Vaut-il mieux amorcer son secondaire dans une école publique ordinaire (PO) sans sélection ou dans une école publique enrichie ou privée (PEP) avec sélection ? Quels sont les effets de ces différents milieux sur le concept de soi, la motivation, l’engagement, la réussite et les aspirations scolaires des élèves ? Voilà les questions auxquelles souhaitaient répondre la professeure du Département d’éducation et formation spécialisées Isabelle Plante et ses collègues Annie Dubeau (UQAM) et Frédéric Guay (Université Laval), dans le cadre d’une recherche financée par le Fonds de recherche du Québec – Société et culture. «Pour ce faire, nous avons examiné la qualité du cheminement scolaire des élèves au moment de la transition scolaire primaire-secondaire», précise Isabelle Plante.
Cette étude a été réalisée auprès de 67 classes d’élèves de six écoles primaires et de cinq écoles secondaires de la Commission scolaire des Samarres, dans la région de Joliette, et de la Commission scolaire de Saint-Hyacinthe. «Nous avons suivi près de 500 élèves qui effectuaient la transition entre le primaire et le secondaire, auxquels nous avons ajouté tous les autres élèves de leur classe respective de secondaire 1, précise Isabelle Plante. Au total, notre échantillon comportait environ 1500 élèves, la moitié au PO et l’autre au PEP.»
Motivés par les pairs
La croyance populaire veut que le milieu PEP procure aux élèves, sélectionnés sur la base de leur rendement scolaire, un environnement plus stimulant et donc potentiellement favorable à leur réussite scolaire. La recherche a pourtant révélé que la comparaison avec des pairs performants risque de désavantager certains élèves qui auraient, au contraire, tendance à avoir de meilleurs résultats dans un groupe moins performant. C’est ce dernier phénomène, appelé effet «gros poisson-petit bassin» que les chercheurs s’attendaient à confirmer.
Démontré pour la première fois aux États-Unis en 1984 et validé à maintes reprises sur la scène internationale au fil des ans, l’effet «gros poisson-petit bassin» est basé sur le concept de soi scolaire, un indicateur de base de la motivation: Est-ce que je me sens bon en français (en mathématiques, en sciences, etc.)? Est-ce que cette école est pour moi? Est-ce que j’y suis bien? «Selon cette théorie, les élèves des groupes sélectifs développent un concept de soi scolaire plus faible, car ils se comparent avec des élèves plus forts qu’eux et se sentent moins bons, comparativement aux élèves possédant les mêmes habiletés mais fréquentant une classe sans sélection, explique Isabelle Plante. Être un élève fort (gros poisson) dans une école moins performante (petit bassin) aurait donc un effet positif sur le concept de soi scolaire. Or, nos données ne démontrent pas cela du tout!»
Les résultats de son étude suggèrent plutôt que dans l’ensemble, peu importe le type de milieu fréquenté, c’est le fait d’être scolarisé dans un groupe de pairs plus performants qui favorise la motivation scolaire, l’engagement et la réussite. «Plus la moyenne de groupe était élevée en mathématiques et en français (les deux matières analysées dans le cadre de l’étude) en début d’année scolaire, plus chacun des élèves du groupe devenait engagé et motivé, et mieux il réussissait dans ces matières à la fin de l’année scolaire, précise Isabelle Plante. On a observé un effet général lié à la force moyenne du groupe, indépendant du type de groupe. Cela signifie qu’en milieu PEP, les groupes les plus faibles ne sont pas souhaitables pour la motivation, l’engagement et la réussite ultérieure, et qu’en contrepartie, les groupes les plus forts du milieu PO sont favorables pour ces mêmes indicateurs. On retrouve donc des groupes de pairs performants tant au PO qu’au PEP et les élèves qui en font partie ne se sentent pas intimidés et ne se dévalorisent pas.»
Différences maths/français, garçons/filles
Sur le plan du rendement, les élèves réussissent mieux au PEP en mathématiques et en français. «Les élèves du milieu PEP présentent une motivation plus élevée en mathématiques, tandis que les élèves du PO sont plus motivés en français, note la chercheuse. Nous croyons que c’est le reflet de l’accent qui est mis sur les sciences et les mathématiques dans le milieu PEP. La sélection s’effectue en fonction de ces matières pour lesquelles on offre des groupes enrichis. On y observe une motivation moins forte en français.»
L’étude fait également ressortir des différences de genre: les filles demeurent plus motivées et engagées en français, et elles réussissent mieux dans cette matière, alors que les garçons se sentent plus compétents en mathématiques, en dépit d’un rendement scolaire similaire à celui des filles. «La démotivation des garçons en français est une donnée qui revient depuis des années, se désole Isabelle Plante. On a fait des efforts pour que les filles soient plus motivées en maths et en sciences, on a beaucoup parlé du décrochage chez les garçons, mais on ne fait pas grand-chose pour les aider en français. Pourtant, savoir lire et écrire est LE vecteur de réussite dans toutes les matières.»
Troubles du comportement
Parmi les autres effets marquants, on note un nombre plus élevé de comportements extériorisés, surtout des troubles d’hyperactivité et de l’intimidation, au public ordinaire. «Les écoles PEP ont l’obligation d’intégrer des élèves ayant des difficultés, et elles le font, mais il n’y a à peu près aucun cas grave de trouble du comportement, précise Isabelle Plante. Les cas les plus difficiles se retrouvent presque exclusivement dans le milieu public ordinaire, ce qui est beaucoup plus exigeant pour les enseignants.»
Un moment délicat
Pour tous les élèves, autant des PEP que du PO, les chercheurs ont noté une diminution de la motivation dans le passage du primaire au secondaire, ainsi qu’un désengagement au fil de la première année du secondaire. «Cela confirme la difficulté de cette transition scolaire. Il faut réitérer aux parents qu’il est important de soutenir leurs enfants durant cette période et leur offrir les outils pour y parvenir.»
Quelques pistes à explorer
Puisque les élèves issus de groupes performants développent un profil motivationnel et un engagement plus positif, Isabelle Plante et ses collègues proposent de promouvoir une diversité des milieux et des programmes offerts par les écoles secondaires, pour ainsi attirer une clientèle plus hétérogène. «Pour soutenir la réussite scolaire, nous suggérons d’inciter les enseignants à instaurer un climat de classe centré sur les apprentissages et le dépassement de soi plutôt que sur la performance et la compétition entre les élèves, souligne-t-elle. Nous conseillons également de prévoir des mesures pour accroître la motivation et la réussite des garçons en français.»