Comment se dessine l’avenir des centres-villes des deux métropoles internationales que sont Montréal et Bruxelles, à l’heure des grands projets d’aménagement, de l’intensification du tourisme et des partenariats commerciaux, des changements climatiques, de l’itinérance et de l’arrivée de nouvelles populations issues de l’immigration? Cinq experts montréalais et bruxellois ont débattu des enjeux et défis associés à ces transformations, à l’occasion de la table ronde «Montréal-Bruxelles: des centres-villes en pleine mutation», qui s’est tenue à l’UQAM le 25 mars. Cette table ronde faisait partie de la série d’activités Wallonie-Bruxelles à l’UQAM (25 et 26 mars), organisées par le rectorat et la Délégation générale Wallonie-Bruxelles au Québec. Faisant suite à La France à l’UQAM, qui s’est tenue en novembre 2018, cette initiative s’inscrit dans les efforts d’internationalisation de l’Université et vise à renforcer les partenariats et les échanges, tout en favorisant la mobilité professorale et étudiante.
«Accueillir la Fédération Wallonie-Bruxelles à l’UQAM, c’est reconnaître et valoriser la longue et fructueuse collaboration entre nos experts respectifs, a souligné la rectrice Magda Fusaro, présente à l’événement. C’est aussi un moment de partage d’idées et de rencontres enrichissantes qui, je l’espère, consolideront les liens amicaux entre nos institutions. L’Université est fière de collaborer avec la Délégation Wallonie-Bruxelles au Québec à l’organisation de ces journées, une initiative qui succède à celle de La France à l’UQAM.»
La table ronde «Montréal-Bruxelles: des centres-villes en pleine mutation» réunissait les professeurs Priscilla Ananian, du Département d’études urbaines et touristiques, et Michel Parazelli, de l’École de travail social, ainsi que Benoît Moritz, architecte et professeur à l’Université libre de Bruxelles, Jean-Pascal van Ypersele, professeur à l’Université catholique de Louvain et ex vice-président du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), et Annick Germain, professeure à l’Institut national de recherche scientifique (INRS).
Villes et changements climatiques
Dans le domaine des changements climatiques, il faut agir à l’échelle des villes, tant au chapitre de l’adaptation que de la prévention, a souligné Jean-Pascal van Ypersele. «Le territoire urbain peut être aménagé afin d’influencer les besoins en mobilité, qui doivent baisser, et la densité de l’habitat, qui est un des facteurs de l’efficacité énergétique.» Les normes de construction et de rénovation du cadre bâti sont essentielles pour conduire à la fois à une diminution de la consommation d’énergie et à une augmentation de sa part renouvelable. «La qualité et l’accessibilité des infrastructures de transport public et de mobilité douce (vélos, trottinettes, piétons) sont indispensables à la diminution de la place accordée aux véhicules individuels et ceux qui restent nécessaires devraient être électrifiés, a soutenu le spécialiste du climat. Quant à l’économie circulaire et à l’agriculture urbaine, elles peuvent également ouvrir des perspectives intéressantes.»
En matière d’adaptation, Jean-Pascal van Ypersele a indiqué quelques pistes: végétalisation d’un maximum de surfaces (parcs, toitures vertes, arbres dans les rues, agriculture urbaine) pour réduire les îlots de chaleur urbains et diminuer la gravité des conséquences des précipitations de plus en plus intenses; amélioration de la gestion des eaux de ruissellement; adaptation des normes de construction pour que le recours à l’air climatisé soit le moins nécessaire possible.
Le centre-ville pour qui?
Dans un contexte de concurrence internationale entre les villes, l’itinérance est pointée du doigt comme l’un des principaux obstacles à la revitalisation économique des centres-villes. «Aux yeux de certains, la présence de personnes en situation de marginalité dans les espaces publics menacerait les efforts entrepris pour offrir une image du centre-ville comme un lieu sécuritaire, propre et prospère où il fait bon vivre et se divertir», a mentionné Michel Parazelli.
