Reportons-nous dans le Québec de l’après-guerre. Un groupe d’artistes peu connus, les Automatistes, lancent en août 1948 un manifeste au titre provocant: Refus global. Tiré à 400 exemplaires, ce texte suscite aussitôt une vive controverse. Le ton virulent et iconoclaste du manifeste vaut au leader du groupe une intervention directe du gouvernement de Maurice Duplessis. Le peintre Paul-Émile Borduas, professeur à l’École du meuble depuis plus de 11 ans, est congédié pour «conduite et écrits incompatibles avec la fonction d’un professeur dans une institution d’enseignement».
Soixante-dix ans plus tard, la Galerie de l’UQAM présente, du 16 mai au 16 juin prochain, l’exposition collective Refus contraire. Rassemblant des artistes de divers horizons (arts visuels et arts vivants), l’exposition vise à actualiser et à réactiver les motifs d’engagement, d’interdisciplinarité et de communauté qui animaient les 16 signataires du célèbre manifeste. La Galerie accueillera à la fois des œuvres – vidéos, photos, installations – et une quinzaine d’événements destinés au grand public: performances, danse, lectures de poésie, conférences, tables rondes.
Le commissariat de l’exposition a été confié à trois étudiantes: Doriane Biot (maîtrise en muséologie), Camille Richard (maîtrise en histoire de l’art) et Véronique Hudon (doctorat en études et pratiques des arts). «La Galerie a lancé un appel de candidatures au sein de la communauté étudiante dans le cadre de la première édition de Radar, une nouvelle initiative visant à encourager la relève commissariale, explique Camille Richard. Chaque candidat devait soumettre un projet d’exposition dans le contexte du 70e anniversaire de la publication de Refus global. Nos trois projets s’inscrivaient dans une perspective collective et interdisciplinaire. Puis, nous avons été sélectionnées et jumelées par un jury d’experts pour organiser Refus contraire.»
Métisser les voix

Les trois jeunes commissaires ne voulaient pas faire une simple commémoration du manifeste des Automatistes. «Nous souhaitions plutôt explorer les discours critiques qui ont accompagné les nombreuses relectures de Refus global, accorder une place centrale à des pratiques artistiques contemporaines ayant une approche politiquement engagée et mettre en valeur leur dimension collective et performative», souligne Doriane Biot. «L’idée de rassembler et de métisser des voix multiples constitue le fil conducteur de Refus contraire, poursuit Véronique Hudon. Parce que Refus global proposait un art dégagé de tout nationalisme étroit, nous avons choisi d’inviter des artistes francophones, anglophones et autochtones.»
Refus global n’était pas l’œuvre d’un seul individu, mais celle d’un groupe dont presque la moitié (sept) des membres étaient des femmes, rappellent les étudiantes. Issus de divers horizons disciplinaires – peinture, poésie, théâtre, danse, photographie –, les Automatistes souhaitaient abattre les barrières entre les différents langages esthétiques. «Les artistes qui participent à Refus contraire cherchent justement à redéfinir les représentations culturelles, identitaires et de genre au moyen des arts visuels, de la performance et de la poésie, note Véronique Hudon. L’exposition se veut un espace d’échanges et de réflexions en vue de questionner les frontières entre les disciplines artistiques.»
L’actualité de Refus Global
Ce qui fait l’actualité de Refus global, 70 ans plus tard, ce sont son esprit revendicateur et sa quête de liberté, affirment les commissaires. «Les revendications peuvent varier d’une époque à l’autre, mais on trouve de tout temps des artistes qui ont voulu bousculer les règles établies», observe Doriane Biot. «En 1948, les Automatistes dénonçaient l’académisme en art, le conservatisme social et l’emprise du clergé sur les esprits, dit Camille Richard. Aujourd’hui, les causes sociales et politiques défendues par les artistes sont très diversifiées: féminisme, droits des autochtones et des minorités sexuelles, environnement, antiracisme, etc. Chose certaine, le besoin de questionner la société par l’art demeure présent.»
L’exposition appelle à renouer avec la radicalité de Refus global, dans sa dimension positive, précisent les étudiantes, à envisager le refus comme une forme de résistance et une force de création. «La radicalité s’incarne, entre autres, dans des formes esthétiques qui vont à contre-courant, souligne Véronique Hudon. Le renouvellement des formes, auquel aspiraient les Automatistes, s’exprime maintenant dans des corps en mouvement, dans les rapports de l’art à l’espace et aux spectateurs.»
