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Délicat ménage à trois

Jessica Dubé souhaite une meilleure protection des travailleurs d’agence en matière de santé et de sécurité au travail.

Série

Doc en poche

Par Pierre-Etienne Caza

4 mars 2019 à 16 h 03

Mis à jour le 9 septembre 2020 à 9 h 09

Série Doc en poche
Armés de leur doctorat, les diplômés de l’UQAM sont des vecteurs de changement dans leur domaine respectif.

Photo: Nathalie St-Pierre

Jessica Dubé
(Ph.D. interdisciplinaire en santé et société, 2018)

Titre de sa thèse: «Les pratiques préventives de santé et de sécurité au travail auprès des travailleurs d’agences de location de personnel»

Direction de recherche:
Sylvie Gravel, professeure associée au Département d’organisation et ressources humaines
Mircea Vultur, professeur à l’Institut national de la recherche scientifique

Enjeu social: protéger les travailleurs d’agence

L’embauche de travailleurs par l’entremise d’agences de location de personnel a connu une croissance phénoménale au cours des dernières décennies. «On pense, par exemple, à des postes d’adjoint ou de réceptionniste dans les secteurs de l’administration et du service à la clientèle, ou de manutentionnaire dans les entrepôts agroalimentaires ou dans les usines de produits chimiques», illustre Jessica Dubé, professionnelle scientifique à l’Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail.

La particularité de cette industrie, explique la diplômée, réside dans la relation tripartite entre l’agence de location de personnel, l’entreprise cliente et le travailleur d’agence. «Ce type de relation crée de la confusion quant à l’imputabilité des pratiques préventives. Le travailleur s’adresse à l’agence de location de personnel pour obtenir un emploi et celle-ci lui propose des conditions de travail et lui verse sa rémunération, mais le travailleur d’agence exécute ses tâches dans l’entreprise cliente. L’ambiguïté réside dans le partage des rôles et des responsabilités en matière de santé et sécurité au travail (SST) entre l’agence et l’entreprise cliente.»

Dans le cadre de sa thèse, Jessica Dubé a rencontré 42 travailleurs d’agence à Montréal et à Québec afin de documenter la présence ou l’absence de pratiques préventives de SST les concernant.  Elle a aussi mené des entrevues avec 16 professionnels de la santé au travail – médecins, infirmières, ergonomes, hygiénistes du travail et techniciens en hygiène – appelés à entrer en contact avec les travailleurs d’agences. Elle a constaté qu’il y a peu de dispositifs législatifs pour assurer la protection des travailleurs d’agences dans les différents milieux de travail et que les pratiques préventives variaient énormément selon l’endroit.

Ce qu’il faut changer

Le premier obstacle à l’amélioration des pratiques est organisationnel: on sait que le phénomène des agences de location de personnel est en croissance et que le bât blesse quant aux pratiques en SST, mais faute de données précises, on ne connaît pas l’ampleur de la problématique, explique Jessica Dubé. «Les professionnels de la santé devraient systématiquement demander aux travailleurs qu’ils rencontrent s’ils ont été embauchés par une agence de location de personnel. Cela permettrait d’obtenir un meilleur portrait de la situation.»

La confusion des rôles en SST entre les agences de location et l’entreprise cliente constitue également un problème. «Il faut sensibiliser les deux parties par rapport à leur imputabilité en SST, note la chercheuse. Il faut en arriver à clarifier leurs rôles respectifs, en prenant en considération que l’un est présent sur les lieux de travail et l’autre non.»

Les travailleurs d’agence sont surtout issus de l’immigration, précise Jessica Dubé. «Ils sont prêts à accepter tous les emplois, peu importe les risques auxquels ils sont exposés, et souvent sans connaître leurs droits en matière de santé et de sécurité au travail.» La chercheuse recommande que les agences de location de personnel mettent sur pied une formation de base sur les droits des travailleurs en SST et qu’elles les informent des risques liés à chacun des emplois. «Plusieurs travailleurs m’ont confié qu’ils savent où ils iront travailler le lundi suivant, mais qu’ils n’ont aucune idée des tâches et des risques auxquels ils seront exposés, illustre-t-elle. D’où l’importance de les informer à l’avance et de leur fournir les équipements appropriés pour les tâches qu’ils ont à accomplir, surtout dans les usines de produits chimiques.»