De fortes tensions existent entre le traitement répressif de l’itinérance et une approche plus démocratique. «La judiciarisarisation de l’itinérance au moyen de contraventions a été dénoncée en 2009 par la Commission des droits de la personne et de la jeunesse, qui la qualifiait de “profilage social”», a rappelé le professeur. Depuis, d’autres mesures se présentant comme non coercitives ont vu le jour, autant à Montréal qu’à Bruxelles. C’est le cas de l’approche canadienne Housing First, qui propose de sortir la personne itinérante de l’espace public en l’intégrant par le logement (marché privé), tout en lui offrant un accompagnement. «Malgré tout, l’ambivalence entre répression et compassion demeure lorsqu’il s’agit de sortir de la rue les personnes en situation de marginalité, observe Michel Parazelli. Ne pourrions-nous pas soutenir l’organisation collective de ces personnes de façon à pouvoir dialoguer avec elles sur l’analyse des problèmes et des pistes de solutions?»
Des lieux d’intégration?
En matière d’intégration des immigrants, Montréal et Bruxelles partagent de nombreux traits: taille similaire, divisions historiques autour des questions linguistiques, présence immigrante accrue, diversifiée et concentrée dans les quartiers centraux plutôt qu’en périphérie. «Au Québec, l’immigration s’est complexifiée et doit être inscrite dans une perspective de mobilité, a souligné Annick Germain. L’immigration temporaire à Montréal est aujourd’hui plus importante que l’immigration permanente et le centre-ville incarne cette réalité.»
On doit regarder non seulement ce que la ville fait aux immigrants mais aussi ce qu’ils font à la ville, a poursuivi la chercheuse. «Représentant le tiers des résidents de Montréal, ils contribuent à la vitalité démographique du centre-ville et à sa densification, notamment avec la présence croissante de familles et d’étudiants étrangers. Le centre-ville est toutefois un espace social contrasté où se retrouvent les couches d’immigrants les plus précaires.»
Nouvelles vocations
À la fois vitrines des métropoles, lieux d’activités économiques et de représentation, les centres-villes sont aussi des milieux de vie à part entière, a rappelé Priscilla Ananian. À Montréal, les projets de réfection de la rue Sainte-Catherine et de renouvellement de l’avenue McGill College, l’arrivée du REM et la piétonisation de la rue Saint-Paul soulèvent plusieurs enjeux importants. «Les centres-villes doivent se réinventer sur le plan de la vitalité commerciale pour offrir autre chose que ce qui est offert par les centres commerciaux des banlieues, tout en intégrant des populations diverses sur le plan socioéconomique et ethnique», a souligné la professeure.
Les centres-villes sont aussi des lieux de vitalité résidentielle. À Montréal, plusieurs politiques ont été mises en place pour repeupler le centre-ville, notamment le Vieux-Montréal. Des condos émergent un peu partout au centre-ville et autour du Quartier des spectacles, alors que des populations immigrantes et marginalisées peinent à rester dans ces secteurs. «Produire du logement social ne suffit pas, soutient Priscilla Ananian. Il faut que l’accès aux services et équipements de proximité, et aux espaces verts, soit considéré dans la planification. Du travailleur au résident, en passant par le touriste et l’itinérant, le centre-ville devrait être considéré avant tout comme un lieu pluriel de vie.»
Inclusion, invention, sécurité
L’architecte-urbaniste Benoit Moritz a parlé de projets d’aménagement d’espaces publics visant à diminuer la pression automobile à Bruxelles, dont la piétonisation des boulevards centraux, l’aménagement en un espace demi-piétonnier du rond-point Schuman dans un des quartiers les plus congestionnés de la capitale et le réaménagement de l’artère la Toison d’or. «La question soulevée par ces projets est de savoir s’ils permettront d’améliorer la qualité de vie des résidents ou de renforcer l’attractivité commerciale et touristique.»
Évoquant l’enjeu de la participation citoyenne dans l’élaboration des projets d’aménagement, Benoit Moritz a indiqué que des dispositifs plus participatifs restaient à inventer. Il a aussi souligné que les impératifs de sécurisation des espaces publics, entre autres piétonniers, avaient augmenté depuis les attentats terroristes de 2016. «Comment assurer à la fois la sécurité des espaces publics et leur convivialité»?, s’est-il interrogé.
L’événement s’est déroulé en présence, notamment, du délégué général Wallonie-Bruxelles au Québec, Benoit Rutten, et du maire de l’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie, François Croteau (M.B.A., 2007; Ph.D. études urbaines, 2017), responsable des dossiers de Ville intelligente, Technologies de l’information et Innovation au comité exécutif de la Ville de Montréal.