu professionnel, notamment en termes de charge de travail, d’échéanciers et de travail collaboratif, note Camille Lamontagne-Bluteau. C’est l’aboutissement de tous les cours que j’ai suivis au certificat.» Sa collègue Isabelle Prud’Homme abonde dans ce sens. «Je crois que nous avons eu la chance de développer une méthode de travail qui nous servira au-delà de l’université», souligne-t-elle.
«C’est facile de critiquer des projets, mais quand vient notre tour de proposer un plan d’aménagement, on s’aperçoit de toutes les contraintes dont on doit tenir compte, note Mélissa Dumais. On apprend également à écouter les autres points de vue et à être plus conciliant.»
«Ce cours confirme le cliché voulant que la géographie s’apprenne par les pieds, en étant sur le terrain. C’est l’une des grandes forces du bac en géographie à l’UQAM», conclut son collègue Charles-Élie Dubé Poirier.