Malgré les représentations parfois simplistes qu’on en fait dans la culture populaire, la thérapie constitue une relation complexe entre le patient et le professionnel qui lui vient en aide. La sexologue et doctorante Anne-Julie Lafrenaye-Dugas (B.A. sexologie, 2012; M.A. sexologie, 2014) l’a constaté dans sa pratique. «J’ai souvent l’impression que ce qui aide le plus mes patients n’est pas tant la qualité de mes interventions – même si cela compte, bien sûr! – mais plutôt la relation que je parviens à établir avec eux», confie-t-elle.
Le phénomène est connu et porte même un nom: l’alliance thérapeutique. «Toutes les formes de thérapie requièrent ce type de relation de confiance qui en décuple les effets bénéfiques», souligne Anne-Julie Lafrenaye-Dugas, dont la thèse porte, justement, sur les mécanismes d’action de l’alliance thérapeutique dans le cadre d’une thérapie sexuelle. La chercheuse, qui travaille sous la direction des professeures Natacha Godbout et Martine Hébert, a publié récemment le premier article de sa thèse dans le Journal of Sex & Marital Therapy.
Une question de savoir-être
Des études ont démontré l’efficacité d’une bonne alliance thérapeutique non seulement dans le cadre d’une thérapie, mais aussi dans la relation entre patients et médecins généralistes! Le patient qui développe une relation de confiance avec son médecin est plus susceptible, par exemple, de suivre adéquatement le traitement qui lui est prescrit.
«Il faut instaurer un climat de confiance afin que le patient se sente en sécurité. Il doit sentir que la relation est égalitaire, empreinte de respect mutuel, d’écoute et de bienveillance, sans jugement de la part du thérapeute.»
Anne-Julie Lafrenaye-Dugas
Sexologue et doctorante
Pour en arriver à établir une bonne alliance thérapeutique, le praticien doit posséder des connaissances théoriques, certes, mais aussi une bonne dose de savoir-être, précise Anne-Julie Lafrenaye-Dugas, qui est également chargée de cours au Département de sexologie. «Il faut instaurer un climat de confiance afin que le patient se sente en sécurité. Il doit sentir que la relation est égalitaire, empreinte de respect mutuel, d’écoute et de bienveillance, sans jugement de la part du thérapeute.»
Trois variables à l’étude
Dans le cadre de sa thèse, la doctorante s’est penchée sur les données récoltées auprès de 278 patients débutant un cycle de consultations à la Clinique de sexologie de l’UQAM. Son échantillon comportait 55 % de femmes et 45 % d’hommes.
L’une des variables étudiées était le nombre d’événements traumatiques vécus dans l’enfance – maltraitance, abus sexuels, violence physique ou psychologique, négligence ou intimidation. La sexologue n’a pas été étonnée de constater que 90 % des patients avaient vécu au moins une forme de trauma. «C’est plutôt la norme parmi les patients qui consultent en sexologie», note-t-elle.
Pour les besoins de son étude, les gens ayant vécu au moins quatre formes de violences interpersonnelles étaient considérés comme ayant subi un trauma cumulatif. «La littérature indique qu’il s’agit du seuil à partir duquel les impacts sont les plus évidents sur la manière d’entrer en relation avec les autres, et donc sur les relations intimes», précise la chercheuse.
La deuxième variable étudiée était justement l’attachement dans les relations amoureuses, plus spécifiquement la présence ou non de comportements liés à l’anxiété d’abandon ou à l’évitement de l’intimité. «Les gens qui présentent un attachement anxieux font des pieds et des mains pour plaire, ils ont peur d’être abandonnés, ils s’accrochent aux autres et sont à l’affût de tout signe de rejet, explique Anne-Julie Lafrenaye-Dugas. Les “évitants”, au contraire, préfèrent garder les autres à distance, ils ont de la difficulté à se montrer vulnérables et sont plus indépendants.» Ni l’un ni l’autre de ces comportements n’est considéré comme une pathologie en soi. «Ce sont plutôt des schémas de fonctionnement», précise la doctorante.
Dans la population générale, 55 % des gens vivent une forme d’attachement dit sécure. «Ce sont des gens qui savent se montrer vulnérables devant leur partenaire, et si ce dernier les déçoit, ils ne sont pas démolis pour autant», illustre la sexologue. Dans son échantillon, seulement 12 % des répondants présentaient une forme d’attachement sécure. «C’est très peu et cela accentue l’importance de la capacité à entrer en relation avec les autres dans la thérapie. Axer la thérapie uniquement sur la sexualité ne sert à rien si on ne travaille pas d’abord sur l’aspect relationnel au sens large.»
Après avoir mesuré des aspects liés à l’alliance thérapeutique – les impressions des patients sur les objectifs de la thérapie, les tâches qu’ils doivent accomplir pour les atteindre ainsi que leur lien avec le thérapeute –, la doctorante a été en mesure de croiser les trois variables. Elle voulait ainsi vérifier si les comportements liés à l’attachement influençaient la formation d’une bonne alliance thérapeutique, en tenant compte du nombre de traumas vécus par le patient. «Mon expérience de clinicienne m’indique qu’il y a des interactions entre ces trois variables, mais aucune étude à ce jour n’en a fait la démonstration pour les patients en thérapie sexuelle», précise-t-elle.
Un facteur de protection
Les résultats de l’étude indiquent que la diminution des comportements d’évitement de l’intimité favorise la construction d’une bonne alliance thérapeutique, et ce, peu importe le nombre de traumas. «Cela nous indique que si on a de la difficulté à créer un lien avec un patient, il faut creuser du côté de l’évitement de l’intimité, observe-t-elle. En travaillant cet aspect, on favorisera la construction d’une bonne alliance thérapeutique.»
Les résultats de l’étude indiquent que la diminution des comportements d’évitement de l’intimité favorise la construction d’une bonne alliance thérapeutique, et ce, peu importe le nombre de traumas.
Ces résultats, précise-t-elle, s’appliquent uniquement à l’évitement de l’intimité et pas à l’anxiété d’abandon. «C’est logique puisque les anxieux veulent entrer en relation avec le thérapeute», souligne-t-elle avec humour.
Ses conclusions s’appliquent uniquement aux femmes. Chez les hommes, le lien entre les traumas et l’évitement de l’intimité ne permet pas de prédire la qualité de l’alliance thérapeutique. «Cela s’explique peut-être par le fait que les hommes ont souvent des attentes irréalistes par rapport à la thérapie, avance-t-elle. Ils veulent que leurs problèmes soient réglés en deux semaines, mais pour établir une bonne alliance thérapeutique, il faut plus de temps.»
Des pistes pour le futur
Les conclusions de la chercheuse devraient amener les sexologues à porter une attention particulière aux patients qui présentent des signes d’évitement de l’intimité, comme la peur de se dévoiler ou de se montrer vulnérables. «En thérapie, cela se traduit, par exemple, par une propension à contrôler la conversation en tout temps ou à ne jamais montrer de côtés négatifs de soi», illustre-t-elle. Le but n’est pas de confronter le patient, mais de le rassurer, d’instaurer un climat d’ouverture pour l’amener à se dévoiler, ajoute-t-elle.
Comment peut-on procéder afin de ne pas brusquer un patient qui a peur de se dévoiler? «Il m’est arrivé d’établir avec une patiente un horaire pour qu’elle partage avec moi le souvenir de certains événements marquants à des moments précis sur une période de quelques semaines. Cette façon de faire lui permettait de progresser peu à peu, à la fois dans l’alliance thérapeutique et dans la thérapie comme telle.»