Au cours des dernières années, les centres de réadaptation en dépendance du Québec ont vu une nouvelle clientèle cogner à leur porte: des hommes et des femmes, de tous âges, démunis face à leur utilisation abusive d’Internet. «Bien que peu nombreuses au départ, ces demandes faisaient état d’une souffrance psychologique significative et d’impacts psychosociaux sévères, semblables à ceux observés chez les dépendants à l’alcool, aux drogues ou au jeu», affirme la professeure Magali Dufour. Embauchée au Département de psychologie en juin dernier, celle-ci s’intéresse depuis plusieurs années à l’utilisation problématique d’Internet. Elle a publié l’automne dernier dans le Canadian Journal of Psychiatry les résultats d’une recherche menée auprès d’adolescents cyberdépendants.
Baptisée Virtuado, l’étude visait à dresser le portrait clinique des jeunes aux prises avec des problèmes de cyberdépendance. Son but: aider les cliniciens à élaborer des stratégies de traitement efficaces pour leur venir en aide. Pour ce faire, Magali Dufour et son équipe ont rencontré 80 adolescents (95 % de l’échantillon était composé de jeunes hommes) âgés entre 14 et 17 ans dans 14 centres de réadaptation en dépendance.
«Les ados cyberdépendants sont surtout des gamers qui ont perdu le contrôle», révèle la chercheuse, qui se garde bien de toute forme de généralisation. «Il ne sert à rien de condamner les jeux vidéo, tout comme on ne condamne pas l’alcool pour ceux qui en font un usage modéré», note-t-elle. Ces jeunes cyberdépendants, précise-t-elle, passent en moyenne 55 heures par semaine sur le web. À titre comparatif, la moyenne chez les jeunes de 15 à 17 ans tourne autour de 20 heures par semaine.
«Pour nous, c’était limpide: les mots utilisés pour nommer ce qu’ils ressentent et la souffrance qu’ils éprouvent sont les mêmes que pour la dépendance à l’alcool, aux drogues ou au jeu.»
Magali Dufour
Professeure au Département de psychologie
Cette perte de contrôle engendre de la souffrance, observe la professeure. «Une telle consommation se répercute sur leur santé physique, en raison d’un manque de sommeil ou d’un mauvais sommeil, sur leurs résultats scolaires et sur leurs relations familiales et sociales. Pour nous, c’était limpide: les mots utilisés pour nommer ce qu’ils ressentent et la souffrance qu’ils éprouvent sont les mêmes que pour la dépendance à l’alcool, aux drogues ou au jeu.»
Obsession et faible estime de soi
Magali Dufour souligne que la proportion de jeunes aux prises avec des problèmes de cyberdépendance oscille autour de 1,3 %, sensiblement la même que pour la consommation problématique de substances (entre 1 et 2 %). Comme pour les autres dépendances, les jeunes cyberdépendants présentent un profil complexe, note-t-elle. «Il faut analyser l’ensemble des activités en ligne de ces adolescents pour bien saisir leur problème. L’un des critères de la dépendance est l’obsession autour du produit. C’est le cas des jeunes de notre étude qui, en plus de jouer, participent à des blogues et à des forums concernant les jeux vidéo.»
Plusieurs jeunes ont raconté faire leurs devoirs en jouant, en chattant avec leurs amis et en regardant des vidéos sur Twitch… simultanément! «L’une de nos hypothèses est qu’ils deviennent tolérants à la surstimulation, poursuit la chercheuse. Quand ils se retrouvent seuls en face d’un interlocuteur ou dans une classe, où l’enseignant constitue la seule source de stimulation, ils perdent tout intérêt.»
«Pratiquement tous les jeunes présentaient un autre trouble de santé mentale que la dépendance, comme la dépression, l’anxiété ou le trouble du déficit d’attention.»
Les résultats de son étude indiquent un taux de comorbidité se situant entre 95 et 97 %, c’est-à-dire que pratiquement tous les jeunes présentaient un autre trouble de santé mentale que la dépendance, comme la dépression, l’anxiété ou le trouble du déficit d’attention. La dépression, surtout, était proportionnellement plus marquée chez les cyberdépendants que dans la population générale. «Plus de 20 % des adolescents participant à l’étude avaient eu des pensées suicidaires ou avaient fait une tentative de suicide au cours de la dernière année, précise la chercheuse. C’est très jeune pour présenter autant de détresse psychologique.»
Le traitement devra éventuellement tenir compte d’un autre facteur spécifique à cette clientèle: une faible estime de soi. «Plus de 55 % des cyberdépendants avaient une estime de soi faible ou très faible, jumelée avec des problèmes dans leurs relations sociales, note Magali Dufour. Cela tranche avec les jeunes dépendants à l’alcool ou aux drogues, qui consomment habituellement en groupe.»
La professeure poursuit ses recherches dans le but d’aider les cliniciens à élaborer un traitement pour cette clientèle adolescente cyberdépendante.
Et les adolescentes?
Peu d’adolescentes cognent aux portes des centres de réadaptation en dépendance pour des problèmes de cyberdépendance et le jeu vidéo ne semble pas en cause chez celles qui le font. Magali Dufour et son équipe ont plutôt noté quelques occurrences de dépendance aux réseaux sociaux. «C’était très marginal, mais il faudra garder un œil sur le phénomène, car chez les adolescentes dans la population générale, les plus récentes études démontrent nettement que les réseaux sociaux constituent une source de problèmes.»