Quelque 200 citoyens de Pointe-Saint-Charles ont manifesté dans les rues du centre-ville de Montréal, le 15 septembre dernier, pour exiger des logements sociaux et pour dire non à la construction d’un stade de baseball dans leur quartier. Depuis des années, ces citoyens réclament une planification d’ensemble du secteur Bride-Bonaventure. Situé à l’est de la zone résidentielle de Pointe-Saint-Charles, à proximité du centre-ville, du Vieux-Port et de Griffintown, cet immense secteur aux nombreux terrains vacants fait l’objet de débats autour de son potentiel de développement.
Comment requalifier ce secteur, l’un des plus anciens quartiers de Montréal où vivent environ 15 000 personnes, et promouvoir un aménagement qui corresponde aux besoins de la population? Cette question est au centre d’une recherche menée par les professeurs Michel Rochefort (Département d’études urbaines et touristiques) et Mark Poddubiuk (École de design), en partenariat avec la table de concertation Action-Gardien, qui regroupe une vingtaine d’organismes communautaires de Pointe-Saint-Charles. Soutenue par le Service aux collectivités et la Fondation de l’UQAM, cette recherche comporte trois volets: mise à jour des caractéristiques du territoire; identification du potentiel et des contraintes auxquelles le secteur fait face en matière d’aménagement; analyse des propositions développées par les citoyens.
«Ce projet vise à aider les citoyens concernés à formuler leurs idées et leur besoins et à documenter les enjeux associés au développement de leur quartier et du secteur Bridge-Bonaventure, l’un des seuls à Montréal où l’on trouve de grands terrains encore disponibles pour le développement de projets collectifs, explique Michel Rochefort. Notre rôle en tant que chercheurs n’est pas de nous substituer aux citoyens et à leurs organisations, mais de les accompagner dans leur démarche.»
Un secteur convoité
Depuis deux décennies, le secteur Bridge-Bonaventure fait l’objet de bien des convoitises de la part de promoteurs privés et publics. Le dynamisme du marché immobilier, l’arrivée prochaine du réseau électrique métropolitain (REM), qui traversera Pointe-Saint-Charles pour lier la Rive-Sud à Montréal grâce à une station près du Bassin Peel, ainsi que le projet de la compagnie d’investissement Claridge, propriété de Stephen Bonfman, et du promoteur immobilier Devimco de construire un stade de baseball risquent d’accélérer la transformation du quartier.
Ces projets, qui impliquent le développement de commerces, d’espaces de bureaux, d’hôtels et de restaurants, pourraient favoriser le processus déjà entamé de gentrification du secteur. «Ils sont aussi susceptibles d’aggraver les problèmes de congestion automobile, observe Michel Rochefort. En 2013, quelque 25 000 voitures transitaient quotidiennement dans le quartier. Depuis, les choses ont empiré.»
Le fait que le secteur Bridge-Bonaventure abrite plusieurs terrains, propriétés de la Société immobilière du Canada, représente aussi un enjeu névralgique. «Les résidents de Pointe-Saint-Charles refusent que ces terrains fédéraux soient vendus à des promoteurs privés et veulent préserver leur caractère public, afin qu’ils puissent servir à la réalisation de projets sociaux et communautaires», note le professeur.
Par ailleurs, les citoyens souhaitent maintenir un zonage industriel dans certains secteurs afin de protéger le site contre la spéculation foncière et de maintenir des emplois, réclament la construction de HLM et d’OBNL d’habitation, l’accès aux berges du canal Lachine au moyen de voies cyclables et piétonnières, l’amélioration des conditions de transport collectif et l’élimination de la circulation de transit.
Opération d’aménagement
En mai dernier, conviés par Action-Gardien et les professeurs de l’UQAM, plus d’une centaine de citoyens de Pointe-Saint-Charles ont participé à une Opération populaire d’aménagement (OPA) afin d’élaborer un plan d’ensemble (voir encadré) pour leur quartier. Cette démarche s’inscrivait en amont des audiences publiques tenues par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) sur l’avenir du secteur Bridge-Bonaventure. Amorcées le printemps dernier, ces consultations se poursuivent cet automne.
Propositions d’aménagement
À l’occasion de l’Opération populaire d’aménagement tenue au printemps dernier, des citoyens de Pointe-Saint-Charles, avec le soutien de travailleurs communautaires et d’étudiants de l’UQAM, ont conçu des propositions d’aménagement pour l’avenir du secteur Bridge-Bonaventure.
– Environnement: diminution de la place de l’automobile dans l’espace public et renforcement du transport en commun; verdissement et déminéralisation pour diminuer les îlots de chaleur; décontamination des terrains et récupération des biogaz; gestion durable des eaux de pluie et des déchets, etc;
– Transport et mobilité: réseau piétonnier et cycliste pour relier le quartier habité, le secteur Bridge-Bonaventure et le centre-ville; une desserte en autobus améliorée pour les travailleurs et les résidents, etc;
– Habitation et milieu de vie: des logements sociaux et communautaires sur les terrains fédéraux; des espaces publics de socialisation; un réseau de ruelles, de sentiers et de places publiques; des commerces de proximité abordables, dont un marché public, etc;
– Emplois: la reconversion du parc d’entreprises de Pointe-Saint-Charles en éco-parc industriel; des programmes de formation et d’embauche locale; protéger les terrains des zones d’emploi de la spéculation foncière, etc;
– Patrimoine et paysage: valoriser le patrimoine bâti, historique, naturel et paysager;
– Parcs et accès aux berges: faire de l’accès et de l’appropriation publique des berges du canal Lachine et du fleuve Saint-Laurent une priorité locale.
«À l’occasion de l’OPA, les résidents ont conçu des panneaux d’information, des cartes et une maquette, précise Michel Rochefort. J’ai moi-même exposé les enjeux liés au développement du secteur et une visite de terrain a été organisée. Les citoyens ont été regroupés dans six ateliers de travail avec une quinzaine d’étudiants de l’UQAM en design et en urbanisme qui les aidaient à formuler leurs idées.» Six scénarios de développement ont émergé des discussions, lesquels ont conduit à l’élaboration d’un plan global d’aménagement, dévoilé le 12 septembre dernier lors d’un forum.
«L’expérience a été extrêmement formatrice pour les étudiants, indique Michel Rochefort. Ils ont appris à travailler avec des citoyens de diverses origines et conditions autour d’un projet spécifique. Il leur fallait être à l’écoute des besoins des résidents, tout en les aidant à exprimer leur pensée. Tout le monde s’entendait sur la nécessité de bâtir un quartier complet à échelle humaine, avec des services de proximité, mais encore fallait-il définir ces concepts et les traduire en termes de besoins concrets dans le langage des citoyens.»
Une tradition de luttes
Le quartier Pointe-Saint-Charles possède une riche tradition de mobilisation populaire. «On se souviendra que sa population, il y a quelques années, avait réussi à faire reculer le projet de casino de Loto-Québec et du Cirque du Soleil, rappelle le professeur. Ses citoyens veulent avoir voix au chapitre en définissant eux-mêmes l’avenir de leur quartier. En ce sens, ils constituent une source d’inspiration pour tous qui cherchent à aménager la vie urbaine dans une optique de démocratisation et de justice sociale.»