Plusieurs études récentes ont démontré que les élèves du primaire et du secondaire apprennent mieux lorsque l’enseignant utilise des stratégies pédagogiques actives centrées sur l’apprenant plutôt qu’un enseignement traditionnel basé sur l’exposé magistral. Mais qu’en est-il pour les étudiants de niveau postsecondaire? Le cours Modèles et stratégies d’enseignement au collège et à l’université se penche sur cette question.
En ce mardi de septembre, une quinzaine d’étudiants inscrits au programme court de 2e cycle en pédagogie de l’enseignement supérieur assistent au cours donné par Anastassis Kozanitis, professeur au Département de didactique. Ces bacheliers de divers domaines, que ce soit le travail social, la musique, la science politique ou la biologie, ont un point en commun: ils souhaitent enseigner leur discipline au cégep ou à l’université.
Stimuler la créativité au lieu de l’anesthésier
La séance débute par le visionnement d’une vidéo tirée d’une conférence TED de 2010 et réalisée par l’auteur et conférencier britannique Ken Robinson. Cette vidéo d’une dizaine de minutes, très critique envers les systèmes d’éducation publics en Occident, a été traduite dans plusieurs langues et visionnée par plus de 15 millions de personnes – un record pour une conférence TED. Essentiellement, Robinson y affirme que l’école détruit la créativité des jeunes parce qu’elle prône des réponses uniques et, donc, une façon de penser unique. Son propos s’appuie, entre autres, sur une étude démontrant que des enfants de maternelle ont de bien meilleurs résultats à des tests de pensée divergente – et seraient donc plus créatifs – que des élèves de 3e ou de 6e année. Robinson ajoute que «l’épidémie» d’élèves souffrant de trouble d’attention et d’hyperactivité (TDAH) est en fait le produit d’écoles ennuyantes, et que les arts, dont la mission première est de stimuler les sens, sont l’une des principales victimes du Ritalin et autres médicaments contre le TDAH, qui anesthésient la créativité de l’enfant. L’auteur insiste sur l’importance de passer d’un paradigme éducatif qui valorise l’individualisme à un paradigme visant la collaboration, plus compatible avec l’environnement éducatif naturel.
Les étudiants qui prennent parole sont tous d’accord avec la vision de Robinson. «L’école force les enfants à entrer dans un moule», déplore Hélène. «Peu d’espace est consacré à la réflexion ou au recul: tout se fait au pas de course, ce qui engendre beaucoup de stress à l’école et à la maison», ajoute Camille.
La vidéo de Robinson critique surtout les méthodes d’enseignement des écoles primaires et secondaires, mais qu’en est-il du postsecondaire? Anastassis Kozanitis présente une seconde vidéo, dans laquelle des diplômés de l’Institut de technologie du Massachussetts (MIT) se montrent incapables d’allumer une ampoule à l’aide d’une batterie et d’un fil électrique – une tâche habituellement enseignée dans les cours de physique au secondaire.
«Comment se fait-il que des diplômés du meilleur institut technologique au monde soient incapables d’appliquer un concept théorique aussi simple?», questionne le professeur. «Je me reconnais dans cette vidéo, avoue Marie-Michèle. J’ai moi aussi l’impression de ne rien avoir retenu de mon baccalauréat. Dans plusieurs cours, je me bourrais le crâne pour l’examen et j’oubliais tout le lendemain.»
Activité cérébrale minime
On serait porté à croire que les étudiants universitaires, de jeunes adultes qui ont passé une quinzaine d’années sur les bancs d’école et qui ont une capacité d’attention plus élevée que les enfants, apprendraient bien par des méthodes d’enseignement traditionnelles. Les recherches indiquent plutôt le contraire. Une étude américaine a permis de mesurer, durant une semaine, l’activité cognitive d’étudiants universitaires en génie biomédical. Certaines activités, comme étudier ou faire des travaux pratiques en laboratoire, demandaient beaucoup d’activité cognitive, alors que d’autres activités, comme regarder la télévision ou faire des tâches ménagères, en généraient très peu.
« Étonnamment, l’activité cérébrale est beaucoup plus importante durant le sommeil qu’en salle de classe!»
