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Autisme: une autre intelligence

L’intelligence singulière des personnes autistes repose sur un fonctionnement cérébral distinct et appelle des méthodes d’intervention distinctes. 

Par Claude Gauvreau

28 mars 2019 à 13 h 03

Mis à jour le 14 août 2019 à 10 h 08

Des études cliniques couplées à l’imagerie cérébrale permettent de mieux saisir les processus à l’oeuvre dans l’intelligence singulière des autistes, notamment la manière dont le cerveau raisonne et traite l’information.Photo: Getty/Images

Selon les études, la proportion de personnes autistes présentant une déficience intellectuelle varie de 13 % à 84 %. Autant dire qu’il n’existe pas de consensus sur cette question au sein de la communauté scientifique. «On tend de plus en plus à croire que les études surestiment la prévalence de la déficience intellectuelle, soit parce qu’on la mesure trop tôt dans le développement de l’enfant, soit parce qu’on n’utilise pas les bons outils pour évaluer les habiletés intellectuelles des personnes autistes», observe la professeure du Département de psychologie Isabelle Soulières.

En fait, on comprend de mieux en mieux qu’il existe une intelligence autistique reposant sur un fonctionnement cérébral distinct. «Des études cliniques couplées à l’imagerie cérébrale permettent de mieux saisir les processus à l’œuvre dans cette intelligence singulière, notamment la manière dont le cerveau raisonne et traite l’information», explique Isabelle Soulières, qui est titulaire depuis l’an dernier de la Chaire de recherche stratégique sur l’optimisation du potentiel cognitif des personnes autistes.

La chercheuse a cosigné avec Laurent Mottron, professeur au Département de psychiatrie de l’Université de Montréal, l’article «L’intelligence singulière des autistes», qui est paru dans le dernier numéro (mars 2019) du magazine français La Recherche.   

Différentes formes d’autisme

On distingue dans le spectre autistique différentes formes, dont l’autisme syndromique, qui se caractérise par la présence d’une anomalie génétique qui s’ajoute à l’autisme, pouvant entraîner retard  intellectuel, crises d’épilepsie et autres symptômes.

Dans leur article, Isabelle Soulières et Laurent Mottron s’intéressent à deux autres formes d’autisme dites prototypiques, non associées à une déficience intellectuelle, à une anomalie génétique ou à un trouble neurologique. La première, décrite dans les années 1940 par le pédopsychiatre américain Léo Kanner, caractérise des enfants qui, au-delà de leur désintérêt apparent pour leur entourage, présentent un retard important sur le plan du langage oral, mais une bonne mémoire verbale et musicale, tout en excellant dans des tâches requérant de manipuler mentalement des informations visuelles. «Ces enfants sont capables de se représenter l’espace, comme l’espace 3D dans les jeux vidéo. Ils pensent et raisonnent davantage avec des images qu’avec des mots et sont capables de retenir par cœur des horaires d’autobus, ou encore des textes lus ou entendus», observe la professeure.

«Au moins 10 % des autistes apprennent à lire par eux-mêmes avant d’entrer à l’école.»

Isabelle Soulières,

Professeure au Département de psychologie

L’autre forme d’autisme, décrite par le psychiatre autrichien Hans Asperger, se distingue par un langage précoce, toujours compréhensible, ainsi que par une intelligence normale, qui se manifeste par un intérêt intense pour un domaine de connaissances particulier, comme l’histoire ou la politique. «J’ai connu un jeune autiste qui connaissait sur le bout des doigts l’histoire des dynasties chinoises, dit Isabelle Soulières. Les enfants Asperger ont une bonne diction et un vocabulaire parfois recherché, qui détonnent par rapport à d’autres enfants de leur âge.»

Une expertise particulière

La plupart des personnes appartenant à ces deux groupes sont capables de réaliser des tâches cognitives d’un niveau très élevé dans des domaines spécifiques auxquels elles consacrent beaucoup de temps et d’énergie, et certaines peuvent avoir une intelligence supérieure à la moyenne. «Elles développent souvent une sorte d’expertise qui doit être reconnue comme telle», soutient la chercheuse.

L’intelligence atypique des personnes autistes se manifeste, notamment, par la connaissance des chiffres et des lettres à l’âge de deux ou trois ans, ou par la réalisation, dès l’âge de trois ans, de puzzles habituellement réservés à des enfants de cinq ans. «Au moins 10 % des autistes apprennent à lire par eux-mêmes avant d’entrer à l’école», remarque Isabelle Soulières.

Avoir des outils adéquats

Les personnes autistes, enfants comme adultes, sont souvent désavantagées par le type de matériel et d’outils employés pour évaluer leur intelligence. Ainsi, l’emploi de questions ouvertes, présentées oralement sans aucun support visuel et sans choix de réponses pour aider à l’organisation de l’information, tend à donner des résultats qui sous-estiment le potentiel intellectuel d’une majorité de personnes autistes.

