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Attirer les femmes en sciences

Le sexisme et les préjugés empêchent encore les femmes de se diriger en sciences.

Par Claude Gauvreau

5 avril 2019 à 15 h 04

Mis à jour le 10 avril 2019 à 16 h 04

Dessin issu d’une collection appartenant à des chercheurs de l’Université d’Hawaii.

En mars dernier, le magazine Québec Science rapportait que les femmes ne forment que 20 % de la main-d’œuvre dans le domaine des sciences et des technologies au Canada.  Elles obtiennent moins de subventions de recherche que les hommes, touchent de plus petits salaires, accèdent plus difficilement aux postes de professeurs et de gestionnaires, sont moins souvent invitées comme conférencières dans des rencontres internationales et reçoivent moins de prix prestigieux. Pourquoi? «Cela n’a rien à voir avec les aptitudes des femmes en sciences, mais avec la culture sexiste et les préjugés de genre», soutient la doctorante en sémiologie Louise Caroline Bergeron (M.A. philosophie, 2012).

La chercheuse a été embauchée par l’Institut de recherches et d’études féministes (IREF) pour mener une enquête sur la représentation des femmes aux cycles supérieurs de la Faculté des sciences de l’UQAM. Sa recherche vise, notamment, à dresser un portrait statistique des étudiantes de cycles supérieurs à la Faculté, basé sur des données du Service de planification académique et de recherche institutionnelle (SPARI) pour la période 2005-2006 à 2015-2016. Afin de documenter l’expérience et le parcours des étudiantes ainsi que des diplômées de troisième cycle (depuis 2005-2006), Louise Caroline Bergeron a invité ces dernières à répondre à un questionnaire en ligne et à participer à des entrevues individuelles. «L’un des objectifs de la recherche est de fournir des éléments d’information et d’analyse pour soutenir la Faculté dans ses efforts de recrutement de candidates aux cycles supérieurs», note la doctorante.

«Des étudiantes m’ont dit que lors des colloques pour femmes en informatique et en mathématiques, la délégation de l’UQAM était souvent l’une des plus imposantes. Bien que minoritaires dans leurs programes à l’UQAM, ces étudiantes sont néanmoins plus nombreuses que leurs consoeurs inscrites dans les mêmes programmes dans d’autres universités.»

Louise Caroline Bergeron,

Doctorante en sémiologie et agente de recherche à l’IREF

Les étudiantes estiment en général que la Faculté des sciences constitue un milieu qui les valorise, où elles se sentent à l’aise, souligne Louise Caroline Bergeron. «Des étudiantes m’ont dit que lors des colloques pour femmes en informatique et en mathématiques, la délégation de l’UQAM était souvent l’une des plus imposantes. Bien que minoritaires dans leurs programmes à l’UQAM, ces étudiantes sont néanmoins plus nombreuses que leurs consoeurs inscrites dans les mêmes programmes dans d’autres universités.»

La recherche, qui n’est pas terminée, s’inscrit dans la foulée du Rapport sur la mixité dans le corps professoral en sciences, produit en 2015 à la demande de Luc-Alain Giraldeau, qui était alors doyen de la Faculté des sciences. Le rapport faisait état de la sous-représentation des femmes dans le corps professoral de la Faculté ainsi que dans les programmes d’étude de cycles supérieurs.

Mêmes aptitudes

Louise Caroline Bergeron a coordonné le dossier «Femmes et sciences» paru dans le numéro de février du magazine Découvrir de l’ACFAS, auquel ont collaboré les professeurs Louise Cossette, du Département de psychologie, et Patrice Potvin, du Département de didactique. «Louise Cossette y rappelle qu’il n’y a pas de différence entre les filles et les garçons à l’adolescence quand on compare leurs aptitudes en sciences, et que les filles sont même souvent meilleures que les garçons en maths», souligne la doctorante. Les cerveaux des filles et des garçons ne fonctionnent pas différemment. Les fonctions cognitives, le langage, la mémoire ou le raisonnement sont très diversifiés, peu importe le sexe.

Une enquête réalisée en 2015 par Patrice Potvin et le professeur de l’Université de Sherbrooke Abdelkrim Hasni, cotitulaires de la Chaire de recherche sur l’intérêt des jeunes à l’égard des sciences et de la technologie (CRIJEST), abondait dans ce sens. Les filles performaient aussi bien que les garçons, même si elles avaient tendance à se percevoir moins bonnes . L’enquête révélait par ailleurs que les filles et les garçons exprimaient dès le secondaire des intérêts différents selon les domaines disciplinaires. Les garçons affichaient une préférence pour la physique, la chimie, les mathématiques et l’informatique, tandis que les filles s’intéressaient davantage aux sciences de la vie: biologie, santé, soins.

