Comment un professeur peut savoir si la relation avec un étudiant va fonctionner? Que faire si ce que l’étudiant écrit n’est pas bon? Et s’il n’arrive plus à produire? «Les professeurs discutent très peu entre eux des difficultés qu’ils éprouvent dans l’encadrement d’étudiants aux cycles supérieurs, alors qu’ils rencontrent à peu près tous les mêmes problèmes», révèle Christian Bégin. Spécialiste de la relation d’encadrement aux cycles supérieurs, le professeur du Département de didactique vient de faire paraître Encadrer aux cycles supérieurs: étapes, problèmes et interventions (PUQ, 2018), un ouvrage qui s’adresse à ses pairs.
Au cours des 20 dernières années, Christian Bégin a œuvré, notamment, à titre de psychologue aux Services à la vie étudiante de l’UQAM, auprès de plusieurs centaines d’étudiants dans le cadre d’ateliers portant sur les dimensions méthodologiques et relationnelles concernant le processus de réalisation d’un mémoire ou d’une thèse. Il a également offert de nombreuses formations sur l’encadrement aux cycles supérieurs dans divers établissements universitaires francophones, y rencontrant des centaines de professeurs. «Les suggestions et les situations présentées dans mon livre proviennent des témoignages recueillis au fil des ans, précise le professeur. Elles sont aussi le fruit de ma propre expérience en tant que directeur de recherche, de mes “réussites” et de mes “erreurs” avec mes étudiants.»
Un accompagnement à la recherche
L’encadrement d’un étudiant aux cycles supérieurs ne consiste pas seulement à signer un formulaire, mais à l’accompagner de la meilleure façon possible afin de bien le former à la recherche, rappelle Christian Bégin. Cela implique que l’étudiant se familiarise avec plusieurs étapes: analyser des écrits, les commenter, les critiquer, les mettre en relation, définir et expliquer des concepts utiles à son sujet de recherche, articuler une méthodologie cohérente, analyser les données obtenues, en tirer des interprétations adéquates, et enfin rapporter l’ensemble du processus par écrit. «Il s’agit d’activités qu’un professeur ne peut pas simplement dicter à l’étudiant pour qu’il les réalise avec précision et exactitude. Ce dernier doit les développer à travers la pratique et les rétroactions sur celle-ci», précise l’auteur.
En ce sens, l’accompagnement des étudiants aux cycles supérieurs est beaucoup plus «qu’une simple correction de leurs productions», poursuit le spécialiste. «La grande majorité des étudiants ont besoin d’un accompagnement soutenu pour une portion plus ou moins grande des étapes et des tâches que comporte leur recherche. Or, il appartient au directeur de recherche de créer les conditions favorables permettant d’amener l’étudiant à un degré de plus en plus grand d’autonomie.»
Sélection et modalités de rencontre
L’ouvrage de Christian Bégin est divisé en quatre parties. La première porte sur le contexte et sur les conditions de réussite et de persévérance des études de cycles supérieurs. «Ces conditions sont importantes parce qu’elles servent à comprendre la nature du soutien dont les étudiants peuvent avoir besoin pour mener à terme leurs projets d’études», observe Christian Bégin.
La deuxième partie du livre aborde les éléments les plus importants aux yeux de l’auteur: le processus de sélection de l’étudiant et les modalités de suivi et d’encadrement à mettre en place pour favoriser une relation productive et satisfaisante, aussi bien pour l’étudiant que pour le directeur lui-même. «Une très grande partie des problèmes qui surgissent au cours du processus d’encadrement auraient pu être dépistés ou anticipés au moment de la sélection de l’étudiant», souligne-t-il.
«Une très grande partie des problèmes qui surgissent au cours du processus d’encadrement auraient pu être dépistés ou anticipés au moment de la sélection de l’étudiant.»
Christian Bégin
Professeur au Département de didactique
Plusieurs professeurs lui ont confié à quel point ils étaient effarés qu’un de leurs étudiants écrive si mal. «Il faut vérifier la capacité de rédaction de l’étudiant dès la première rencontre, autrement des problèmes risquent de surgir lors du dépôt du projet de recherche ou, pire, lors de la production du premier chapitre», conseille Christian Bégin.
