Voir plus
Voir moins

Encourager les enfants à écrire

La pratique des orthographes approchées au début du primaire procure des effets durables sur la compétence en écriture.

Par Pierre-Etienne Caza

2 mai 2019 à 9 h 05

Mis à jour le 2 mai 2019 à 9 h 05

Photo: Getty Images

L’automne dernier, ma fille de six ans est revenue de l’école avec une production écrite dont elle était bien fière. Elle y racontait la fin de semaine passée chez ses grands-parents. Le cœur attendri par ses efforts, nous avons tout de même sourcillé devant ses nombreuses erreurs d’orthographe. Jusqu’à ce que son enseignante nous informe que l’objectif de l’activité était d’apprendre l’orthographe en écrivant de manière spontanée. «On nomme cette pratique les orthographes approchées, explique la professeure du Département de didactique Annie Charron. Il s’agit de situations d’écriture contextualisées où l’enseignante invite les élèves à écrire en activant leurs connaissances et leurs stratégies orthographiques et en les amenant à réfléchir et à partager leurs hypothèses d’écriture.»

La pratique des orthographes approchées (OA) existe au Québec depuis une quinzaine d’années et est utilisée dans plusieurs écoles, surtout à l’éducation préscolaire et au premier cycle du primaire. «Du côté anglophone, on utilise le terme “invented spelling”, que l’on pourrait traduire par “écriture inventée”, mais je préfère “orthographes approchées” car les enfants n’inventent pas une nouvelle forme d’écriture. Ils utilisent le système alphabétique qu’ils connaissent pour écrire des mots en s’approchant de la norme orthographique.»

En maternelle ou en première année, les enseignantes qui adoptent cette approche font confiance aux enfants dans leurs premières tentatives d’écriture. «Les enfants doivent par la suite comparer leurs tentatives orthographiques en équipe de deux ou trois et, pour un mot ou un groupe de mots donné, on leur demande d’échanger leurs idées pour écrire le mot qui s’approche le plus de la norme orthographique, explique Annie Charron. Parfois, l’enseignante demande à des élèves d’aller écrire leur choix au tableau pour les comparer. Pour chaque tentative, elle soulignera d’abord ce qui a été bien construit, puis ce qui manque, c’est-à-dire ce qu’ils auront à apprendre ou à consolider.»

«Les enfants vont au-delà de la peur de se tromper et n’hésitent plus à tenter d’utiliser de nouveaux mots dont ils ne connaissent pas l’orthographe dans leurs productions écrites, en développant en parallèle l’habitude d’aller vérifier ensuite la norme orthographique.»

Annie Charron

Professeure au Département de didactique

L’enseignante invite ensuite les élèves à chercher la norme orthographique qui doit s’appliquer pour le ou les mots en question. «En maternelle, les enfants sollicitent un adulte – leur enseignante, un membre de la direction, un élève plus âgé –, alors que les élèves du premier cycle cherchent dans des dictionnaires adaptés pour leur âge ou dans les livres présents dans la classe.» Pour clore l’activité, l’enseignante effectue un enseignement explicite sur la norme orthographique en question, puis elle réinvestira ce mot dans différents contextes les jours suivants afin que les enfants puissent le revoir écrit correctement à plusieurs reprises.

Cette pratique rend les enfants réflexifs par rapport à la langue et cela leur inculque un rapport positif à l’erreur, souligne Annie Charron. «Ils vont au-delà de la peur de se tromper et n’hésitent plus à tenter d’utiliser de nouveaux mots dont ils ne connaissent pas l’orthographe dans leurs productions écrites, en développant en parallèle l’habitude d’aller vérifier ensuite la norme orthographique.»

Maternelle, première, deuxième

Dans le cadre de sa thèse, déposée en 2006, Annie Charron a analysé des activités d’orthographes approchées auprès de cinq enseignantes de maternelle. «Chaque enseignante développe sa façon de mener des activités d’orthographes approchées, note la chercheuse, même si la démarche de base demeure sensiblement la même.»

