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Lac Bromont: une santé restaurée

Le déversement de Phoslock dans les eaux du lac a permis d’enrayer la prolifération des cyanobactéries.

Par Claude Gauvreau

21 mars 2019 à 11 h 03

Mis à jour le 21 mars 2019 à 11 h 03

Déversement de Phoslock dans le lac Bromont. Photo: Action conservation du bassin versant du lac Bromont (ACBVLB)

À l’automne 2017, quelque 174 tonnes de Phoslock – un produit à base d’argile – ont été déversées dans le lac Bromont, en Montérégie, afin d’enrayer la prolifération de cyanobactéries qui l’empoisonnaient (voir encadré). L’opération, menée sous la supervision de la professeure émérite du Département des sciences biologiques Dolores Planas, a été couronnée de succès. «Les résultats des analyses sont spectaculaires, souligne la professeure. Un an à peine après le lancement de l’opération, la concentration de phosphore dans le lac, à l’origine des cyanobactéries (aussi appelées algues bleu-vert), a diminué de 70 % !»

On se souviendra que l’organisme à but non lucratif Action conservation du bassin versant du lac Bromont (ACBVLB) avait contacté l’Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM, à l’été 2006, pour que celui-ci l’aide à faire la lumière sur la multiplication des algues bleu-vert en vue de restaurer la santé précaire du lac. Cet appel a donné le coup d’envoi à un programme de recherche dirigé par Dolores Planas et appuyé par le Service aux collectivités. «Mené en partenariat avec ACBVLB et la municipalité de Bromont, ce projet-pilote constituait  une première au Québec», rappelle la professeure.

Soutenue financièrement par le CRSNG, la Ville de Bromont et le ministère du Développement durable, de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques [rebaptisé ministère de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques], l’équipe de recherche de Dolores Planas, formée d’étudiants de cycles supérieurs, a procédé de 2007 à 2012 à l’analyse des caractéristiques physiques et chimiques du lac afin d’évaluer les apports internes et externes en nutriments des algues bleu-vert. «Nos travaux ont démontré que les sédiments au fond du lac constituaient la principale source de phosphore, un nutriment essentiel aux cyanobactéries, observe la professeure. Selon les années, la source interne des sédiments représentait entre 60% et 90% du phosphore total présent dans le lac.»

Pour combattre la prolifération des cyanobactéries, l’équipe a recommandé à la municipalité de Bromont de recourir à l’épandage de Phoslock, un produit non toxique développé en Australie au milieu des années 1990. Depuis le début des années 2000, le Phoslock a démontré son efficacité dans une vingtaine de pays à travers le monde. Composé d’une argile – la bentonite – à laquelle est fixé un métal – le lanthane –, ce produit réagit rapidement avec le phosphore pour former une molécule stable. Le Phoslock permet de constituer une couverture argileuse qui emprisonne le phosphore dans les sédiments, l’empêchant d’atteindre la colonne d’eau et de nourrir les cyanobactéries.

Des algues toxiques

À l’instar d’autres lacs au Québec, le lac Bromont présente depuis une vingtaine d’années des efflorescences récurrentes de fleurs d’eau de cyanobactéries, visibles à la surface de l’eau, qui ressemblent à une purée de pois ou à un déversement de peinture, d’où l’expression algues bleu-vert.

Comptant parmi les plus vieux micro-organismes apparus sur Terre, les cyanobactéries se retrouvent partout et s’adaptent à tous les climats. Quand elles deviennent trop abondantes, elles forment des fleurs d’eau pouvant présenter des risques pour la santé humaine, la faune et la flore. Certaines espèces produisent des toxines qui causent des irritations cutanées ou des allergies. Elles peuvent même affecter le foie, le système nerveux et le cerveau. C’est ce qui explique les interdits de baignade qui ont frappé de nombreux lac québécois affectés par des proliférations de cyanobactéries au cours des dernières années.

Des résultats étonnants

Dolores Planas a été surprise par les résultats. «Je ne pensais pas qu’autant de phosphore serait retenu dans les sédiments, et ce, dès la première année du traitement, dit-elle. C’est d’autant plus exceptionnel que nous avons connu l’été dernier des pluies torrentielles et, surtout, des épisodes de chaleur intense.» Ces facteurs contribuent à rendre l’eau stagnante et à diminuer l’oxygène dans la partie profonde du lac, ce qui favorise le développement de phosphore. «Sans le Phoslock, nous aurions assisté à une invasion de cyanobactéries», note la chercheuse.

À la mi-août 2018, un peu plus de six mois après l’épandage de Phoslock, des petites fleurs d’eau (proliférations de cyanobactéries visibles de la surface) ont fait leur apparition, mais elles sont disparues très rapidement. On a même vu s’épanouir une algue qui vit dans les lacs en santé: la diatomée.

Un danger écarté?

Si la santé du lac s’est améliorée de façon significative, cela ne veut pas dire que le danger des cyanobactéries a été écarté pour toujours. «On doit rester prudent, dit Dolores Planas. C’est un peu comparable à la lutte contre le cancer. Un patient à qui on a enlevé une tumeur devra suivre des traitements pour éviter l’apparition de métastases et il faudra que s’écoulent cinq à six années avant d’être certain que le cancer a été vaincu. En ce qui concerne le lac Bromont, on devra attendre au minimum cinq ans avant d’affirmer que le problème a été résolu à 100 %.»  

Il faut aussi compter avec la variabilité climatique, poursuit la professeure. Les turbulences, telles que les températures élevées, les orages, les vents et les rafales, affectent l’espèce de membrane qui sépare les eaux profondes et les sédiments des couches d’eau intermédiaire et de surface. En brassant les couches d’eau, les turbulences créent un effet synergique qui contribue à libérer le phosphore présent dans les sédiments, favorisant ainsi la croissance des algues.

Limiter les apports externes

«Bien que nécessaire, l’épandage du Phoslock ne règle pas tous les problèmes, insiste Dolores Planas. Une des conditions de réussite du projet de restauration du lac est le contrôle des apports externes de phosphore.» Les fertilisants agricoles, compost ou engrais épandus sur les sols ou les pelouses, les rejets d’eaux usées domestiques, municipales ou industrielles (installations septiques et réseau d’égout), le déboisement excessif, le mauvais entretien des étangs artificiels sur les terrains résidentiels autour du lac constituent autant de sources externes.

Afin d’assurer  un contrôle maximal des apports externes en phosphore, la Municipalité de Bromont a mis en place un plan directeur  (2017-2027). Quant à l’association ACBVLB, elle sera responsable de la surveillance du lac au cours des cinq prochaines années.

Le ministère de l’Environnement souhaite que l’équipe de recherche de Dolores Planas continue d’être impliquée dans le dossier du lac Bromont pendant encore deux autres années. Sa tâche, en partenariat avec ACBVLB, consistera à faire un suivi des apports en phosphore, du degré de toxicité des cyanobactéries durant leur décroissance, du développement des plantes aquatiques et des effets des turbulences climatiques sur l’efficacité du traitement au Phoslock.

«L’analyse de ces données est importante, car elle permettra de valider le traitement pour de possibles applications du Phoslock dans d’autres lacs québécois», indique la professeure. Plusieurs autres municipalités du Québec sont, en effet, confrontées au fléau des cyanobactéries et certaines ont manifesté un intérêt pour le Phoslock.

«La clé du succès, dans ce type de projet, c’est la contribution des partenaires», souligne Dolores Planas, qui tient à rendre hommage à la présidente sortante d’ACBVLB, Anne Joncas, et à Claire Vanier, agente de développement au Service aux collectivités de l’UQAM.