Voir plus
Voir moins

Les sciences d’hier à aujourd’hui

Yves Gingras publie Histoire des sciences dans la célèbre collection Que sais-je?

Par Claude Gauvreau

27 février 2018 à 15 h 02

Mis à jour le 27 février 2018 à 16 h 02

Cadran solaire. Sans instruments, les sciences ne peuvent pas évoluer. Photo: Istock

Les arbres touffus ne doivent pas cacher la forêt, dit le proverbe. Ces dernières années, la diversification des objets de recherche a rendu difficile la rédaction d’ouvrages proposant de grands récits capables de donner un sens général au développement historique des sciences. Le professeur du Département d’histoire Yves Gingras a relevé ce défi avec Histoire des sciences, une hyper-synthèse de 128 pages! Il s’agit de son deuxième ouvrage publié dans la célèbre collection Que sais-je? des Presses universitaires de France, après Sociologie des sciences paru en 2013.

«Certains livres décrivent l’histoire mondiale des sciences en 500 ou 1 500 pages, mais ce sont souvent des encyclopédies de faits mis sur un même pied», note le titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences. «Qu’est-ce que l’on doit retenir de l’histoire des sciences quand on a tout oublié? C’est la question qui m’a guidé pour brosser un tableau généalogique des sources de la science contemporaine,  une histoire faite d’évolutions et de révolutions, mais aussi de tâtonnements, de hasards et d’intuition.»

Vu l’impossibilité dans un Que sais-je? de couvrir de façon détaillée l’ensemble des sciences et de leurs objets, l’historien s’en est tenu aux étapes marquantes ayant scandé le développement des grands domaines de connaissances sur la nature, soit le cosmos (astronomie), la matière (chimie, physique) et le vivant (biologie). Il rappelle le rôle joué par les grands savants – Aristote, Archimède, Galilée, Newton, Darwin, Einstein – et les institutions (universités et sociétés savantes), des acteurs majeurs des transformations scientifiques à travers le temps.

L’histoire des sciences est marquée par deux approches qui, depuis les années 1960, ont généré des querelles parmi les historiens. La première s’intéresse à la logique interne des sciences, à la genèse des découvertes et à la formation des concepts scientifiques. La seconde porte sur les facteurs sociaux, économiques et institutionnels du développement scientifique. «L’opposition entre ces deux approches est artificielle, dit le professeur. Une bonne histoire intègre ces deux dimensions, qui sont complémentaires et non incompatibles. Dans mon ouvrage, je propose d’ailleurs une histoire conceptuelle et institutionnelle des sciences.»

«L’apparition de l’écriture et du calcul représente pour l’histoire des sciences l’invention la plus décisive»

Yves Gingras,

Professeur au Département d’histoire et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en histoire et sociologie des sciences

Trois grandes périodes

Truffé de références bibliographiques, l’ouvrage distingue trois grandes périodes historiques et expose, pour chacune d’elles, les principales théories et découvertes scientifiques, ainsi que le cadre géographique, démographique et institutionnel dans lequel les recherches ont été menées. La première période couvre ce qu’on appelle les sciences anciennes (500 av. J.-C. et 1600 apr. J.-C.). La seconde (1500 à 1800) englobe la Renaissance et la révolution scientifique. Elle correspond au développement des sciences modernes qui, à plusieurs égards, rompent avec les pratiques antérieures. Au cours de la troisième période (1800-2000), les recherches se développent dans le cadre universitaire et donnent lieu à des applications industrielles, lesquelles transforment les rapports entre science, économie et société.

«D’un point de vue généalogique, le cadre conceptuel des sciences modernes et contemporaines, qui se sont construites à compter du 17e siècle, trouve sa source en Grèce classique et hellénistique entre le 6e siècle avant .J.-C. et le 3e siècle après. J.-C.», rappelle Yves Gingras. La période de deux mille ans qui sépare les premiers modèles cosmologiques géométriques grecs et leur remise en question au début du 17e siècle constitue un tout cohérent que l’on nomme sciences anciennes.

«L’apparition de l’écriture et du calcul à cette époque représente pour l’histoire des sciences l’invention la plus décisive, affirme l’historien. Davantage que le feu ou l’agriculture, elle fut la condition de possibilité du développement continu des sciences.»  Le chercheur souligne aussi l’émergence au 12e siècle des universités, «d’une importance cruciale pour le décollage des sciences».

