Voir plus
Voir moins

Philanthropie: un écosystème

Le professeur émérite Benoît Lévesque participe à une conférence-causerie organisée par le PhiLab et le CRISES.

Par Claude Gauvreau

29 avril 2019 à 15 h 04

Mis à jour le 29 avril 2019 à 15 h 04

Le professeur émérite du Département de sociologie Benoît Lévesque participera, le 6 mai prochain, à une conférence-causerie à l’UQAM (local D-R200) portant sur l’écosystème philanthropique. Organisée par le Réseau canadien de recherche partenariale sur la philanthropie (PhiLab) et le Centre de recherche sur les innovations sociales (CRISES), la conférence sera animée par le professeur du Département de sociologie Jean-Marc Fontan, coresponsable du PhiLab, et sera suivie du lancement du premier numéro de la revue L’Année philanthropique.

Cofondateur et membre du CRISES, Benoît Lévesque a été l’un des premiers chercheurs au Québec à faire de l’innovation sociale un objet de recherche. Il est aussi un théoricien de l’économie sociale, qui est désormais une composante essentielle du développement économique du Québec.

«La réflexion de cet éminent chercheur sur le rôle social de la philanthropie est précieuse, souligne le professeur du Département de stratégie, responsabilité sociale et environnementale Sylvain Lefèvre, directeur du CRISES et du pôle Québec du PhiLab. Acteur important du mouvement philanthropique, Benoît Lévesque est à la fois membre du conseil scientifique du PhiLab et de l’Institut Mallet, lequel œuvre au développement de la culture philanthropique au Québec.»

Comprendre l’écosystème philanthropique

Selon Sylvain Lefèvre, on a souvent tendance à réduire la philanthropie aux dons de bienfaisance, comme s’il s’agissait de gestes isolés relevant de la générosité privée. «Nous avons plutôt affaire à un écosystème composé de plusieurs acteurs ayant des interactions entre eux: les fondations philanthropiques, bien sûr, mais aussi l’État, les forces du marché, des organisations de la société civile – syndicats, groupes communautaires – et des individus.»

Les fondations philanthropiques constituent un milieu organisé qui développe une réflexion sur divers enjeux économiques et politiques, poursuit le professeur. «Au Québec, depuis quelques années, des représentants de fondations se concertent sur les meilleures manières d’intervenir, ce qui était moins le cas auparavant. À Montréal, par exemple, on voit des fondations agir ensemble pour soutenir des projets menés par des groupes communautaires. On a vu aussi la Fondation Chagnon, l’une des plus importantes au Canada, établir des partenariats avec le gouvernement québécois.»

Les fondations ne forment pas pour autant un bloc monolithique et peuvent avoir des visions différentes, notamment en ce qui concerne la lutte contre les inégalités sociales et celle pour la protection de l’environnement. «Certaines fondations se demandent ainsi si elles doivent établir des rapports de collaboration ou de complémentarité avec l’État», note Sylvain Lefèvre.

L’impact des fondations

En 2015, plus de 2 000 fondations philanthropiques au Québec ont versé quelque 884 millions de dollars pour appuyer différentes causes sociales dans les domaines de l’éducation, des services sociaux et de la santé, de la culture et du développement. Quel est l’impact social de l’action philanthropique? Quels liens les fondations établissent-elles avec les autres organisations de la société civile et l’État? Quel portrait peut-on faire du mouvement philanthropique au Canada ?

Ces questions animent les travaux du PhiLab. Le Réseau a obtenu le printemps dernier une subvention du Conseil de recherches en sciences humaines (CRSH) de 2,5 millions de dollars sur six ans pour le projet «Évaluation du rôle et des actions des fondations subventionnaires canadiennes en réponse à l’enjeu des inégalités et des défis environnementaux».

Clivages politiques

On observe, par ailleurs, des clivages politiques entre les fondations philanthropiques, en particulier aux États-Unis. «Certaines se définissent ouvertement comme conservatrices et prônent moins d’État, tandis que d’autres s’affichent comme progressistes», indique le professeur. Au Canada et au Québec, toutefois, les lignes de partage sont moins prononcées, même si certaines fondations commencent à sortir de l’ombre et à assumer un rôle sur la scène publique. «En 2014, par exemple, neuf fondations privées québécoises avaient critiqué publiquement les politiques d’austérité du gouvernement Couillard», rappelle Sylvain Lefèvre.

Actuellement, les fondations et de riches entrepreneurs, à l’instar d’autres acteurs de la société civile, se sentent interpellés par la crise environnementale. «La famille Rockfeller aux États-Unis, qui a pourtant fait fortune dans l’industrie des hydrocarbures, a décidé de ne plus investir dans les énergies fossiles, observe le chercheur. Sur les campus, des étudiants se sont mobilisés pour que les fondations universitaires cessent de solliciter des dons auprès des entreprises de ce secteur. Les enjeux climatiques étant mondiaux et fortement médiatisés, il peut être prestigieux pour des fondations d’aider financièrement des États et des organisations à faire face aux défis environnementaux.»

L’attitude de la société civile à l’égard des donations se transforme également, témoignant d’une politisation des enjeux. «En France, après l’incendie qui a ravagé Notre-Dame de Paris, des voix se sont élevées pour critiquer les crédits d’impôt – jusqu’à 60 % –  dont pourraient bénéficier de riches donateurs pour la reconstruction de la cathédrale», souligne Sylvain Lefèvre. Il y a un mois, la National Portrait Gallery, un célèbre musée londonien, a refusé un don de 1,77 million de dollars de la famille Sackler, l’une des plus fortunées aux États-Unis. «Le musée considérait qu’il s’agissait d’argent sale, car la famille Sackler est propriétaire de la société pharmaceutique Purdue, laquelle fabrique l’OxyContin, un puissant analgésique ayant joué un rôle de premier plan dans la dépendance aux opioïdes aux États-Unis.»

Nouvelle revue

À l’occasion de la conférence-causerie, le PhiLab procédera au lancement du premier numéro de la revue électronique L’Année philanthropique. «Nous publierons un numéro par année, qui donnera la parole à des chercheurs universitaires d’ici et d’ailleurs ainsi qu’aux divers acteurs de l’écosystème philanthropique», note le professeur. Chaque numéro de la revue sera pris en charge par une équipe éditoriale différente rattachée au PhiLab.

Le premier numéro propose, notamment, un dossier sur les incitations fiscales à la philanthropie, un article sur la façon dont les fondations américaines abordent l’enjeu de l’iniquité raciale, un autre sur le rôle des fondations dans le développement international, des études de cas, une entrevue avec Hilary Pearson, présidente de Fondations philanthropiques Canada, et des recensions d’ouvrages.