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Programmeur de sensations fortes

Lauréat 2018 du prix Reconnaissance pour la Faculté des sciences, Ernest Yale vend ses attractions immersives à travers la planète.

Par Pierre-Etienne Caza

14 mai 2018 à 16 h 05

Mis à jour le 7 juin 2022 à 10 h 40

Série Prix Reconnaissance UQAM 2018
Sept diplômés de l’UQAM seront honorés à l’occasion de la Soirée Reconnaissance 2018 pour leur cheminement exemplaire et leur engagement. Ce texte est le quatrième d’une série de sept articles présentant les lauréats.

Ernest YalePhoto: Nathalie St-Pierre

Ernest Yale (B.Sc.A. informatique de gestion, 2000) a développé très jeune une passion pour l’informatique. «La polyvalente avait acheté des ordinateurs Commodore 64, mais aucun professeur ne savait s’en servir, raconte-t-il. Nous expérimentions le langage BASIC par nous-mêmes avec les ouvrages de référence qui étaient fournis et j’ai tout de suite compris les algorithmes, les variables et les boucles.» Pour le plus grand bonheur de ses amis, il parvient à l’époque à recréer des jeux comme Pac-Man, Space Invaders ou Jungle Hunt. Trente ans plus tard, son cercle d’amis s’est considérablement élargi: c’est toute la planète qui s’amuse dans les attractions immersives conçues par son entreprise, Triotech.

Ernest Yale s’est d’abord inscrit à l’UQAM à titre d’étudiant libre, après un bref passage à Polytechnique. «J’ai suivi un cours de programmation avancée et j’ai adoré! Le professeur m’avait même trouvé un stage d’été dans une compagnie multimédia qui s’appelait Micro-Intel, où j’ai travaillé comme développeur logiciel de 1993 à 1996.»

En parallèle, il s’inscrit au baccalauréat en informatique de gestion, où il rencontre Jean-François D’Arrisso (B.Sc.A. informatique de gestion, 1997), avec lequel il fonde une entreprise, ACI informatique, qui développe, entre autres, des logiciels multimédia. «J’ai dû poursuivre mes études à temps partiel à raison d’un cours par session pour parvenir à obtenir mon bac, car mes autres projets prenaient toute la place», se rappelle-t-il.

Saisir l’occasion d’affaire

En 1999, des clients se pointent chez ACI avec une machine d’arcade pour laquelle ils souhaitaient obtenir un logiciel. «On dit souvent qu’il faut savoir saisir l’occasion quand elle se présente. J’ai offert à ces deux clients de fonder une nouvelle entreprise pour concevoir des petites machines d’arcade.» Triotech était née.

Fasciné par les histoires à concevoir pour chaque machine – dans le jargon on parle de gameplay, l’expérience de jeu Ernest Yale pousse pour développer de plus grosses machines, à deux places, puis à quatre places, puis des théâtres à huit places ou plus. L’entreprise conçoit en 2004 Madwave Motion Theater, un jeu d’arcade à deux places dont les sièges bougent. Un an plus tard, elle propose le XD Theater, une attraction immersive et modulable de 4 à 100 sièges.

En 2009, Triotech met sur le marché le simulateur Typhoon, qui était encore classé numéro un par l’industrie des jeux d’arcade en juillet 2017. Ce simulateur permet à deux personnes assises côte-à-côte de vivre une immersion dans un univers de montagnes russes virtuelles et de course automobile, avec une accélération de plus de 2G et plus de 400 mouvements à la seconde, incluant du vent!

Deux ans plus tard, l’entreprise ouvre des bureaux à Pékin. La même année, elle met au point une technologie interactive brevetée qui transforme les visiteurs passifs en joueurs actifs, capables d’interagir avec le contenu des images 3D en temps réel et avec les meilleurs effets spéciaux sur le marché.