Annie Charron
Photo: Émilie Tournevache

Après son doctorat, Annie Charron a souhaité étudié la pratique dans le cadre d’un projet de plus grande envergure. Avec le soutien financier du Fonds de recherche du Québec – Société et culture, elle a mené trois projets consécutifs: en maternelle, en première année et en deuxième année. «Les enseignantes de première année qui accueillaient des élèves ayant réalisé des activités d’orthographes approchées en maternelle m’ont affirmé qu’elles notaient une grande différence dans les capacités d’écriture de leurs élèves dès le premier mois de l’année scolaire. Elles ont alors manifesté leur désir d’utiliser à leur tour la pratique des OA.»

Annie Charron a formé 19 enseignantes de première année et 9 enseignantes de deuxième année pour les projets subséquents. En cours de route, elle s’est demandé si l’impact positif de ces activités pouvait perdurer dans le temps. «Est-ce que les élèves qui faisaient des activités d’orthographes approchées en première et en deuxième année démontraient de meilleures connaissances et stratégies d’écriture en troisième et en quatrième année? C’est ce que j’ai voulu vérifier.»

Un impact bénéfique

De 2013 à 2017, la chercheuse a suivi une cohorte de 488 élèves de la Commission scolaire des Hautes-Rivières, dans la région de Saint-Jean-sur-Richelieu, de la première à la quatrième année. Avec la collaboration des enseignantes, trois profils étaient à l’étude: un groupe contrôle d’élèves qui n’ont pas fait d’activités d’orthographes approchées durant la première et la deuxième année, un groupe qui en a fait pendant les deux ans, et un groupe qui en a fait soit en première, soit en deuxième.

«Notre étude a démontré que le fait d’être exposé aux orthographes approchées (OA) durant deux ans donne de meilleurs résultats que durant une seule année ou pas du tout et que les bénéfices sont principalement observés durant la troisième et la quatrième année, lorsque les élèves ne font plus d’activités d’OA.»

«Notre étude a démontré que le fait d’être exposé aux OA durant deux ans donne de meilleurs résultats que durant une seule année ou pas du tout et que les bénéfices sont principalement observés durant la troisième et la quatrième année, lorsque les élèves ne font plus d’activités d’OA, révèle Annie Charron. Ces résultats portent à croire que les stratégies d’écriture acquises grâce aux OA favorisent les apprentissages subséquents des élèves.»

Les enseignantes témoignent que les élèves qui ont fait des OA posent plus de questions sur l’orthographe des mots. Pourquoi un tréma sur Noël? Pourquoi un d au mot grand? Pourquoi vilain ne s’écrit pas vilin? «Cela permet aux enseignantes d’introduire d’autres explications orthographiques et grammaticales», souligne la professeure.

Retour avec les enseignantes

Dans le cadre de son étude, Annie Charron et ses collaboratrices n’ont pas seulement évalué la progression des élèves. «Nous avons donné des journées de formation aux enseignantes de première et de deuxième année et nous sommes allées dans leur classe à deux reprises pour les observer en action et documenter leurs pratiques, photos à l’appui. L’objectif était de leur donner de la rétroaction en soulignant leurs bons coups et en identifiant un ou deux aspects à améliorer. Lors des dernières journées de formation, nous avons présenté les différentes pratiques afin que toutes puissent s’en inspirer.»

Certaines enseignantes ont mentionné que l’utilisation des OA en français avait modifié leur manière d’enseigner d’autres matières, comme les mathématiques. «Elles s’intéressent désormais davantage au raisonnement emprunté par les élèves pour résoudre un problème et elles prennent le temps d’en discuter avec eux», dit la professeure.

La pertinence d’utiliser les OA pour enseigner l’orthographe et l’écriture au premier cycle du primaire ne fait aucun doute pour Annie Charron. «Les programmes ministériels indiquent les attentes face aux compétences à acquérir, mais ne précisent pas les approches ou les méthodes d’enseignement à privilégier pour y parvenir, souligne-t-elle. On peut toutefois espérer que les programmes universitaires de formation initiale et continue des enseignants et enseignantes en tiendront compte à l’avenir. Tous ceux et celles qui ont mené des activités d’orthographes approchées ont témoigné que les élèves adorent écrire spontanément, puis partir à la recherche de la norme orthographique.»