Voir plus
Voir moins

Solidaire, similaire ou fier d’être un animal?

Un article publié dans le Journal of Personality and Social Psychology explore la nature de nos liens avec les autres animaux.

Par Marie-Claude Bourdon

18 septembre 2019 à 11 h 09

Mis à jour le 20 septembre 2019 à 10 h 09

La fierté animale a des implications négatives pour les autres animaux. Elle prédit un moins grand désir d’aider les animaux et même un moins grand soutien pour les droits de certains animaux. Photo: Getty images

Parler des liens des êtres humains avec les autres animaux peut sembler bizarre, voire choquant. «Du point de vue de la biologie, nous appartenons clairement au règne animal, souligne la professeure du Département de psychologie Catherine Amiot. Mais, paradoxalement, ce n’est pas nécessairement comme cela que nous percevons les choses dans la vie de tous les jours.» La chercheuse vient de publier un article qui explore le lien psychologique qui nous unit aux autres animaux. Cosigné par l’agente de recherche Ksenia Sukhanova et le professeur de l’Université de Melbourne Brock Bastian, l’article est paru dans le Journal of Personality and Social Psychology, une revue de l’American Psychological Association.

«Nous avons voulu explorer les différentes manières que nous avons de nous identifier aux autres animaux, explique la chercheuse, et les conséquences de ces différentes formes d’identification : si on voudra aider les animaux, par exemple, si on sera davantage enclin à leur reconnaître des droits ou si l’on choisira de manger moins de viande.»

Intitulé Social Identification With Animals : Unpacking Our Psychological Connection With Other Animals, l’article fait état des résultats de sept études menées par la chercheuse et ses collègues: trois qui établissent les différentes dimensions de l’identification aux animaux et quatre autres sur les implications de ces différentes façons de s’identifier aux animaux.

Comme d’autres études menées auparavant par Catherine Amiot – sur la solidarité envers les animaux, notamment –, cette recherche s’appuie sur les théories des relations intergroupes et de l’identité sociale. Toutefois, comme les relations humains-animaux ne fonctionnent pas exactement de la même façon qu’entre les groupes humains, les chercheurs ont adopté une approche exploratoire. Divers énoncés ont été soumis aux répondants, qui devaient se prononcer sur leur degré d’accord ou de désaccord avec ces énoncés : «Je ressens un lien avec les animaux», «Être un animal est une partie importante de mon identité», «J’éprouve du respect envers les autres animaux», etc.

Solidaires

Comme les chercheurs l’avaient déjà démontré, la solidarité est réapparue comme une facette importante de l’identification avec les autres animaux, prédisant une attitude prosociale envers ceux-ci. «C’est une dimension relationnelle, observe Catherine Amiot. Plus les gens ressentent de la solidarité envers les autres animaux, plus ils voudront les aider (les animaux en danger, par exemple), s’engager dans des actions collectives visant à soutenir leurs droits ou donner de l’argent à des organismes qui travaillent pour leur protection.»

La solidarité a des implications directes pour les animaux présents dans nos vies : les animaux domestiques et ceux que l’on mange. Plus on éprouve de la solidarité, plus on est susceptible d’avoir des contacts positifs avec les animaux domestiques, plus la probabilité d’en posséder augmente et moins on aura tendance à manger de la viande.

Fierté animale

Deux autres facettes du lien avec les animaux ont émergé de l’analyse. «La deuxième, à laquelle on ne s’attendait pas du tout, implique une reconnaissance directe qu’on est un animal, dit Catherine Amiot. Et pas seulement une reconnaissance, mais une valorisation du fait qu’on est un animal. On l’a appelée la “fierté animale”.» Cette dimension a des implications étonnantes. «Plus les gens sont fiers d’être un animal, plus ils ont des attitudes spécistes envers les animaux, affirme la chercheuse. En d’autres mots, plus ils ont des préjugés envers les autres animaux.»

Cette constatation, qui a d’abord surpris les chercheurs, s’est confirmée à travers les autres études. La fierté animale avait des implications négatives pour les autres animaux. Elle prédisait un moins grand désir d’aider les animaux et même un moins grand soutien pour les droits de certains animaux, en l’occurrence les animaux dans les zoos.

Pour expliquer cette apparente contradiction – plus on se sent fier d’être un animal, moins on leur veut du bien –, les chercheurs ont formulé une hypothèse. «La fierté animale implique de reconnaître que nous sommes nous-mêmes des animaux, remarque Catherine Amiot. Or, si nous sommes des animaux et que nous associons aux animaux des caractéristiques comme le fait d’être territoriaux, compétitifs ou amoraux, la fierté animale peut nous conduire à une vision selon laquelle le monde est une jungle et que nous sommes en compétition avec ceux qui sont moins proches de nous.»

Effectivement, les résultats des autres études ont montré que la fierté animale était associée à une plus grande tendance à associer aux humains des caractéristiques animales, à les voir comme étant amoraux, territoriaux ou agressifs. «Une étude a montré que la fierté animale était corrélée à une plus grande tendance à l’orientation à la dominance sociale, mentionne la chercheuse. Ce concept implique de percevoir que certains groupes sociaux sont, de façon inhérente, supérieurs à d’autres et que certains groupes devraient dominer la société pour que celle-ci fonctionne bien.»

Finalement, la fierté animale était associée à une tendance à manger plus de viande: s’il est naturel pour les animaux de manger d’autres animaux et que les humains sont des animaux, il est donc correct de manger de la viande. «Ce lien n’était pas très fort, mais la tendance était là», observe Catherine Amiot.

Similaires

«La troisième dimension, celle de similarité entre les humains et les autres animaux, est très cognitive», remarque la chercheuse. Associée à des énoncés tels que «J’ai beaucoup en commun avec l’animal moyen» ou «Les animaux, incluant les animaux humains, sont très similaires entre eux», cette dimension prédit davantage de reconnaissance des droits des animaux, un plus grand désir de protéger certains animaux et une plus grande tendance à percevoir que les humains et les autres animaux font tous partie d’un grand groupe inclusif. «Elle prédit aussi une plus grande tendance à percevoir que les animaux sont intelligents, qu’ils sont moraux et qu’ils ont des capacités cognitives. En d’autres mots, à percevoir les animaux comme étant plus proches des humains.»

Ces résultats sont d’autant plus intéressants sur le plan théorique, note Catherine Amiot, que la nature psychologique des liens avec les autres animaux a très peu été explorée jusqu’à maintenant.

Depuis 2017, la chercheuse a obtenu deux subventions du CRSH pour approfondir ses études sur l’identification avec les animaux et pour étudier le rôle des animaux dans le bien-être humain. Deux articles, qu’elle a rédigés avec son étudiante au doctorat Béatrice Auger, sont présentement sous presse. L’un de ces articles, qui sera publié dans la revue Anthrozoös, montre que le lien avec les animaux de compagnie peut servir de tremplin à des considérations plus larges pour les animaux en général. L’autre article, portant également sur les relations humains-animaux, paraîtra dans le Journal of Experimental Social Psychology.

Ce mois-ci, le journal Group Processes and Intergroup Relations consacre un dossier spécial à la question des liens avec les animaux, dont Catherine Amiot cosigne l’introduction : «Rethinking Human-Animal Relations: The Critical Role of Social Psychology». Dans le contexte actuel, avec la montée des revendications pour les droits des animaux et la préoccupation croissante à l’égard des conséquences environnementales de la consommation de viande animale, la thématique des liens entre humains et animaux suscite de plus en plus d’intérêt dans la communauté scientifique. Avec ses collègues, Catherine Amiot fait partie des précurseurs de ce nouveau champ de recherche.