Chose certaine, quand vient le moment de faire un choix de carrière, les filles ont tendance à délaisser les sciences. «Si on était élevé et éduqué sans prescriptions de genre, les intérêts et les goûts se répartiraient aléatoirement parmi tous les individus, sans égard au sexe, observe Louise Caroline Bergeron. Dès l’âge de cinq ou six ans, les filles et les garçons ont déjà intégré certains stéréotypes de genre qui les enferment dans des rôles et des identités que la société considère correspondre au sexe masculin et au sexe féminin. Ces catégories binaires contribuent à façonner nos attentes et nos attitudes envers les enfants.»

«Dans la tête des enfants et des ados, les scientifiques sont encore le plus souvent des hommes, comme l’illustrent les résultats du test Draw a scientist.»

Dessine-moi un scientifique

Les expériences vécues au contact des parents, des médias, des loisirs scientifiques et, surtout, les expériences scolaires exercent toutes une influence plus ou moins marquante sur le choix d’entreprendre ou non des études en sciences. «Dans la tête des enfants et des ados, les scientifiques sont encore le plus souvent des hommes, comme l’illustrent les résultats du test Draw a scientist», remarque Louise Caroline Bergeron. Depuis 50 ans, des écoles américaines font régulièrement passer ce test à des jeunes âgés de 5 à 18 ans, en leur demandant de dessiner spontanément une personne exerçant la profession de scientifique.

L’an dernier des chercheurs en psychologie de la Northwestern University ont évalué l’évolution des stéréotypes en se basant sur les dessins de quelque 20 000 enfants et adolescents. Leurs résultats, publiés dans la revue Child Development, montrent qu’entre 1966 et 1977, moins de 1 % des jeunes représentaient une femme, alors qu’ils le font aujourd’hui une fois sur trois. Jusqu’à l’âge de 5-6 ans, les enfants dessinent aussi bien des scientifiques hommes que femmes. La tendance s’inverse au secondaire, alors que 75 % des filles et 98 % des garçons dessinent un homme. Les chercheurs expliquent ce changement par l’exposition des élèves aux stéréotypes de genre au fur et à mesure qu’ils grandissent.

«Pourquoi ne pas servir aux filles le même discours que celui réservé aux garçons, à savoir qu’en s’orientant vers les sciences, elles contribueront à faire progresser les connaissances et la société?»

Parcours inspirants

Présenter aux jeunes filles des parcours inspirants de femmes en sciences est-il une bonne approche pour stimuler leur intérêt envers ce domaine? «Il faut travailler sur tous les fronts, y compris ceux de l’imaginaire et de la représentation, soutient la doctorante. Offrir des modèles de tous types et des récits de parcours diversifiés peut inciter les jeunes filles à croire que les sciences sont un milieu pour elles.» Toutefois, il ne faudrait pas croire que la seule présence des femmes fera disparaître automatiquement les préjugés et comportements sexistes. «On doit se soucier du milieu qui les accueille, indique Louise Caroline Bergeron. C’est une responsabilité collective qui concerne aussi les hommes.»

Pour inciter les jeunes filles à étudier et à faire carrière en sciences, il ne suffit pas de leur dire qu’elles doivent surmonter le sentiment d’insécurité, le manque de confiance en soi, ou le syndrome de l’imposteur, note la doctorante. «Pourquoi ne pas servir aux filles le même discours que celui réservé aux garçons, à savoir qu’en s’orientant vers les sciences, elles contribueront à faire progresser les connaissances et la société?»

Des mesures concrètes

Diverses mesures concrètes peuvent être prises pour favoriser une plus grande présence des femmes en sciences, notamment à l’université. «Outre l’embauche d’un plus grand nombre de professeures dans différentes disciplines, on peut envisager d’offrir des activités de mentorat, des bourses destinées spécifiquement aux étudiantes qui effectuent un retour aux études après un congé de maternité, une plus grande flexibilité en matière de conciliation travail/famille, ou encore des services de garde à l’occasion de colloques ou de conférences, dit Louise Caroline Bergeron. Il faut surtout transmettre le message que les femmes ont leur place en sciences et que l’on  travaille à y éliminer les traces de sexisme.»

À l’UQAM, la doctorante défend l’idée d’intégrer dans la formation des étudiants les savoirs féministes qui ont été développés en sciences et d’accroître les échanges entre la Faculté des sciences et l’IREF pour que la population étudiante bénéficie de l’expertise féministe de l’Institut.

«L’important est de miser sur la curiosité et l’ambition des étudiantes, soutient Louise Caroline Bergeron. Cessons de rendre les femmes prudentes et récompensons plutôt leur audace et leur prise de risque.»