«Quand on présente des questions complexes ou abstraites, par écrit ou de manière imagée, et surtout avec des choix de réponses pour orienter la réflexion, on peut mettre en lumière des habiletés de raisonnement élevées», souligne Isabelle Soulières.

Pourtant, malgré une intelligence originale, voire hors norme, les personnes autistes s’adaptent difficilement au monde qui les entoure. «L’adaptation varie beaucoup d’un individu à l’autre, note la chercheuse. Certains communiquent très bien, tandis que d’autres ne parlent pas, ou peu, ou d’une manière atypique, et sont totalement dépendants de leur entourage.»

Les enfants autistes font des tentatives de communication auxquelles nous ne sommes pas toujours attentifs. «Dans les formations offertes aux parents, on les incite à être l’affût de certains gestes posés par leur enfant, lesquels ne sont pas toujours compréhensibles à première vue, relève la Isabelle Soulières. Ainsi, un enfant prendra la main de sa mère et l’appuiera sur le frigo pour lui signifier qu’il a faim. Un autre répètera à plusieurs reprises Je veux être plus grand parce qu’il essaie de faire comprendre qu’il est incapable de saisir un jeu se trouvant sur une étagère trop haute pour lui.»

«Si on comprend comment fonctionne leur cerveau au moyen de l’imagerie cérébrale, on saisira ce qui influence leurs façons d’apprendre et de raisonner et on pourra mieux adapter les méthodes d’enseignement.»

Fonctionnement cérébral distinct

Les personnes autistes et non autistes utilisent le même réseau cérébral pour faire des raisonnements. Chez les autistes, par contre, certaines régions postérieures du cerveau, en particulier le lobe occipital (correspondant à l’aire visuelle), présentent un plus haut niveau d’activité, alors que certaines parties du cortex préfrontal sont moins actives. «Dans les modes de cognition et de raisonnement des autistes, les régions cérébrales les plus actives sont celles associées à l’expertise visuelle, à l’élaboration, au maintien et à la manipulation d’images mentales», souligne la professeure.

Selon une hypothèse récente, il y aurait  chez les autistes moins de connectivité entre les régions cérébrales frontales et les régions postérieures. «La communication entre ces régions est particulièrement importante pour l’accomplissement de tâches complexes, indique Isablle Soulières. Toutefois, cette moins grande connectivité ne semble pas nuire à la capacité de raisonner.»

Une autre façon d’apprendre    

Les différences dans le fonctionnement cérébral ont des implications sur l’apprentissage et le développement des capacités intellectuelles des enfants autistes. «Si on comprend comment fonctionne leur cerveau au moyen de l’imagerie cérébrale, on saisira ce qui influence leurs façons d’apprendre et de raisonner et on pourra mieux adapter les méthodes d’enseignement», souligne la professeure, qui a obtenu, l’an dernier, un soutien financier du Fonds de recherche du Québec –Santé à titre de chercheuse-boursière pour une étude sur les trajectoires de développement cognitif chez l’enfant autiste.

Isabelle Soulières a mené une étude auprès d’enfants autistes dans des écoles primaires de la Rive-sud de Montréal afin de tester différentes approches pédagogiques visant à favoriser leur apprentissage. «Il est nécessaire de leur présenter l’information de manière exhaustive et organisée, puis de leur permettre de la manipuler, de la classer et de l’organiser, parce que cela correspond davantage à leur manière spontanée d’apprendre», dit la chercheuse. Cela confirme les observations de nombreux cas d’enfants autistes qui ont appris à lire, à calculer ou à jouer du piano par eux-mêmes, grâce à un matériel abondant et en repérant des régularités et la structure sous-jacente aux agencements de lettres, de chiffres ou de notes.

«Des recherches montrent que les enfants autistes apprennent mieux à distinguer deux groupes de stimuli si on leur montre tous les stimuli à la fois, car cela leur permet d’observer les différences et les ressemblances entre eux, note Isabelle Soulières. L’apprentissage est au contraire beaucoup moins efficace si on leur présente un seul stimulus à la fois, ce qui est la façon classique d’intervenir auprès des enfants autistes.»

La professeure croit qu’il faut repenser les méthodes d’intervention, lesquelles se concentrent habituellement sur les faiblesses des enfants autistes. «On doit plutôt miser sur leurs centres d’intérêt, sur les forces et les habiletés associées à leur développement cognitif atypique, que ce soit dans les classes régulières et spécialisées en milieu scolaire ou en contexte d’intervention dans les centres de réadaptation.»