Les modalités d’encadrement et de suivi qu’il propose visent à établir un mode de fonctionnement permettant au directeur de jouer son rôle en fonction de ses priorités, tout en assurant un accompagnement optimal aux étudiants. «Ne pas se retrouver enseveli par les demandes et les exigences des étudiants quand on veut bien faire est un sujet de grande préoccupation chez les directeurs de recherche», souligne-t-il.
De son côté, l’étudiant veut obtenir des réponses à ses questions avant de s’engager avec un directeur de recherche. «La conversation sur les modalités devrait toujours être amorcée par le directeur, estime Christian Bégin. C’est sa responsabilité, car l’étudiant a plus de chances d’être intimidé par cette démarche.» Il faut en effet un certain culot pour aborder un professeur, qui est parfois une vedette dans son domaine, et lui demander à quelle fréquence il rencontre ses étudiants, le temps qu’il prend pour retourner ses corrections et s’il peut financer vos recherches.
Lors de ces premiers échanges, il importe de discuter de tous les points susceptibles de causer problème en cours de route. «Le professeur doit expliquer clairement sa façon de fonctionner, ses disponibilités pour les rencontres, sa manière de corriger, etc. L’étudiant doit aussi présenter ses attentes», souligne le spécialiste.
Lorsque tout aura été dit, le professeur a le choix d’accepter ou de refuser d’encadrer l’étudiant. «Il n’y a pas de bonnes ou de mauvaises raisons pour refuser un étudiant, note Christian Bégin. Parfois, le sujet de recherche ne correspond pas à notre spécialisation, ou bien il n’y a pas d’affinités. Il faut savoir déceler si on a vraiment le goût de travailler avec l’étudiant, parce qu’une maîtrise dure au minimum deux ans et un doctorat encore plus longtemps!»
Les autres étapes
La troisième partie de l’ouvrage porte sur le processus d’accompagnement lors des différentes étapes de réalisation de la recherche, depuis la recension des écrits jusqu’au dépôt du mémoire ou de la thèse. «Le premier principe, c’est de faire travailler l’étudiant le plus rapidement possible sur son projet et l’encadrer étroitement au début afin d’éviter les mauvaises surprises», soutient Christian Bégin. Le professeur doit, par exemple, guider l’étudiant dans ses lectures et s’assurer qu’il en retire les bons éléments, car c’est ce qui sous-tend le reste du travail de recherche. «Ce n’est pas parce qu’un étudiant parle de façon éloquente de son sujet de recherche, par exemple, qu’il est nécessairement bien outillé pour se documenter», précise le spécialiste.
«Le premier principe, c’est de faire travailler l’étudiant le plus rapidement possible sur son projet et l’encadrer étroitement au début afin d’éviter les mauvaises surprises.»
Un chapitre est consacré au processus de correction. «En tant que profs, nous sommes habitués à corriger des travaux au bac, mais la correction de chapitres de mémoire ou de thèse est différente», note Christian Bégin. Celui-ci offre aux lecteurs des astuces sur la manière de corriger: éviter de réécrire à la place de l’étudiant, corriger de façon explicite et précise, distinguer les commentaires généraux et les commentaires explicites, et assurer le suivi des corrections avec l’étudiant.
La dernière partie aborde les problèmes et les situations critiques qui peuvent être rencontrés au cours de l’encadrement, tels qu’un problème de production ou de plagiat, des problèmes personnels vécus par l’étudiant, un retard dans les échéances, et des demandes de report.
Christian Bégin insiste: son ouvrage ne prétend pas fournir LA bonne façon d’encadrer un étudiant. Il s’inspire plutôt de sa propre expérience en suggérant des pistes de solution relativement à des situations pouvant être problématiques. «Malgré tout ce qu’on peut mettre en place comme accompagnement, encadrer un étudiant n’est jamais une démarche assurée de succès, mais on peut se faciliter la vie en partant sur de bonnes bases», conclut-il avec philosophie.