
Jeanne Leblanc (B.A. communication, 2001) ne craint pas les sujets graves. Ses courts métrages remarqués, Une nuit avec toi (2011) et Carla en 10 secondes (2016), traitaient respectivement de la difficulté d’accepter son image corporelle et d’une histoire de viol collectif. Isla Blanca, son premier long métrage, raconte l’histoire de Mathilde, une jeune fugueuse qui rentre au bercail après huit ans d’absence pour assister à l’agonie de sa mère. Pour la chargée de cours au programme de cinéma de l’École des médias, il s’agit d’un projet qu’elle portait depuis 20 ans.
«J’ai veillé ma mère lors de son décès et je m’étais dit que j’allais faire quelque chose avec ça», raconte Jeanne Leblanc. L’expérience du tournage aurait pu être troublante, mais non. «Les personnages sont tellement différents et les acteurs étaient tellement généreux qu’en quelque sorte, c’est devenu leur histoire, leur univers que je me retrouvais à observer, explique la réalisatrice, qui a aussi signé le scénario du film. C’était un peu comme si les personnages vivaient quelque chose que, par coïncidence, j’avais vécu moi aussi.»
Le titre, Isla Blanca, fait référence à l’île mexicaine où la mère – celle du film et la sienne – a fait l’unique voyage de sa vie. Les images poétiques de la plage ont d’ailleurs été tournées en location, au Mexique.
Jeanne Leblanc a réalisé ce film avec un micro budget de 90 000 dollars, dont une bourse de 50 000 dollars du Conseil des arts et des lettres du Québec. Heureusement, elle a eu beaucoup d’aide sous forme de services et de généreuses réductions de prix, sans compter les copains qui sont venus cuisiner pour nourrir l’équipe sur le plateau.
On dit que ce financement minceur donne au film son aspect dépouillé. «Je ne plaiderai certainement pas pour des films sous-financés, dit la réalisatrice. Mais dans ce contexte très précis d’un film d’inspiration très personnelle, il est vrai que le fait de ne pas avoir de moyens m’a obligée à revenir à l’essence du film, à l’intime.»
Question de méthode
Pour celle qui enseigne l’assistance à la réalisation aux étudiants de l’UQAM, cette question de la méthode est très importante. «Le “comment on va le faire” a un impact profond sur le film final», dit-elle. La diplômée du bac en cinéma jongle d’ailleurs avec l’idée de faire une maîtrise sur ce sujet, et se dit qu’elle pourrait très bien partir du cas d’Isla Blanca. «Devant chaque film, on devrait se questionner en profondeur sur tous ses éléments – taille de l’équipe, nombre de jours de tournage, façon d’aborder les répétitions avec les acteurs, etc. – selon le style du film et sa matière première, de façon à s’immerger dans son univers, de manière non conventionnelle et beaucoup plus organique, pour voir comment cela va influencer le matériel filmique.»
Pour elle, la préparation des acteurs est une étape fondamentale. «C’est le nerf de la guerre, dit-elle. Ça se fait par couches successives. On fait la lecture du texte ensemble, on invente un passé au personnage, on se demande ce qu’il écoute comme musique… C’est un travail qui prend du temps.» Un travail que la réalisatrice a mené aussi bien avec Charlotte Aubin, qui interprète le personnage de Mathilde, qu’avec les autres comédiens: Théodore Pellerin qui tient le rôle du frère cadet, Judith Baribeau, celui de la mère, et Luc Picard, qui incarne le père.
Un autre film en préparation
En plus de mener ses propres projets, Jeanne Leblanc a travaillé comme assistante-réalisatrice sur plusieurs films, dont Corbo (2014), Laurence Anyways (2012), Café de Flore (2011) et La neuvaine (2005). Elle a déjà un autre film en préparation, Les nôtres, qu’elle tournera l’été prochain, et un nouveau scénario sur la planche à dessin. «Les nôtres est un suspense dramatique qui flirte un peu plus avec le cinéma de genre», dit-elle. Ce film a été plus facile à financer, «probablement parce que ce type de cinéma fait moins peur que les films très intimistes». Mais c’est aussi, croit-elle, parce que les institutions ont vu ce dont elle était capable avec Isla Blanca.
Dans l’une des entrevues qu’elle a accordées aux médias, Jeanne Leblanc a déclaré qu’elle ne refera pas un film aussi autobiographique. «Je ne crois pas que ma vie soit assez intéressante pour en faire un autre film!», dit-elle en riant. «Sérieusement, je pense qu’une première œuvre part toujours de soi. Il faut vider son sac pour pouvoir ensuite le remplir d’autre chose. Alors voilà. Je n’échapperai pas à ce lieu commun.»
Isla Blanca était présenté en primeur aux Rendez-vous Québec Cinéma, le 23 février dernier. Produit par la maison de production Art & Essai, qui était aussi derrière Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau, de Mathieu Denis et Simon Lavoie (B.A. communication, 2002), le film prend l’affiche à Montréal le vendredi 2 mars au cinéma Quartier Latin.
«Les étudiants iront le voir la semaine prochaine et pourront me poser toutes leurs questions, dit Jeanne Leblanc. Pourquoi j’ai choisi tel plan? Comment j’ai fait telle chose? Avec les cinéastes invités, ils sont souvent un peu gênés. Avec moi, vu qu’ils me connaissent bien, ce sera plus facile.»