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Passionnée d’images et de lumière

La professeure et directrice photo Geneviève Perron s’est fait un nom dans le monde du cinéma et de la télé.

Par Claude Gauvreau

4 novembre 2019 à 16 h 11

Mis à jour le 3 janvier 2020 à 10 h 01

Geneviève Perron sur le tournage du dernier film de Ricardo Trogi, Le guide de la famille parfaite. Photo: Bertrand Calmeau

En l’espace de 15 ans, la professeure de l’École des médias Geneviève Perron (B.A. communication, profil cinéma, 2004) s’est fait un nom comme directrice photo dans le monde du cinéma (fiction et documentaire), de la télévision et de la publicité. Celle qui a signé les images des films CamionL’ange-gardien et De père en flic 2 a travaillé sur plus d’une soixantaine de courts et longs métrages. À la télévision, elle a collaboré, entre autres, à la série Les Simone et aux deux premières saisons des Beaux malaises. Lauréate des Gémeaux de la meilleure direction photo pour la série documentaire Le théâtre des opérations, en 2015, et pour le Bye Bye 2018, elle est l’une des deux premières Québécoises à avoir été admises au sein de la prestigieuse Canadian Society of Cinematographers (CSC).

«Dès mon arrivée à l’UQAM, au début des années 2000, j’aspirais à faire de la direction photo, dit Geneviève Perron. Au cégep, je m’intéressais déjà à la photo et aussi aux arts visuels. À cette époque, on choisissait entre l’UQAM et Concordia pour les études en cinéma. Comme j’étais attirée par la production et que je n’avais pas envie d’étudier en anglais, j’ai opté pour l’UQAM.»

Après ses études, la jeune femme est admise, en 2015, au réputé Budapest Cinematography Masterclass, en Hongrie. «C’était un séminaire de direction photo destiné à des finissants d’écoles de cinéma provenant de partout à travers le monde. Une douzaine de candidats seulement étaient acceptés. Nous faisions des exercices pratiques et assistions à des conférences de grands maîtres de la direction photo, tels que Vilmos Zsigmond, qui a collaboré aux films The Deer Hunter, de Michael Cimino, et Rencontres du 3e type, de Steven Spielberg. J’ai su à ce moment-là que je vivrais pour tourner des images.»

À son retour au Québec, Geneviève Perron commence à travailler sur des courts métrages. «J’ai mûri au fil des projets, dit-elle. En direction photo, on peut emprunter deux chemins. Certains débutent en tant qu’assistants sur des plateaux de tournage, tandis que d’autres, comme moi, assurent tout de suite la direction photo, mais dans de petites productions.»

«Dans la vie, il est rare que l’on se trouve dans une situation où notre regard sur les gens et les choses est aussi attentif que lorsqu’on filme une scène.»

Geneviève Perron,

Professeure à l’École des médias

Un regard sur le monde

Pour la professeure, la direction photo est une manière d’observer le monde, de sonder la psyché humaine. «On doit toujours se demander quelle est la meilleure façon de filmer une émotion, un décor ou une action. Cela exige de travailler son regard sur le monde, de réfléchir sur ce que l’on voit. Dans la vie, il est rare que l’on se trouve dans une situation où notre regard sur les gens et les choses est aussi attentif que lorsqu’on filme une scène.»

L’exploration de la lumière, des couleurs et de la composition des images constitue un moteur de création. «Qu’il s’agisse d’un film ou d’une série télé, une grande partie du travail créatif en direction photo consiste à imaginer à quoi ressemblera un projet sur le plan formel, et ce, dès l’étape de la pré-production, avant le repérage des lieux de tournage», explique Geneviève Perron. La recherche se fait en amont, à partir du scénario et des discussions avec le réalisateur. «Quels seront les types d’éclairages, les couleurs, les  ambiances? Une caméra nerveuse ou posée? Les réponses à ces questions influenceront la façon dont le film sera perçu par les spectateurs.» Avec le son, l’esthétisme des images contribue aussi à générer des émotions chez les spectateurs. «Ceux-ci réagiront différemment selon qu’une scène est très lumineuse, avec des couleurs chatoyantes, ou filmée en clair-obscur, avec des couleurs estompées.»