Un décollage fulgurant

Le point tournant qui propulse Triotech à un niveau supérieur est le lancement de Wonder Mountain’s Guardian, en 2014. «Il s’agit d’une attraction hybride qui combine des montagnes russes et des parcours scéniques (dark rides) interactifs, explique l’entrepreneur. L’aventure débute à l’extérieur et se poursuit à l’intérieur, sur 325 mètres de montagnes russes dans cinq niveaux souterrains différents. C’est une aventure médiévale où chacun a un fusil et se bat contre des monstres. À l’Halloween, nous remplaçons le cadre médiéval par une thématique de zombies.»

Installée dans le parc d’amusement Canada’s Wonderland, à Toronto, cette attraction a été sacrée nouveau produit ayant l’incidence la plus importante sur l’avenir de l’industrie par l’International Association of Amusement Parks and Attractions (IAAPA). «C’est ce qui nous a ouvert les portes des grands parcs d’attraction de la planète», note Ernest Yale.

Triotech compte aujourd’hui plus de 320 attractions dans plus de 50 pays, accueillant chaque année plus de 22 millions de visiteurs. Ses clients et partenaires incluent Cedar Fair, Warner Bros, AMC, Sony Pictures, Legoland Resorts, Merlin Entertainment Group et Ripley Entertainment. «Nos partenariats avec les grands studio américains consistent à reprendre la thématique d’une série télé ou d’un film et d’en faire une expérience multisensorielle dans un parc d’attraction», explique l’entrepreneur.

À la fin de l’été dernier, par exemple, l’attraction Fear The Walking Dead Survival, inspirée de la série télé, a été installée à Las Vegas en collaboration avec les studios AMC. «Il s’agit à la fois d’un jeu d’évasion, d’un labyrinthe et d’activités interactives qui reproduisent les horreurs de l’apocalypse zombie. Les gens se font attaquer et ils doivent sauver leur peau!», précise Ernest Yale.

En juillet prochain, une nouvelle attraction sera inaugurée sur le Pier 39 à San Francisco: The Flyer San Francisco. «Il s’agit d’une expérience de 18 minutes de vol entièrement immersive qui transporte les participants au-dessus des points d’intérêt et des monuments emblématiques de la ville de San Francisco, mais aussi dans les rues les plus abruptes et les plus tortueuses, explique Ernest Yale. Les gens sont sur un siège et sanglés dans un harnais et ils ont l’impression de survoler la ville en hélicoptère. C’est spectaculaire!»  

En plus d’avoir développé l’attraction, Triotech en est co-propriétaire. L’entreprise se glisse de plus en plus dans la peau d’un opérateur, contrôlant ainsi toutes les étapes, de la conception jusqu’à l’exploitation de ses projets. On peut facilement imaginer qu’une attraction comme The Flyer puisse être adaptée à n’importe quelle grande ville de la planète. «Nous avons plusieurs autres projets en chantier …», laisse tomber Ernest Yale.

Le président sait que son entreprise doit demeurer à l’avant-garde en matière de nouvelles technologies afin de garder la main haute, et c’est pourquoi il investit massivement en recherche et développement (le directeur de la R&D est son ancien camarade de l’UQAM Jean-François D’Arrisso). «Je visite des parcs d’attraction partout sur la planète, je me tiens à l’affût des nouveaux produits et je n’hésite pas à conclure des ententes avec de nouvelles compagnies pour utiliser leurs technologies dans des attractions qui verront le jour d’ici deux ou trois ans», souligne-t-il.

Ernest Yale est particulièrement fier de ses équipes multidisciplinaires basées à Montréal, Joliette et Pékin. «La programmation logicielle, la production des pièces et l’assemblage s’effectuent à 95 % au Québec», note-t-il.

Toutes les attractions de Triotech sont conçues pour être vécues en groupe, fait remarquer l’entrepreneur. «Malgré tous les gadgets techno et les grands écrans télé, les gens aiment sortir pour vivre des sensations fortes avec les membres de leur famille ou leurs amis. Nos expériences ont du succès, car elles sont impossibles à reproduire à la maison!»

Ce prix Reconnaissance le touche énormément. «Pour lancer son entreprise, il faut savoir travailler en équipe, gérer des projets et engager des gens meilleurs que soi dans plusieurs domaines. Les stages et les travaux d’équipe à l’UQAM m’ont appris ça», conclut-il.