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Le temps de l’attente 

L’exposition présentée à la Galerie de l’UQAM questionne la valeur du temps de travail dans le système capitaliste contemporain. 

22 janvier 2019 à 15 h 01

Mis à jour le 22 janvier 2019 à 15 h 01

La Galerie de l’UQAM lance sa saison 2019 avec L’attente, une exposition sur le thème du temps et en particulier du temps consacré aux tâches professionnelles ou domestiques, qui occupe une place centrale dans nos vies. L’exposition, qui réunit des œuvres déjà existantes, des documents d’archives ainsi que des nouvelles créations, rassemble des artistes du Québec, de l’Angleterre, de l’Inde et de l’Allemagne. Le commissariat de l’exposition est assuré par le designer et architecte Fabrizio Gallanti.

Le couple d’artistes allemands Antje Ehmann et feu Harun Farocki a filmé, sous forme de plans-séquences, diverses formes de travail dans le monde. Intitulé Le travail en une seule prise/Labour in a Single Shot (2011-en cours), ce projet s’inspire du court métrage La sortie de l’usine Lumière à Lyon, de Louis Lumière, l’un des premiers films de l’histoire du cinéma, qui montre en un long plan-séquence, des ouvriers quittant l’usine. Une sélection de courts métrages d’environ deux minutes permet de voir à l’œuvre des travailleurs provenant des quatre coins de la planète: un vendeur de glace au Vietnam, une employée d’une ligne téléphonique érotique au Mexique, des travailleurs de la construction au Brésil, une tisseuse de fibre chimique en Chine, des blanchisseurs dans une buanderie à ciel ouvert en Inde… Diffusées sur neuf écrans en simultané, ces capsules vidéo nous rappellent le triste sort de nombreux travailleurs dans le monde, dont plusieurs sont des enfants. Toujours en cours, le projet artistique comprend désormais plus de 400 capsules tournées aux coins de la planète. On peut les voir sur le site web Labour in a Single Shot.

Qualifiée d’œuvre-environnement du fait de son aspect immersif, l’installation Intervalles, du duo formé de Jean-Maxime Dufresne (M.A. communication/multimédia interactif, 2006), chargé de cours à l’École de design, et de Virginie Laganière (M.A. arts visuels et médiatiques, 2007), a été réalisée dans le cadre d’un séjour d’artistes en résidence à Tokyo. L’œuvre se veut une réflexion sur le surmenage, le dévouement et l’épuisement professionnel menant parfois à la mort des travailleurs japonais. Les images contrastantes des vidéos, une série de robots androïdes, plutôt affolants, et de hiboux au regard fixe et apaisant, sont hypnotiques. Le tout est porté par une musique tout aussi hypnotique, voire aliénante.

Le travail est aussi rythmé par l’attente (attendre l’heure du lunch, attendre l’heure du départ, attendre son patron, attendre ses collègues, attendre des clients, etc.). À première vue, il ne se passe ainsi pas grand-chose dans la vidéo documentaire Le camion et la grâce de la diplômée Emmanuelle Léonard (M.A. arts visuels et médiatiques, 2002). Les spectateurs sont conviés dans le quotidien de deux travailleuses sociales de l’organisme RAP Jeunesse, qui sillonnent, à bord de leur caravane, les rues plutôt désertes du nord de Montréal. Un quotidien marqué par l’attente de clients marginalisés venus chercher un peu de répit, des condoms, des seringues propres, etc. À l’automne 2019, la Galerie de l’UQAM présentera une rétrospective des œuvres, à mi-chemin entre l’art et le documentaire, d’Emmanuelle Léonard, dont le commissariat sera assuré par la directrice de la Galerie Louise Déry. 

Durant une année, le médecin et artiste Alain Parent a conservé les notes de ses interventions auprès des patients rencontrés à l’urgence. Par un procédé de copie carbone, les notes de chaque jour de travail se superposent, le tout prenant des allures de graffitis. Dans une deuxième série de dessins, l’artiste a documenté ses déplacements quotidiens. Une photographie présentant l’image d’une salle d’urgence, froide et dépouillée, captée par sténopé, complète l’installation Passages (2014).

Dans une vidéo hilarante intitulée Fantozzi, des travailleurs de bureaux blasés attendent que l’horloge sonne cinq heures pour fuir leur lieu de travail à la course. La bannière Hello, Today you have day off, réalisée par l’artiste britannique Jeremy Deller, nous rappelle le sort de travailleurs soumis à des patrons sans scrupule, qui n’hésitent pas à licencier au gré de leurs humeurs. Le graffiti collectif Travailleurs du monde… relaxez! des artistes indiens K. Deepika, A. Kameshwaran, M. Sinduja, A. Thalamuthu et K. Padmapriya se veut un pied de nez à la sculpture de bronze Le triomphe du travail de Debi Prasad Roy Chowdhury, une statue montrant des ouvriers acharnés tentant de déplacer une pierre.

Terrain de jeux

Terrain de jeux (détail) de Leila Zelli, 2019, installation, dimensions variables.

La petite salle de la Galerie accueille l’installation Terrain de jeux de Leila Zelli, finissante à la maîtrise en arts visuels et médiatiques. Des images représentant un camp de réfugiés syriens sont ici recontextualisées dans une installation donnant aux visiteurs l’impression d’être dans un «terrain de jeux», celui du jeu réel des enfants et du jeu politique de l’image. Le son et le positionnement des images génèrent des effets d’hors-champ, d’hors de vue, d’hors d’atteinte. Les visiteurs peuvent aussi «s’amuser» à découvrir des images animées en regardant par plusieurs orifices percés dans le mur (qui rappellent des trous de balle). Avec cette installation, l’artiste propose une remise en question de notre rapport aux images véhiculées dans les médias.

Leila Zelli est lauréate de la bourse d’excellence pour les cycles supérieurs FARE de l’UQAM (2018) et du prix Coup de cœur du public du 36e Symposium international d’art contemporain de Baie-Saint-Paul. Cet hiver, l’artiste entamera une résidence au Musée des beaux-arts de Montréal, dans le cadre du programme Empreintes, dont les résultats seront exposés en novembre 2019 au Conseil des arts de Montréal.

Les expositions sont présentées à la Galerie de l’UQAM jusqu’au 23 février 2019.

La nuit des idées

La Galerie de l’UQAM et le Consulat général de France à Québec présentent, le 31 janvier prochain, une nouvelle édition de La nuit des idées en sol québécois. La soirée, qui a lieu une fois par an à la même date sur les cinq continents, rallie des milliers de personnes pour une nuit de débats interdisciplinaire et intergénérationnelle autour d’une thématique commune. La Galerie de l’UQAM propose cette année des discussions inspirées de l’exposition L’attente. Animée par la journaliste et écrivaine Marie-Andrée Lamontagne, la soirée sera organisée autour de deux discussions et d’une prise de parole.