L’aspect technique est loin d’être négligeable, surtout que les caméras se sont perfectionnées, ouvrant de nouvelles possibilités. «Le cinéma est à la croisée de l’art et de la technique, note la professeure. On doit maîtriser les outils techniques, lesquels influencent nos idées et permettent de réaliser des choses qu’on ne faisait pas ou peu auparavant. Aujourd’hui, toutes les caméras permettent de produire des images au ralenti. Cela dit, une direction photo intéressante est d’abord une affaire de sensibilité plutôt que de technique.»

«Je suis contente quand un réalisateur me dit à la fin d’un tournage: ce sont exactement les images que j’avais en tête. Et je suis comblée s’il me dit: c’est encore mieux que ce que j’avais en tête.»

Entrer dans la tête du réalisateur

Un directeur photo et un réalisateur travaillent toujours main dans la main. «La qualité première d’un directeur photo est d’être à l’écoute du réalisateur, souligne Geneviève Perron. Il faut être capable d’entrer dans la tête du réalisateur pour traduire sa vision sur le plan formel. Je suis contente quand un réalisateur me dit à la fin d’un tournage: ce sont exactement les images que j’avais en tête. Et je suis comblée s’il me dit: c’est encore mieux que ce que j’avais en tête.»

En fiction, la directrice photo a collaboré à la fois à des films grand public, tels que Le journal d’Aurélie Laflamme et De père en flics 2, et à des films dits d’auteur, comme Camion et L’ange gardien. «Pour moi, il n’y a pas de différence, dit-elle. Ce qui me plaît, c’est d’accompagner un réalisateur, de raconter une histoire qui me touche, avec des personnages qui m’interpellent.»

Dans son travail, plusieurs directeurs photo lui ont servi de modèle, pour des raisons différentes. «L’Australien Christopher Doyle, qui a travaillé, notamment, avec le réalisateur Wong Kar-Wai, de Hong Kong, est celui qui m’interpelle le plus. Il est un peu l’enfant terrible de la direction photo parce qu’il a transgressé plein de règles et qu’il a expérimenté sur le mouvement des images, sur leur texture et leurs couleurs. J’entreprends rarement un projet sans que ses images ne me servent de références visuelles.»

Nourrie par ses étudiants

Actuellement inscrite à la  maîtrise (concentration cinéma et images en mouvement) à l’UQAM, Geneviève Perron a obtenu l’an dernier un poste de professeure à l’École des médis, après y avoir été chargée de cours. «Les étudiants me nourrissent beaucoup, observe-t-elle. Ils me forcent à sortir de mes pantoufles, à rester sur le qui-vive. Créatifs, énergiques et passionnés, ils sont toujours à l’affût des dernières trouvailles techniques.» Elle les encourage à développer leur sens artistique, à aller voir des expositions et, bien sûr, à regarder beaucoup de films.

Le cinéma québécois se porte plutôt bien, croit la professeure. «Douze films québécois seront à l’affiche d’ici Noël!, remarque-t-elle. Il se fait de très bons films, comme Vivre à 100 milles à l’heure, le petit dernier de Louis Bélanger.» D’un autre côté, notre cinématographie connaît des difficultés de financement. «Trop de films se font dans la douleur, avec beaucoup de compromis et de sacrifices», rappelle Geneviève Perron.

La professeure a été témoin d’un changement de garde dans le milieu du cinéma québécois. «Quand j’ai débuté dans le métier, on comptait très peu de femmes dans les équipes techniques. Aujourd’hui, leur présence est perçue comme un atout. Cela dit, beaucoup de chemin reste à faire pour que les femmes, réalisatrices et techniciennes, occupent la place qui leur revient.»

D’ici là, Geneviève Perron continuera de concilier enseignement et direction photo. «Je viens de terminer le tournage du film Le guide de la famille parfaite, une comédie dramatique réalisée par Ricardo Trogi, avec qui j’avais collaboré pour la série télé Les Simone.» Le film questionne certains travers de notre société, notamment l’angoisse de performance. «La comédie est un genre cinématographique très codifié et nous avons cherché à transgresser ses règles. Faire des blagues dans un contexte qui s’apparente au drame, c’est souvent beaucoup plus drôle», conclut la professeure en riant.