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Les racines de la timidité

Une étude met en lumière les facteurs expliquant le degré de timidité durant l’enfance.

Par Pierre-Etienne Caza

24 octobre 2019 à 8 h 10

Mis à jour le 24 octobre 2019 à 8 h 10

La timidité peut devenir un comportement problématique si elle perdure au-delà de la petite enfance, note Mara Brendgen.Photo: Getty Images

La professeure Mara Brendgen a le privilège d’effectuer des recherches en s’appuyant sur un échantillon hors du commun: plus de 500 paires de jumeaux suivies depuis leur naissance, au Québec, entre 1996 et 1998. La chercheuse utilise ces données depuis de nombreuses années pour étudier le rôle des pairs dans les comportements intériorisés, comme l’anxiété, et extériorisés, comme l’agressivité ou l’intimidation. Elle a publié récemment avec des collègues un article sur la timidité. «En soi, la timidité n’est pas un trouble intériorisé, précise-t-elle. C’est un comportement tout à fait normal dans la petite enfance en contexte d’adaptation, comme au CPE où les enfants doivent interagir avec de nouveaux “amis”. Cela peut toutefois devenir un comportement problématique si la timidité perdure au-delà de la petite enfance.» Publiée dans Behavior Genetics, leur étude visait à mettre en lumière les facteurs génétiques et environnementaux expliquant la timidité chez les enfants.

L’entrée à l’école primaire correspond habituellement avec une diminution de la timidité, souligne Mara Brendgen. «Cela dit, la timidité n’a pas d’impact sur le statut social des jeunes enfants, car elle n’est pas perçue par les pairs comme un comportement bizarre. En vieillissant, en revanche, c’est un comportement qui suscite des préjugés négatifs, et qui peut influencer le bien-être psychologique. Un enfant ou un adolescent qui montre un degré de timidité élevé ou qui augmente au fil des ans est plus à risque de développer des problèmes d’anxiété, un prédicteur important de victimisation par les pairs.»

Jumeaux monozygotes et dizygotes

Pour leur étude, Mara Brendgen et ses collègues ont demandé aux enseignantes de jauger le degré de timidité de chaque enfant à cinq reprises entre l’âge de 6 et 12 ans: à la maternelle, puis en première, troisième, quatrième et sixième année. «En début de scolarité, les jumeaux qui étaient dans la même classe étaient moins timides que les autres enfants, observe Mara Brendgen. C’est normal, car leur cojumeau représente un soutien social que les autres enfants n’ont pas. Il faut toutefois préciser que 60 % des jumeaux sont séparés dans des classes différentes.»

Afin de déterminer le rôle de la génétique dans la timidité, la chercheuse a comparé le degré de similarité, ou la corrélation entre les paires de jumeaux monozygotes, qui partagent 100 % de leur bagage génétique, et celles de jumeaux dizygotes, qui partagent environ 50 % de leurs gènes. «Si on observe que les monozygotes présentent une timidité davantage similaire entre eux que les dizygotes, cela est un indicateur d’influence des facteurs génétiques, car toutes les paires de jumeaux ont grandi dans le même environnement», explique-t-elle.

La professeure a aussi estimé le rôle de l’environnement partagé et de l’environnement unique. «Si même les jumeaux dizygotes présentent un comportement semblable au niveau de la timidité, cela indique qu’une partie de la variabilité de la timidité s’explique par l’environnement partagé par les deux jumeaux, souligne-t-elle. L’environnement unique, lui, est le vécu spécifique à chaque enfant. On l’estime à partir des différences observées chez les jumeaux monozygotes.»

Entre génétique et environnement unique

Les résultats indiquent que, dès l’âge de 6 ans, le degré de timidité s’explique principalement par les facteurs génétiques. «Les changements qui surviennent – un enfant qui devient moins ou plus timide – sont dus à des facteurs environnementaux uniques à chaque enfant, révèle Mara Brendgen. L’environnement partagé par les jumeaux ne semble pas être un facteur significatif dans l’équation. Le fait de vivre dans la même famille et d’être scolarisé dans la même classe au primaire n’augmentait pas la probabilité que les jumeaux dizygotes développent le même degré de timidité.»

La chercheuse souhaiterait poursuivre ses recherches afin de mieux saisir la nature des facteurs environnementaux uniques qui influencent la timidité. «Nous possédons plusieurs mesures à ce chapitre dans nos collectes de données, comme l’interaction avec l’enseignante ou avec les camarades de classe, mais celles-ci ne faisaient pas l’objet du présent devis de recherche», précise-t-elle. D’autres études suggèrent, par exemple, que les expériences sociales négatives, comme l’intimidation par les pairs, auraient une influence sur l’augmentation de la timidité chez certains enfants. «Il importe de porter une attention particulière à ces enfants, car ils risquent d’avoir de la difficulté à se bâtir un réseau social hors de leur famille. Or, ce soutien social est très important à l’adolescence, car c’est l’un des principaux facteurs pour se protéger des problèmes intériorisés, comme l’anxiété et la dépression», conclut Mara Brendgen.