Anastassis Kozanitis,
Professeur au Département de didactique
«Selon vous, dans quelle catégorie se situe le temps passé en classe?», demande Anastassis Kozanitis au groupe. L’activité cérébrale lors d’un exposé magistral est minime, comparable à celle qu’on observe pendant que les étudiants regardent la télévision. «Étonnamment, l’activité cérébrale est beaucoup plus importante durant le sommeil qu’en salle de classe!», remarque le professeur.
Une autre étude sur la fréquence cardiaque va dans le même sens que la première, c’est-à-dire que le rythme cardiaque diminue dès les premières minutes d’un enseignement magistral. «On voit donc que ni le cerveau ni le cœur des étudiants est dans un état optimal pour apprendre.» Si l’exposé est entrecoupé de méthodes plus actives – simulations, discussions – le rythme cardiaque remonte. Le professeur suggère aussi aux enseignants qui posent des questions de laisser le temps à ses étudiants de répondre. «Saviez-vous que le temps moyen de silence accordé par l’enseignant après une question est de moins de 2 secondes? A-t-on vraiment le temps de réfléchir en si peu de temps?»
Stratégies actives
Qu’entend-on par une stratégie pédagogique active? Il s’agit d’activités interactives qui sollicitent des habiletés cognitives d’ordre supérieur, des habiletés complexes qui produisent souvent des solutions multiples et qui améliorent la pensée critique et la compréhension conceptuelle. «Les stratégies actives encouragent les échanges et la coopération, confrontent les idées, fournissent une rétroaction rapide et proposent des défis aux étudiants», précise Anastassis Kozanitis. Parmi ces stratégies, on peut penser à l’apprentissage par problème, à l’enseignement par les pairs, à des simulations, à des jeux de rôles, à l’apprentissage par projet, à des laboratoires. «L’important est que l’activité soit liée aux contenus du cours et que l’étudiant fasse autre chose qu’écouter l’enseignant et prendre des notes.»
«Les stratégies actives encouragent les échanges et la coopération, confrontent les idées, fournissent une rétroaction rapide et proposent des défis aux étudiants.»
Les recherches appuient l’efficacité des stratégies pédagogiques actives. Une étude réalisée auprès de 6000 étudiants en physique a démontré que les gains réalisés par des méthodes interactives se situaient entre 30 % et 40 % par rapport à un prétest initial, alors que les gains par des méthodes traditionnelles se situaient plutôt entre 10 % et 20 %.
Est-ce à dire que les enseignants au postsecondaire devraient complètement abandonner les exposés magistraux pour adopter des stratégies plus actives? «Cela dépend de la personnalité de chaque enseignant et de son niveau de confiance, dit Anastassis Kozanitis. Les enseignants prudents, qui ne souhaitent pas apporter des changements radicaux à leur pratique, pourront intégrer progressivement des activités d’apprentissage actif, alors que les plus audacieux voudront éliminer presque entièrement les exposés de leur cours. On doit aussi adapter les méthodes à sa personnalité.»
Pour un enseignant habitué aux méthodes traditionnelles, l’exposé magistral est sécurisant. «Sortir des sentiers battus comporte un certain risque, et certains enseignants ont peur de perdre le contrôle du groupe s’ils laissent trop d’espace à la discussion. On doit être bien formé, bien préparé, convaincant et convaincu.»
Changement de rôle
Ce qui ressort clairement du cours, c’est que le rôle de l’enseignant n’est plus le même aujourd’hui qu’il y a 20 ou 30 ans. «La conception d’un enseignant qui transmet de l’information est révolue. C’est l’étudiant lui-même qui doit apprendre, on ne peut pas le faire à sa place.»
«C’est l’étudiant lui-même qui doit apprendre, on ne peut pas le faire à sa place.»
Avec les nouvelles technologies, les étudiants ont un accès immédiat à toutes sortes d’informations. «Mais cette révolution technologique soulève d’autres défis, comme celui de faire sens d’une abondance d’information.»
Le professeur conclut le cours en disant que, même s’ils étudient sur une base volontaire, les étudiants de niveau postsecondaire ne sont pas si différents des élèves plus jeunes. «Ils veulent que le cours qu’ils suivent soit utile à leur cheminement et ils veulent vivre une expérience enrichissante.»