Quelle est l’attitude des Canadiens à l’égard des enjeux et de la dynamique des campagnes électorales, ainsi que des partis politiques et de leurs chefs? Ces questions sont au cœur de l’Étude électorale canadienne (ÉÉC), un projet de recherche universitaire mis sur pied en 1965 afin d’examiner divers aspects des élections fédérales. Cette année, l’Étude est coordonnée par le nouveau Consortium de la démocratie électorale (C-Dem).
Codirigé par la professeure du Département de science politique Allison Harell et sa collègue de l’Université Western Ontario Laura Stephenson, ce réseau de recherche pancanadien lancé en septembre dernier s’intéresse au comportement électoral des Canadiens. Il réunit une vingtaine de partenaires, notamment des chercheurs universitaires, des représentants d’organismes électoraux et d’organisations de la société civile ainsi que des acteurs gouvernementaux. «Les élections sont vitales parce qu’elles permettent à la population d’exprimer ses préférences, mais aussi de tenir les élus responsables de leurs actes, soutient Allison Harell. Le Consortium favorisera la centralisation de ressources et de connaissances afin d’étudier l’état de santé de la démocratie électorale à travers le pays et au fil du temps.»
Les chercheurs du Consortium sont actuellement sur le terrain pour recueillir des données tout au long de la campagne électorale fédérale 2019, dans le cadre de l’ÉÉC. «Cette année, l’étude est menée à une échelle plus large que par le passé, soit auprès d’un échantillon de 40 000 personnes, note la professeure. Nous coordonnons également un sondage téléphonique auprès de 4 000 autres répondants choisis de façon aléatoire. Une fois la campagne électorale terminée, nous recontacterons les gens pour une deuxième vague de sondages.»
L’objectif principal de l’ÉÉC est d’expliquer la décision des citoyens d’exercer ou non leur droit de vote et, s’ils l’exercent, d’identifier les raisons pour lesquelles ils appuient un parti ou un candidat donné, ainsi que les facteurs qui déterminent les gains et les pertes des partis politiques d’une élection à l’autre. «L’étude vise également à mettre en lumière les similitudes et les différences entre le comportement électoral au Canada et dans d’autres pays», explique Allison Harell. Comparable à d’autres initiatives nationales, telles que les American National Election Studies et la British Election Study, l’ÉÉC permettra de constituer une masse importante de données sur les attitudes et les opinions des Canadiens à l’égard d’un large éventail d’enjeux sociaux, économiques et politiques, et de rendre ces données disponibles auprès des chercheurs provenant de divers horizons: science politique, sociologie, économie, communication et journalisme.
Enquêtes et sondages
Au cours des sept prochaines années, au moyen, entre autres, d’enquêtes en ligne et de sondages téléphoniques, le Consortium se penchera sur le comportement politique des Canadiens aux niveaux fédéral et provincial, et ce, entre les élections et durant les campagnes électorales.
«Le Consortium étudiera aussi diverses formes d’engagement politique des citoyens, (manifestations, actions directes), l’impact des sondages d’opinion sur les électeurs et les décideurs politiques, l’évolution de l’opinion publique sur de grands enjeux politiques, qu’il s’agisse du libre échange avec les États-Unis, de la place du Québec au Canada, de l’immigration ou des droits des minorités ethniques, sexuelles et religieuses», observe la chercheuse.
Les inégalités en matière de participation électorale feront l’objet d’études. «On sait que certains groupes d’électeurs au sein de la population participent moins que d’autres et sont moins entendus par les acteurs gouvernementaux, remarque Allison Harell. C’est le cas, notamment, des jeunes et des Autochtones.»
Participation à la baisse
Selon Élections Canada, le taux de participation aux élections fédérales a baissé de façon importante ces dernières années. Oscillant autour de 75 % jusqu’en 1988 (avec des sommets à 79 % au début des années 1960), il avait baissé autour de 60 % au début des années 2000, une tendance qui s’est maintenue jusqu’en 2015. Cette année-là, quelque 3 millions de Canadiens de plus (17,7 millions de voix exprimées) qu’en 2011 (14,8 millions) ont voté lors des élections fédérales, faisant grimper le taux de participation à 68,3 %, son plus haut niveau depuis une vingtaine d’années.
La tendance à la baisse n’est pas propre au Canada. Le Royaume-Uni, la France et les États-Unis, notamment, ont enregistré des baisses semblables au cours des dernières années.
Un système en bonne santé?
Ces dernières années, les médias des pays occidentaux ont souvent fait écho au cynisme politique, à l’état de désillusion à l’égard de la démocratie parlementaire, voire à la défiance de plusieurs citoyens à l’endroit des partis politiques traditionnels. «Ces questions font l’objet de débats, non seulement au Canada mais également aux États-Unis et en Europe, relève la professeure. Est-ce que la population dans ces pays a perdu confiance dans ses institutions? Je ne crois pas que l’on soit capable actuellement d’évaluer l’ampleur de ce risque. Pour juger de l’état de santé de notre démocratie électorale, nous devons mieux connaître la façon dont la population perçoit les problèmes qui y sont associés. Les enquêtes menées par le Consortium pourront y contribuer.»
Depuis une vingtaine d’années, le taux de participation aux élections fédérales a baissé (voir encadré). «La participation a toutefois augmenté de manière importante aux dernières élections, en 2015, notamment parmi les groupes d’électeurs qui votent traditionnellement en moins grand nombre que l’électorat général, note Allison Harell. Les mobilisations des organisations autochtones, comme celle du mouvement Idle No More, ont favorisé un taux de participation plus élevé chez les peuples des Premières Nations». La question est de savoir si la tendance à la baisse est en train de se renverser ou si les résultats de 2015 constituent un accident de parcours. «Le scrutin du 21 octobre prochain nous fournira des éléments de réponse», dit la chercheuse.
La plupart des recherches montrent que les abstentionnistes sont généralement des personnes qui ne s’intéressent pas à la politique ou qui sont peu impliquées politiquement. «Évidemment, on observe aussi des exceptions, indique Allison Harell. On compte parmi les abstentionnistes des personnes très politisées, souvent très engagées dans leur communauté et dans la défense de causes sociales et politiques, et pour qui c’est un geste politique de ne pas voter. Mais leur poids dans la population demeure faible.»