Une programmation variée
Les événements proposés par Refus contraire sont regroupés en trois catégories:
Performances
Série Banana Peels (Trying Hard)
18 mai, 19 mai, 22 mai et 5 juin, 15 h à 17 h
Ces interventions ponctuelles de six performeurs dans l’espace de la galerie constituent un cycle de travail basé sur l’identité et l’histoire corporelle de chaque interprète.
Série Blank Cunts (quatuor en solo)
23 mai, 24 mai, 25 mai, 31 mai et 1er juin, à compter de 12 h
À travers une esthétique brute et des images fortes, les performeuses du collectif féministe Cool Cunts exposent leur résistance physique aux rôles imaginaires et sociaux octroyés aux femmes.
Nous serons universel.le.s
26 mai, 13 h
L’artiste Kamissa Ma Koïta propose une œuvre performative et expérimentale nourrie par les approches féministes, les mouvements altermondialistes et queer, ainsi que par la culture populaire.
Make Banana Cry (Partie 1)
2 juin, 16 h
Spectacle à la jonction de la danse contemporaine, de la performance et des arts visuels. Les artistes s’inspirent de la culture pop asiatique pour formuler un discours critique sur l’appropriation culturelle.
Conférences et lectures
Lectures commentées de Refus global
17 mai, 16 h à 18 h
La chercheuse Sophie Dubois analysera les écrits qui accompagnent Refus global, souvent ignorés par la réception critique, afin de renouveler la lecture du manifeste. L’historien de l’art Ray Ellenwood se penchera sur la dimension collective et sur l’engagement artistique des Automatistes.
Ne faites pas honte à votre siècle
24 mai, 17 h à 18 h 30
Daria Colonna lira des extraits de son recueil de poésie Ne faites pas honte à votre siècle, tandis que le collectif Cool Cunts offrira à travers sa performance des images saisissantes en résonance avec la poésie de l’auteure.
Contre-histoires d’artistes femmes: du manifeste à aujourd’hui
31 mai, 16 h à 18 h
Les conférencières Patricia Smart et Anna Lupien discuteront de leurs recherches sur l’apport des pratiques artistiques féminines au système de l’art québécois lors de la période moderne ainsi que du statut des femmes artistes contemporaines.
Sylvestres et survivantes
2 juin, 15 h 30
Toino Dumas explorera les thèmes de l’écologie, de l’identité de genre et de la survie à travers la lecture d’extraits de ses livres.
Si le refus avait une forme
15 juin, 17 h, au Ginkgo café & bar, 308 rue Sainte-Catherine Est
Dans l’esprit de Refus global, une soirée où parole, poésie et performance sont portées par des refus multiples. Les poètes France Théoret, Benoit Jutras et Oana Avasilichioaei ainsi que la chorégraphe Lara Kramer et la performeuse Sarah Chouinard-Poirier ouvriront la soirée avec des textes et actions empreints d’une énergie forte.
Conversations
Série Corps collectif
Corporéité et matérialité féministe (3 mai, 12 h 45) et Décoloniser la danse, entre liberté et identité (6 juin, 12 h 45)
Série d’échanges sur le travail en arts vivants réalisé par le collectif féministe Cool Cunts et sur le spectacle Make Banana Cry et la série Banana Peels (Trying Hard).
Résistances et présence autochtones
22 mai, 12 h à 14 h
Discussion avec Nikki Little et Becca Taylor, commissaires de la 4e Biennale d’art contemporain autochtone, sur les perspectives de commissariat entourant l’art contemporain autochtone au Québec et au Canada.
Visite commentée de Refus contraire
9 juin, 14 h
Les commissaires de l’exposition commenteront les œuvres présentées à la Galerie.
Longue table: les oranges sont vertes
15 juin, 14 h 30 à 16 h 30
Une longue table, des chaises, une nappe en papier et des stylos pour faire des commentaires, dessiner ou griffonner des idées. Dans un esprit convivial, les commissaires accueillent les artistes et le public pour échanger de manière spontanée autour de l’exposition.