«À partir du 17e siècle, la nouveauté radicale, c’est l’instrumentation de la science.»

La révolution scientifique

La révolution scientifique moderne est une période de renouvellement radical des pratiques. Dans les années 1600, l’invention de nouveaux instruments – télescope, microscope, baromètre, – permet aux scientifiques de voir des objets jusque-là invisibles à l’œil nu, de mesurer et de faire des expériences de façon beaucoup plus systématique. «À partir du 17e siècle, la nouveauté radicale, c’est l’instrumentation de la science, dit Yves Gingras. Sans  instruments, les sciences ne peuvent pas évoluer. Et c’est encore le cas aujourd’hui.»

Une nouvelle astronomie apparaît avec les découvertes de Copernic, Kepler et Galilée, ainsi qu’une nouvelle physique sous l’impulsion des travaux de Descartes et Newton. Par ailleurs, l’invention de l’imprimerie, au milieu du 15e siècle, joue un rôle important  dans les progrès de l’anatomie et de la botanique en facilitant la reproduction stabilisée de représentations visuelles détaillées des différentes parties du corps humain, des plantes et des animaux.   

La période 1600-1800 se caractérise par une croissance importante du nombre des savants dispersés dans plusieurs grandes villes européennes, mais unis en un vaste réseau de correspondants. «On assiste aussi à la création de nouvelles institutions, les académies des sciences, ainsi qu’à l’émergence d’un nouveau mode diffusion du savoir fondé sur les revues savantes», observe le professeur.

«La difficulté accrue de distinguer seulement trois lauréats d’une découverte majeure rend le prix Nobel de moins en moins représentatif de la logique collective de la recherche scientifique.»

Multiplication, spécialisation et mondialisation

La troisième période, des années 1800 à nous jours, est celle de la multiplication et de la spécialisation des disciplines scientifiques (géologie, biologie, sciences de l’atmosphère), C’est aussi une période de grandes découvertes avec les travaux de Charles Darwin, qui révolutionnent l’histoire naturelle et notre conception de la place de l’homme dans la nature, et la naissance de la physique quantique grâce aux recherches d’Einstein. Des découvertes ouvrent la voie à de nouveaux domaines de recherche, que ce soit celle de la pile électrique, des ondes hertziennes, de la radioactivité, ou de la structure de l’ADN.  

Au cours de la seconde moitié du 19e siècle, le développement scientifique s’effectue de plus en plus au sein des universités, tant aux États-Unis qu’en Europe. Puis, dans la première moitié du 20e siècle, plusieurs pays se dotent d’institutions entièrement vouées à la recherche.

«Tous ces développements favorisent une forte croissance du nombre de chercheurs et une massification des activités de recherche, note l’historien. Ils ont même rendu le prix Nobel anachronique. La difficulté accrue de distinguer seulement trois lauréats d’une découverte majeure rend ce prix de moins en moins représentatif de la logique collective de la recherche scientifique.»

Aujourd’hui, tous les pays possèdent des universités et des centres de recherche, mais leurs contributions à l’avancement des connaissances scientifiques dépendent de leur niveau de développement économique et des investissements publics et privés en recherche et développement. «Cela explique pourquoi l’Amérique du Nord et l’Europe, ainsi que la Chine – second pays producteur de publications scientifiques – dominent la scène scientifique mondiale, dit Yves Gingras, alors que les pays arabes, africains et latino-américains en sont absents.»

Sur le plan conceptuel, aucune véritable révolution scientifique comparable à celles de la première moitié du 20e siècle (relativité, mécanique quantique, cosmologie, génétique) n’est venue ébranler le monde de la recherche, lequel demeure basé sur les théories établies avant les années 1970. «Cette stabilité des fondements a contribué à la multiplication d’ouvrages annonçant la fin des sciences, souligne le chercheur. Ce type de discours existait aussi au début du 20e siècle, avant que Max Planck et Albert Einstein ne viennent révolutionner la physique. De nouvelles découvertes viendront-elles bouleverser les cadres de pensée actuels? Seul l’avenir le dira.»